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[Critique] “Les garçons ne pleurent pas” par Thibault Rossigneux: Quand le masculin ne l’emporte plus

Dernière mise à jour : juin 3rd, 2019 at 03:23 pm

Présenté dans le cadre du Festival de Caves 2018, Les garçons ne pleurent pas de Julie Ménard nous invite à interroger l’éducation sentimentale et sexuelle des garçons. Une idée et une mise en scène de Thibault Rossigneux. Bulles de Culture applaudit. L’avis et la critique théâtre de Bulles de Culture.

Synopsis :

Il (Charly Marty) est chanteur de variété et séducteur invétéré quand survient brusquement la « panne » devant le public. Qu’est-ce qui a pu ouvrir cette large faille ? C’est ce que va nous montrer un retour en arrière sentimental et musical, de la première fillette qu’il a regardée gamin à l’adulte qui multiplie les conquêtes, Les garçons ne pleurent pas déconstruit l’itinéraire identitaire d’un salaud ordinaire.

Les garçons ne pleurent pas : voici le SOS d’un chanteur en détresse

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Après une interprétation magnifiquement ironique d’un titre-phare de notre Johnny Hallyday national suivi de la surannée Petite fille du soleil de Christophe, c’est sur l’irruption soudaine du doute que s’ouvre Les garçons ne pleurent pas, comme si ce qui n’avait jamais posé question était brusquement devenu problématique. Peut-être est-ce juste l’oubli d’un accord de guitare ? Ne serait-ce pas plutôt la soudaine révélation du caractère éminemment machiste et passablement sexiste de toutes ces magnifiques chansons à texte qui glorifient sans cesse les conquêtes sans lendemain, les briseurs de cœur, les gars qui se la jouent Don Juan au mieux, Casanova au pire ?

Au gré des interprétations musicales magistrales que livre Charly Marty tout au long du spectacle, on revisite différents moments du parcours sentimental et sexuel de notre dandy désabusé, oscillant entre la mélancolie d’Un homme heureux de William Sheller et l’instinct de domination de certains titres des Rolling Stones traduits pour la peine en Français. Reconnaissez enfin dans le titre la traduction du célèbre titre de The Cure. Chaque titre est ainsi soigneusement choisi et possède sa valeur propre dans le propos du spectacle. Belle mise en question de l’apparemment anecdotique ! La musique est de la sorte partie prenante de Les garçons ne pleurent pas.

L’école des genres

Ce que livre Les garçons ne pleurent pas à travers les souvenirs que son personnage fait renaître sous nos yeux, c’est un vrai questionnement d’actualité. Car on peut certes s’indigner face à la violence banalisée que subissent les femmes et qu’un mouvement comme #MeToo ou #BalanceTonPorc révèle au grand jour, mais cette indignation reste stérile si l’on n’interroge pas enfin l’éducation sentimentale et sexuelle que l’on prodigue aux garçons. Ainsi, Les garçons ne pleurent pas met en avant tout un processus de construction identitaire reposant sur une domination masculine : pour être respecté comme garçon au collège, quoi de mieux que d’embrasser une fille au vu et au su de tous ? C’est le garçon qu’on salue et la réputation de la fille qu’on questionne, les rumeurs allant vite bon train. Pour être accepté au lycée, quoi de mieux que de jouer au musico et de promener une guitare ? Tout le monde sait bien que les artistes en devenir peuvent multiplier les filles !

Quoi de plus banal ? Quoi d’apparemment plus anodin et facile ? La fausse candeur avec laquelle notre personnage livre ce constat – et il faut avouer que Charly Marty excelle dans le jeu de ces confidences douces-amères – fait froid dans le dos et en dit long !

D’un cynisme grinçant

Transposez la violence en germe de ces épisodes tristement éducatifs, et voilà devant vous le portrait lambda de l’homme cynique par excellence, mesurant sa virilité à la multiplication de ses conquêtes, fuyant l’attachement et les sentiments comme la peste, faisant parader aux yeux et aux oreilles de tous ses entreprises multiples de séduction. Il est un instant où Charly Marty excelle tant à rendre convaincant ce mâle revendicatif qu’il en vient à vous faire craindre d’avoir malencontreusement atterri dans le spectacle le plus sexiste jamais vu. C’est dire si les rires gras et graveleux qu’engendre le scabreux catalogue des conquêtes peuvent laisser planer le doute ! Autant de signes d’une écriture magistrale signée Julie Ménard.

Les garçons ne pleurent pas rappelle d’ailleurs avec pertinence à quel point cette violence, cette domination sur l’autre, s’incarne dans les conversations entre hommes, dans cette surenchère verbale permanente et malvenue, dans de jolies expressions fleuries telles qu’« elle a pris cher », dans l’idée que la puissance vaut comme Graal absolu et incontestable. CQFD. La démonstration à laquelle se livre Thibault Rossigneux dans Les garçons ne pleurent pas est convaincante et brillamment convaincante !

D’hier ou de demain ?

Le décalage que crée Les garçons ne pleurent pas entre les titres musicaux qui sonnent comme un bon rappel des années 80-90 et la génération dépeinte, celle d’un trentenaire bien mûr, est dense de questionnement. Car les références musicales appellent volontiers le portrait de ceux qui étaient jeunes dans les années 80-90, donc d’une ou deux générations avant notre personnage. Est-ce à dire qu’un tel portrait est à rattacher au passé ? C’est l’espoir que soulève Thibault Rossigneux avec Les garçons ne pleurent pas, montrant par la brusque irruption de l’actualité l’origine du doute initial.

Peut-on encore se pavaner comme un paon et laisser afficher son orgueil de coq une fois que l’on a lu les témoignages laissés par tant de femmes sur les violences qu’elles ont subies ? Rien n’est moins sûr. Dès lors tout est à construire, à déconstruire, à reconstruire pour les hommes qui ne peuvent plus nier qu’ils savent.

En savoir plus :

  • Les garçons ne pleurent pas est présenté dans le cadre du Festival de Caves 2018 : il a été joué à Lons-le-Saunier le 21 mai et sera joué  le 5 juinà Valence ; le 7 juin à Aix-en-Provence ; le 9 juin à Meyrargues ; le 22 juin à Beauquesne ; le 23 juin à Albert
  • Site officiel du Festival de Caves
Morgane P.

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