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[CRITIQUE] “Les Créanciers” par Frédéric Fage : Ce que l’amour coûte

Dernière mise à jour : avril 11th, 2019 at 05:10 pm

L’Auditorium Saint-Germain-des-Prés a accueilli Les Créanciers d’August Strindberg, dans une mise en scène de Frédéric Fage. Une tragi-comédie autour d’un trio amoureux, tourmenté et fiévreux. Notre avis sur cette pièce dans laquelle la romance a un prix.

Synopsis :

Adolf (Julien Rousseaux), un jeune peintre et sculpteur, est marié à Tekla (Maroussia Henrich), une femme plus âgée, romancière. Il est profondément épris de son épouse, une créature volcanique autant que volage, qui lui cause de nombreux tourments. Pourtant, il lui a tout donné, l’introduisant dans les cercles littéraires, l’aidant à s’accomplir dans sa carrière. Il confie son affliction et ses inquiétudes à Gustave (Benjamin Lhommas), un professeur de langues anciennes, qui se montre attentif aux déboires d’Adolf pour mieux le manipuler. Gustave est en effet le premier mari de Tekla, ce qu’Adolf ignore. Peu à peu, la conversation à propos de Tekla entre ces deux hommes prend la couleur du crime annoncé… car Gustave imagine un scénario dans lequel Tekla devra répondre de ses dettes.

Les Créanciers :
Une mise en scène étoffée et contemporaine

 

Dans sa vision de Les Créanciers, Frédéric Fage offre une mise en scène très riche.

Les décors résonnent avec la thématique de la pièce : teintés de rouge, ils évoquent assez naturellement et l’amour et le sang. Le pourpre sied parfaitement à l’intrigue autour d’une passion triangulaire qui se termine dans la douleur. Est-ce un salon, est-ce une chambre d’hôtel, peu importe. Les comédiens se meuvent dans cette atmosphère rougeoyante et changent de costumes au fil de l’intensité grandissante de l’histoire de ce trio.

Gustave, l’illusionniste cynique, qui viendra réclamer sa créance à son ancienne épouse, finira en noir, tandis qu’Adolf, au destin tragique, dont l’âme est finalement la plus pure parmi les trois personnages, mourra en blanc.

Frédéric Fage enrichit à raison sa mise en scène en faisant appel à la danse et à la musique. Une musique actuelle accompagne les moments cruciaux de la pièce, accentuant ainsi la gravité des sentiments, la profondeur du châtiment.

La pièce est également ponctuée par une chorégraphie réalisée divinement par une jeune danseuse qui symbolise merveilleusement bien la passion.

Tout dans la mise en scène de Frédéric Fage entraîne le spectateur dans cette atmosphère à la fois bouillonnante des folies amoureuses et extrêmement lourde, pesante, du créancier qui vient saisir son dû.

Un parti-pris résolument contemporain, donc, que Frédéric Fage explique : “Mon but dans ce projet est, tout en respectant les codes de cette tragi-comédie, de renouveler son genre pour étendre sa diffusion […] et ce, sans trahir les intentions et la philosophie de l’auteur”.

Un tableau diabolique parfaitement dessiné

 

Les trois comédiens rentrent chacun parfaitement dans la peau du personnage qu’ils doivent incarner.

Julien Rousseaux est parfait dans le rôle d’un jeune éphèbe amoureux, épuisé, brisé, voyant dans Gustave une figure tutélaire qui peut le sauver mais qui le mènera à sa perte.

Le jeu de Benjamin Lhommas, ténébreux, démoniaque, est très juste. Il rend parfaitement bien la complexité de la personnalité de Gustave, un irrésistible manipulateur guidé par son envie de vengeance envers Tekla qui l’a fait souffrir. Un personnage à la fois terriblement attirant — il séduira presque à nouveau Tekla lorsqu’ils se retrouvent — et paradoxalement d’une froideur extrême.

Maroussia Henrich donne vie à une Tekla sublime, rousse, sensuelle et volage. L’actrice remplit son contrat de femme forte et incandescente mais fragile, cédant sous le poids des remords, impuissante face à la vengeance de Gustave.

Les Créanciers aborde le thème intemporel du malheur amoureux. Si le spectateur attend naturellement de l’intensité dans les émotions, une perte de contrôle des personnages face à la passion, la pièce fait preuve d’une originalité géniale en plaçant la vengeance sous le sceau de froides créances.  Les Créanciers n’offrent pas vraiment le spectacle d’un déchaînement aveugle de sentiments car l’amour a un prix et l’exécution de la vengeance sera méthodique et froide.

Frédéric Fage saisit parfaitement le message de Strindberg et livre une mise en scène audacieuse qu’il faut saluer. Le spectateur n’est pas convié à découvrir l’autel d’un crime amoureux mais à assister à un recouvrement infernal de créances.

Une pièce à voir avec délectation.

    Tekla : Ainsi, tu viens présenter tes créances ? Gustave : Je viens reprendre ce que tu m’as volé et non ce que je t’ai donné. Tu avais volé mon honneur et je ne pouvais plus le retrouver qu’en prenant le tien. N’avais-je pas raison ?

     

    En savoir plus :

    • Les Créanciers d’August Strindberg à l’Auditorium Saint-Germain-des-Prés (Paris, France) les 12, 13, 18, 19, 25, 26 et 27 janvier 2016
    • Les Créanciers d’August Strindberg au Studio Hébertot (Paris, France) le 15 mars 2016 à 21h, puis du 22 mars au 23 avril, du mardi au samedi à 21H00, les dimanches à 15H00
    • Les Créanciers d’August Strindberg au festival Avignon Le Off 2017, au Théâtre des Corps Saints du 6 au 30 juillet à 18h45 (relâches les 13, 20, 27 juillet)
    Agathe M.

    3 Commentaires

    1. Les Créanciers d’August Strindberg
      Mise en scène de Frédéric Fage.
      Du 15 mars au 23 avril au studio Héberthot.

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