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Insoumises de Conceição Evaristo image couverture du livre

[Critique] “Insoumises” de Conceição Evaristo : Des récits qui font l’âme résistante

Dernière mise à jour : mars 8th, 2021 at 01:22 am

Les Éditions Anacaona proposent Insoumises (Insubmissas lágrimas de mulheres), des textes fragmentaires de Conceição Evaristo qui racontent des destins de femmes fortes dans un Brésil populaire, traditionnel et machiste. Une lecture édifiante dont Bulles de Culture vous fait part à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes.

Synopsis :

Une narratrice qui se veut être une « passeuse d’histoires » et qui égraine des récits au fil des rencontres qu’elle fait ou de celles qu’elle provoque. Conceição Evaristo affirme ouvertement qu’au romanesque cru de la réalité des histoires qui lui sont confiées, elle ajoute le fard de la fiction. Insoumises, c’est ainsi une pérégrination fragmentaire en compagnie de ces femmes qui racontent chacune un morceau d’elles-mêmes.

Insoumises, des figures féminines fortes

Conceição Evaristo photo (c)
© Isabela Kassow

Brésiliennes, souvent noires, toutes les femmes que nous croisons dans Insoumises ont un point commun : leur sexe les a mises dans une situation difficile qu’elles ont dû affronter, combattre, accepter ou dépasser. En effet, abandonnées, violées, battues, humiliées, enlevées, rejetées, toutes ont dû faire face à des violences cruelles, celle de la société, celle des hommes, celle de la famille. Toutes partagent avec la narratrice, que l’on voit se dessiner en filigrane, la fierté d’être femme, la fierté d’être devenues des femmes résistantes, singulières, héroïques.

Elles n’avaient rien pour elles : ni richesse, ni couleur de peau adéquate, ni refuge aussi parfois. On ne leur a rien offert. Leur destinée, elles l’ont forgée à coup d’acharnement, de persévérance, de courage. Elles ont aimé, parfois passionnément ; elles sont devenues mères, volontairement ou malgré elles, et leur(s) enfant(s) leur ont offert l’occasion d’un amour inconditionnel, l’envie de se relever, la force de se dépasser.

À la rencontre d’un Brésil méconnu

Ce que Conceição Evaristo nous offre de découvrir à travers les récits qui font la trame d’Insoumises, c’est aussi un Brésil que nous ne connaissons pas. Il est un peu daté : c’est celui du XXe siècle plus que du XXIe. Mais il n’en est pas moins surprenant. On est loin des grandes villes, loin des classes favorisées que l’on voit tout de même mais à travers le regard de celles qui les subissent. Ce que l’on découvre ainsi, c’est un pays où les traditions, même les plus sexistes et les plus injustes, pèsent, et pèsent lourd. Ce que l’on découvre, c’est une société patriarcale où les femmes doivent s’affirmer.

Les tabous sont nombreux. Peu d’éducation pour les filles. Pas d’éducation sexuelle. Le fonctionnement du corps féminin est découvert sur le tard, décrit à mots couverts. Et de la sexualité, il ne faut jamais parler. La suprématie de la masculinité conduit à une banalisation de la violence, celle du père, celle du mari, celle de l’« ami » aussi. Toute différence est vue comme une honte. Tout écart est vivement condamné. Il va sans dire que dans de telles conditions, les filles sont toujours perdantes. La force qu’il faut à certaines pour devenir gagnantes, c’est ce qui captive Conceição Evaristo, ce qu’elle essaye de comprendre, de cerner, de décrire. Les portraits qu’elle brosse sont édifiants, épatants, époustouflants. Ces héroïnes de la réalité sont magnifiées dans leur simplicité, mais cela ne les empêche pas de devenir extraordinaires.

Un texte engagé

Le titre même que Conceição Evaristo a choisi pour son recueil est un engagement, une provocation. Et le rôle dont elle se saisit, celui de « passeuse d’histoire » n’est pas anodin. Insoumises le montre à merveille. Les rencontres qu’elle relate sont parfois le fruit du hasard ; mais dans la plupart des cas, c’est parce que l’autrice perçoit quelque chose de singulier dans un destin, un choix, qu’elle va à la rencontre d’une femme.

Insoumises est un texte qui révolte, qui sidère. Pourtant, le style qu’emploie Conceição Evaristo est simple, sans autre apparat que des métaphores, des images dont la beauté touche, émeut. Elle ne rajoute pas de style ampoulé ; elle nous évite les apartés de colère, les emportements stylistiques faciles. La vérité de son récit est brute sans être brutale.

Insoumises est un texte qui vous réveille, qui vous alerte. Après cette lecture, on comprend à nouveau pourquoi il est important qu’il y ait encore une Journée internationale des droits des femmes, pas une journée de la femme comme on peut l’entendre, pas une journée pour profiter des réductions que nous offre les magasins de vêtements, de parfums, de cosmétiques. Une vraie journée pour se souvenir que l’égalité des droits est encore un combat. Pas au nom d’un féminisme aveugle. Non, au nom des inégalités qui persistent. Des inégalités qui tuent.

Insoumises est un texte qui vous réveille. Que vous soyez homme ou femme qu’importe. Le constat que Conceição Evaristo dresse ne peut laisser indifférent. Il vient réveiller un cri d’indignation. Vient vous rappeler que l’éducation pour les filles doit être un combat. Que l’éducation sexuelle doit être un impératif. Que naître femme ne doit plus être une vulnérabilité, l’occasion d’être abusée ou agressée par tous les hommes qui nous entourent.

Insoumises est le texte qui fait lever le poing de Bulles de Culture. Qui vient vous convaincre que, oui, le débat que soulève #MeToo est une bonne chose parce qu’il est temps que la parole prenne le pas sur le silence, que l’éducation prenne le pas sur les tabous et que nous puissions construire ensemble une société plus juste et où l’on peut naître femme sans faillir, naître noir sans faiblir, et où la fraternité l’emporte sur l’affrontement, le harcèlement, l’agression, l’humiliation.

En savoir plus :

  • Insoumises, Conceição Evaristo, traduit du brésilien par Paula Anacaona, Éditions Anacaona, collection Terra, mars 2018, 170 pages, 15 €
  • Conceição Evaristo est la plus importante voix de la littérature afro-brésilienne, et plus particulièrement féminine. Ses deux précédents romans, L’histoire de Poncia et Banzo, mémoires de la favela, se sont vendus à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires au Brésil
  • Page d’Insoumises sur le site des Éditions Anacaona
Morgane P.

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