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Une histoire d'amour et de désir photo film 2021 1
© Pyramide Films

Interviews / “Une histoire d’amour et de désir” : rencontre avec Leyla Bouzid, Sami Outalbali et Zbeiba Belhajamor

Dans Une histoire d’amour et de désir, présenté en compétition du Festival du Film Francophone d’Angoulême 2021, Leyla Bouzid dresse le portrait d’Ahmed, un jeune français d’origine algérienne, qui fait la rencontre de Farah, tunisienne tout juste débarquée à Paris. Le duo se rencontre à la fac en cours de littérature arabe sensuelle et érotique. Ahmed tombe instantanément amoureux de sa camarade et va tenter de résister au désir pour elle. Rencontre avec la réalisatrice et les deux acteurs principaux, Sami Outalbali et Zbeiba Belhajamor à l’occasion de la sortie du film en salle le 1er septembre 2021. 

Rencontre avec la réalisatrice de Une histoire d’amour et de désir, Leyla Bouzid

Une histoire d’amour et de désir est votre deuxième film. Pourquoi avoir eu envie de vous intéresser au désir naissant d’un jeune homme alors que votre premier film, A peine j’ouvre les yeux, porte sur les sentiments d’une jeune femme ?

C’est pour palier un manque. Un manque de représentation, un manque de récit. Quelque chose que je n’ai ni vu, ni lu beaucoup. Mon premier long métrage parle du récit d’émancipation d’une jeune femme. Or, on est tous avec des carcans et des codes qui nous sont assignés. Je ne vois pas pourquoi un tel récit d’émancipation serait exclusivement féminin. Voilà pourquoi j’ai fait ce film.

La première expérience sexuelle pour un garçon est-elle, de votre point de vue, aussi singulière pour un jeune homme que pour une jeune femme ?

Je pense. La première fois de quelqu’un ne va pas de soi. Quand on sort de l’adolescence, on est dans un âge un peu complexe. On n’a pas encore les codes, ni de mode d’emploi. Aller vers un autre corps, c’est une manière de se révéler à l’autre à un moment où on ne sait pas soi-même très bien qui on est. Il y a une forme d’arnaque qui fait qu’on s’intéresse plus à la thématique de la première fois pour les femmes parce qu’on est supposées avoir des marqueurs. Mais, c’est surtout un moment de partage important autant pour l’homme que pour la femme.

Leyla Bouzid : “Toutes les personnes qui grandissent dans une culture arabe savent qu’il y a un grand courant de poésie courtisane”

Il n’y a pas de mode d’emploi, d’autant plus quand on vient d’une famille d’origine algérienne. Il doit y avoir un tabou encore plus fort dans cette culture que dans notre société française…

Je ne dirais pas cela. C’est davantage vrai dans le milieu des banlieues françaises où il y a un repli identitaire qui est subi. Il se crée alors une forme de misère sexuelle et affective. Les jeunes hommes qui vivent en banlieue n’ont pas forcément accès au corps féminin, à un vrai échange avec des femmes. C’est le cas pour Ahmed, mon personnage principal, qui est simplement d’origine algérienne et qui n’a jamais vécu en Algérie. A l’inverse, quand il parle de sexualité avec son père venu d’Algérie, on voit que ce dernier n’a rien contre une certaine forme d’érotisme.

Vos personnages principaux suivent des cours de littérature arabe érotique. Etiez-vous familière de ce courant du XIIème siècle ?

J’ai grandi en Tunisie. J’avais donc des cours d’arabe. Toutes les personnes qui grandissent dans une culture arabe savent qu’il y a un grand courant de poésie courtisane, plutôt non consommée. En cela, Majnoun Leïla est une histoire d’amour populaire qui a une valeur presque mythologique dans les pays arabes. Lorsque quelqu’un est très amoureux, on lui sort : “tu es le fou de Leïla”. La découverte de la littérature de jouissance s’est faite avec un manuel d’érotologie arabe que j’ai eu un jour entre les mains, Le jardin parfumé, écrit en Tunisie au XVᵉ siècle par Cheikh Nefzaoui. Le manuel est très ludique, drôle et cru. Il m’a vraiment interpellé. J’ai découvert qu’il y avait l’équivalent dans chaque pays arabe. Les manuels circulaient beaucoup, parfois même ce sont les imams qui les distribuaient.

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La professeure de lettre n’est pas un personnage prédominant à l’image mais elle est fondamentalement très importante dans le parcours des deux jeunes. Pouvez-vous nous expliquer comment vous l’avez construite ?

Je me suis inspirée d’un professeur que j’ai eu qui enseignait le stylistique, professeur Georges Molinié. C’est un immense enseignant qui maitrise parfaitement l’art oratoire et qui met beaucoup de double sens dans ce qu’il dit. Il parlait énormément de désir dans la littérature. J’adorais son ton à la fois très autoritaire mais aussi un brin provocant. Petit à petit, je l’ai transformé dans le scénario en un personnage féminin en gardant ses traits principaux, plein d’ironies. Je tenais à une professeure fascinante, pleine de surprises. Aurélia Petit l’incarne magnifiquement bien à l’écran.

