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Les Damnés, des ouvriers en abattoir d’Anne-Sophie Reinhardt image documentaire
© Les batelières productions

♥ Critique & Interview / “Les Damnés, des ouvriers en abattoir” (2020) d’Anne-Sophie Reinhardt

Dernière mise à jour : juin 4th, 2021 at 02:19 pm

Primé au Festival de Luchon en 2020, Les Damnés, des ouvriers en abattoir d’Anne-Sophie Reinhardt est diffusé le mardi 30 juin sur France 2 dans le cadre de l’émission Infrarouge présentée par Marie Drucker. La critique et l’avis de Bulles de Culture sur ce documentaire coup de cœur ainsi que notre interview de son auteure-réalisatrice.

Synopsis :

Ils s’appellent Joseph, Mauricio, Nadine, Stanislas, Stéphane, Olivier, Michel et semblent, en nous racontant le travail à l’abattoir, témoigner d’une sorte de front de guerre insensé et irréel, d’un monde aussi indescriptible qu’innommable, et pourtant, bien qu’”invisible” aux yeux de ceux qui n’y pénètrent jamais, bel et bien réel puisqu’installé à la porte de nos villes et villages. Ils décrivent ce qui les a conduits à devoir s’y rendre et à n’avoir comme seul choix que de ne plus pouvoir en partir. Disent combien ce travail à nul autre comparable est source de tourments. Il est question de blessures psychiques, de détresse et failles émotionnelles, de distorsions psychologiques, de cauchemars récurrents, de traumatismes, et en creux de tous les non-dits.

Les Damnés, des ouvriers en abattoir : un documentaire fort et passionnant sur le dur et méprisé travail en abattoir

Les Damnés, des ouvriers en abattoir d’Anne-Sophie Reinhardt image documentaire
© Les batelières productions

Récompensé du Prix de l’originalité au Festival de Luchon en 2020, Les Damnés, des ouvriers en abattoir est un documentaire fort et passionnant sur le dur et méprisé travail en abattoir à travers les témoignages de ceux et celles qui y travaillent ou qui y ont travaillé — ouvriers, agent vétérinaire et ergonome spécialiste en santé et travail.

La genèse  du documentaire vient d’avoir vu en 2015-2016 des images vidéo clandestines tournées en abattoir et d’avoir ressenti comme tout le monde de l’effroi et de la sidération. Mais au-delà des “pétages de plomb” dénoncés, ce qui m’a sidéré, c’était de voir l’apparente impassibilité des ouvriers dans une chaîne d’abattoir alors que tout n’est qu’effroi autour d’eux.
— Anne-Sophie Reinhardt

Si le titre du documentaire peut faire craindre au téléspectateur de voir de nouvelles images horribles tournées à l’intérieur d’abattoirs, la documentariste Anne-Sophie Reinhardt s’est bien gardée d’en montrer. Ainsi, après une succession d’images d’archives de procès rappelant l’image médiatique de scandales liés aux abattoirs, le film s’ouvre après son générique sur “une forêt concrète et mentale” où sont recueillis les témoignages de travailleurs de l’ombre travaillant ou ayant travaillé dans les abattoirs ainsi que “l’écho de leurs émotions enfouies”.

Tous m’ont parlé de deux mondes séparés, c’est-à-dire la vie civile et la vie de l’abattoir. Ils parlent tout le temps de ce passage d’un monde à l’autre, de cette nécessité de fermer des portes, des rideaux, de séparer les choses. (…) Il fallait donc trouver un dispositif qui leur permette de parler sans être ni dans leur quotidien — parce qu’ils ne parlent jamais de ça à leurs familles —, ni dans l’abattoir — parce que pour supporter l’abattoir, ils doivent se blinder.

Si j’avais fait le choix de mettre des images d’abattoir, cela aurait été soit sidérant pour le téléspectateur — donc cela aurait fait écran entre la parole de l’ouvrier et lui — ou soir en deçà de la réalité — parce que la vraie expérience sensorielle, c’est quand on est dans l’abattoir.

Une habile et originale mise en scène

Les Damnés, des ouvriers en abattoir d’Anne-Sophie Reinhardt image documentaire
© Les batelières productions

“Agent de fabrication”, “odeur”, “saignée”, “à la chaîne”, “déconnecté son cerveau”, “gilet par balle”, “on est des damnés”…  la force du documentaire Les Damnés, des ouvriers en abattoir est de jouer du contraste entre de magnifiques images de forêt et celles plus violentes que véhiculent dans notre tête les récits parcellaires des ouvriers et d’une ouvrière sur la réalité de leur métier.

Cette habile et originale mise en scène permet de mettre de l’humain sur de l’inhumain, de donner une voix à ces hommes et à ces femmes ainsi que de s’interroger sur la capacité de l’être humain à s’adapter à tout, “au point de transformer sa propre humanité”.

Les Damnés, des ouvriers en abattoir est un documentaire coup de cœur de Bulles de Culture dont le prix reçu au Festival de Luchon est amplement mérité et son sujet toujours aussi actuel.

Je pense que la forêt permet l’introspection autant pour celui qui parle que pour celui qui écoute et permet de s’en servir comme écran de projection pour l’imaginaire. L’idée était de marcher ensemble et qu’ils nous racontent ce que cela fait de travailler en abattoir. C’est la vérité de ceux qui le vivent.

Propos recueillis au Festival de Luchon 2020 le vendredi 7 février.

Secrets de tournage, anecdotes : le saviez-vous ?

  • Le tournage du film Les Damnés des ouvriers en abattoir a eu lieu dans la forêt de Fontainebleau et dans d’autres forêts de France, près de là où vivent les ouvriers interrogés.
  • La musique originale du documentaire a été composée par René-Marc Bini.
    “Je voulais des cordes, nous a confié la documentariste Anne-Sophie Reinhardt. J’ai parlé à René-Marc Bini de la musique du film Le Mépris, qui m’avait beaucoup marqué, et de la musique répétitive de The Hours. J’ai senti aussi qu’il y avait besoin d’accordéon, de clairon ou de trompette, ces instruments de classe et de fanfare ouvrière. On est donc parti sur ces instruments-là. Il y a pas mal d’accordéon dans le film parce que l’accordéon, c’est aussi pour moi l’orgue du pauvre et le souffle, les poumons”.

En savoir plus :

  • Les Damnés, des ouvriers en abattoir a été diffusé sur France 2 le mardi 30 juin 2020 à 22h50

Jean-Christophe Nurbel

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