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Sopro de Tiago Rodrigues image théâtre
© Filipe Ferreira

♥ Critique / “Sopro” de Tiago Rodrigues : un souffle ensorcelant

Dernière mise à jour : avril 13th, 2020 at 02:57 pm

Le Centre Dramatique National Besançon Franche-Comté a accueilli du 5 au 8 mars 2019 le spectacle Sopro de Tiago Rodrigues, succès du Festival d’Avignon en 2017. La critique et l’avis théâtre de Bulles de Culture sur ce moment de théâtre rempli d’émotions et ce spectacle coup de cœur.

Synopsis :

Avec Sopro, Tiago Rodrigues livre au public l’histoire d’une femme que personne ne voit, Cristina Vidal, souffleuse au Teatro Nacional D. Maria II de Lisbonne. L’envers du décor s’entrouvre et laisse apparaître les contours d’un métier voué à la disparition, fait de modestie et de discrétion.

Sopro, la force de l’invisible

Le succès de celle que Tiago Rodrigues donne à voir repose sur le fait de ne pas être entendue, de ne pas être vue, de ne pas être soupçonnée. C’est l’ombre qui est offerte à Cristina Vidal, l’ombre qu’elle épouse et apprivoise. Avec Sopro, Tiago Rodrigues lui offre la lumière, le devant de la scène. Et l’univers qui s’entrouvre avec son entrée sur scène est fascinant !

Le dispositif théâtral que Tiago Rodrigues imagine pour cela est perturbant de prime abord, mais terriblement convainquant par la suite : sur scène, la troupe de comédien-ne-s (Isabel Abreu, Beatriz Brás, Sofia Dias, Vítor Roriz, João Pedro Vaz) joue la genèse du spectacle, les idées qui viennent, les souvenirs de Cristina Vidal. Aussi l’équipe de comédien-ne-s incarne-t-elle Cristina Vidal, la directrice du théâtre, son amant également comédien du théâtre et Tiago Rodrigues. Cristina Vidal joue quant à elle le rôle qui est le sien habituellement : elle souffle aux comédien-ne-s leurs textes. Mais contrairement à son habitude, elle le fait sur scène, en pleine lumière, allant d’un-e comédien-ne à l’autre.

Si ce dispositif semble ralentir l’avancée du spectacle au début de la pièce, il devient rapidement intriguant, touchant, et même très drôle. Nul hommage n’aurait pu être plus vibrant que de voir opérer en pleine lumière celle qui a passé toute sa carrière dans l’ombre des plus grand-e-s comédien-ne-s, au cœur des textes les plus célèbres. Et même le fait que le spectacle soit proposé en portugais, surtitré en français, n’est pas non plus un frein à sa réussite !

Sopro, le souffle du théâtre

Le décor nous fait pénétrer dans l’imaginaire de Tiago Rodrigues. Sopro s’ouvre sur l’image d’un théâtre en ruines, parsemé d’herbes folles qui contrastent avec quelques objets de scène, notamment une méridienne de velours rouge. C’est un théâtre battu par les vents qui se dévoile, comme un objet du passé, un bâtiment qui dirait l’antique passé disparu, une pièce d’archéologie.

L’objet théâtral dont les contours se définissent au fur et à mesure du spectacle est pourtant loin d’être éteint, loin d’être mort. Quoi de plus émouvant par exemple que de voir Cristina Vidal nommer les comédien-ne-s qu’elle seconde du nom du personnage que ceux-ci jouent sur scène, ou encore de l’imaginer noter soir après soir les répliques qu’elle a dû souffler en datant ses interventions.

Étant entendu que sopro veut dire “le souffle” en portugais, nul doute que Tiago Rodrigues nous fait pénétrer dans les poumons du théâtre. Le dispositif théâtral qu’il choisit nous fait nous glisser au cœur des grands textes. Le système d’échos qu’il imagine donne à entendre plus que jamais le mot juste, l’intonation, et à travers cela la respiration de ces textes parfois plusieurs fois centenaires.

Une émotion pudique

En faisant s’achopper théâtre et réalité, histoire écrite et histoire en train de s’écrire, en faisant étinceler ensemble les petits et les grands destins, Tiago Rodrigues rappelle dans Sopro ce qui fait la vie du théâtre écrit et en train de s’écrire : la bouleversante universalité qui fait que chacun-e peut s’entrevoir ou se lire dans Racine ou Tchékhov.

Épousant le regard de celle qui observe sans intervenir, qui observe mais qu’on oublierait presque, Tiago Rodrigues ramène à la pensée que la vie aussi est théâtre quand on l’observe avec le recul du public muet. Tiago Rodrigues laisse donc sa pudeur à celle qui préfère l’ombre, et dont on ne saura rien ou si peu, mais il dit avec délicatesse la relation de confiance établie entre Cristina Vidal et la directrice de théâtre, celle-là même qui l’avait laissée assister à une pièce depuis la trappe du souffleur dans son enfance.

La distance réelle qu’on observe entre les comédien-ne-s et les rôles qu’ils jouent, notamment quand ils incarnent les personnages de Cristina Vidal et de Tiago Rodrigues, montre enfin que l’illusion théâtrale scintille de mille feux grâce à la puissance du texte, grâce à la force de son souffle, et qui peut savoir mieux cela que celle qui les a écoutés toute sa vie durant, avec un script sous les yeux et une attention sans faille ?

Quel merveilleux hommage au théâtre et à celle qui l’a servi toute sa carrière que ce splendide Sopro ! Bulles de Culture ne saurait que chaudement vous le recommander cette pièce de théâtre coup de coeur.

En savoir plus :

  • Sopro au Centre Dramatique National Besançon Franche-Comté du 5 au 8 mars 2019
  • Tournée du spectacle en Europe : du 15 au 17 mai 2019 au Théâtre Vidy-Lausanne ; les 24 et 25 mai 2019 à Le Trident – Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin ; du 30 mai au 2 juin 2019 au Teatros del Canal de Madrid ; le 8 juin 2019 au Wiener Festwochen de Wien ; du 13 au 22 juin 2019 au Teatro Nacional São João de Porto
  • Sopro est proposé en portugais surtitré en français
  • Durée du spectacle : 1h45
Morgane P.

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