Vous avez souhaité aborder dans le film la différence entre la culture algérienne et la culture tunisienne.

En effet, quand on arrive en France en tant que jeune tunisienne, on est d’emblée perçue comme une magrebine musulmane. Il y a des étiquettes qui nous tombent dessus. Je voulais remettre dans la diversité dans ce qu’on appelle le magreb. L’Algérie et la Tunisie ne sont pas du tout les mêmes pays. Ils n’ont pas non plus les mêmes histoires, en particulier vis-à-vis de la France. C’est un appauvrissement extrême de considérer qu’un tunisien et un algérien, c’est la même chose !

Pourquoi avoir fait rimer Amour et Désir, alors que ces deux termes ne vont pas toujours de pairs ?

Justement, ce qui est très difficile pour Ahmed, c’est le mariage du désir et de l’amour pour Farah. Si ce n’était qu’une forme d’amour platonique, ou à l’inverse que du désir physique, les choses auraient été beaucoup plus simples pour lui. Il faut accepter de lier les deux de manière très forte. Dans la tradition littéraire, il y a un peu un antagonisme entre amour et désir. Mon film est une manière de faire fusionner les deux et de dire qu’il faut qu’ils soient ensemble.

Rencontre avec Zbeiba Belhajamor et Sami Outalbali, les deux acteurs principaux

Comment avez-vous rencontré la réalisatrice pour Une histoire d’amour et de désir ? 

Zbeiba Belhajamor : J’ai rencontré Leyla quand j’étais beaucoup plus jeune. J’avais 14 ans. Elle est venue pour passer le casting de son premier long métrage. Elle voulait une actrice qui chante et qui joue de la guitare, ce que je pratique. J’étais alors beaucoup trop jeune pour le rôle. Mais Leyla m’a gardée en tête. Quand elle a travaillé sur Une histoire d’amour et de désir, elle est venue à Tunis. On a beaucoup parlé. J’ai alors passé plusieurs castings entre Tunis et Paris.

Sami Outalbali : Un texto, un café, un scénario magnifique et la rencontre avec Zbeiba … Tout a été une évidence !

Zbeiba Belhajamor : “Leyla était sûre de l’osmose qu’il y aurait entre nous

Vous êtes-vous beaucoup préparés ensemble avant le tournage pour former ce couple à l’écran ?

Ensemble : On ne s’est pas du tout préparés ensemble.

Sami Outalbali : On ne s’est vus que pendant les castings.

Zbeiba Belhajamor : Ensuite, on n’a fait aucune lecture ensemble. Leyla était sûre de l’osmose qu’il y aurait entre nous. Il fallait une innocence dans la rencontre.

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Connaissiez-vous cette littérature érotique arabe abordée dans Une histoire d’amour et de désir ? 

Zbeiba Belhajamor : Je connaissais un peu. J’avais lu quelques ouvrages qui font l’éloge de la sexualité. Je savais qu’il y avait dans la culture arabe un courant littéraire qui célèbre le plaisir des sens, de la chair. Avec le film, j’ai découvert pas mal d’ouvrages. J’ai continué à en lire après le tournage.

Sami Outalbali : Je n’avais pas connaissance de cette littérature érotique arabe. Dans le scénario, on parle beaucoup du livre, Le jardin parfumé. J’ai couru dans une librairie parisienne pour l’acheter et le lire. Je suis tombé amoureux de cette littérature. Je suis désormais ouvert à cette partie de culture qui est la mienne mais que je connaissais très peu.

Sami Outalbali : “Je devais réussir à jouer cette timidité. C’était très fatiguant, même physiquement

Farah est une jeune femme de caractère, engagée et parfois même passionnée. Ahmed est complètement bloqué par son désir, qui le tétanise notamment pour avoir sa première relation sexuelle. Avez-vous tout de suite compris vos personnages respectifs ? 

Zbeiba Belhajamor : Je comprenais tout à fait. Farah se rapproche un peu de moi. Il y a des similitudes intérieures. J’estime être quelqu’un de passionné. Tout était très visuel à la lecture et le personnage de Farah s’est construit très naturellement dans mon esprit.

Sami Outalbali : Il y avait pas mal d’incompréhension vis-à-vis d’Ahmed. C’était intéressant car cela servait dans la préparation du rôle. Cela rajoutait une réflexion perpétuelle. J’avais un immense désir de l’interpréter pour retranscrire le plus fidèlement possible ses problématiques intérieures. Ahmed est très introverti. Ce n’est pas moi du tout. Je devais réussir à jouer cette timidité. C’était très fatiguant, même physiquement.

En savoir plus :

  • Date de sortie France : 01/09/2021
  • Distribution France : Pyramide
Antoine Corte

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