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[INTERVIEW] Tommaso Usberti (“Deux égarés sont morts”)

Dernière mise à jour : avril 11th, 2019 at 03:56 pm

Tommaso Usberti, jeune réalisateur franco-italien qui sortira bientôt de La Fémis, a reçu le 3e prix de la Cinéfondation 2017 pour son court-métrage Deux égarés sont morts. Le réalisateur roumain Cristian Mungiu présidait cette compétition du Festival de Cannes qui présente chaque année une quinzaine de court-métrages d’école. 

Synopsis :

Dans un paysage sauvage Vera (Luàna Bajrami) et Matteo (Piero Usberti) vivent leur premier rendez-vous d’amour. Le père de la fille (Claudio Casadio) les surprend et agresse le garçon. Au terme d’une lutte acharnée Matteo assomme l’homme. Vera demande au garçon de l’emmener danser. Matteo, bouleversé, s’enfuit.

Interview de Tommaso Usberti,
réalisateur de Deux égarés sont morts

 

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© Kristen Pelou

Bulles de Culture : Quel est ton parcours de cinéaste jusqu’à la présentation de Deux égarés sont morts à la Cinéfondation ?

Tommaso Usberti : Je suis en dernière année à La Fémis en réalisation, et Deux égarés sont morts est mon film de fin d’études. Je suis venu à Paris pour La Fémis. Avant j’ai toujours habité en Italie, mais ma mère est française. J’ai grandi en Toscane et très tôt, j’ai su que j’avais envie de faire des films. Parmi les écoles en Europe, le type de cursus que proposait La Fémis était celui qui m’attirait le plus, en particulier pour son côté très pratique: on passe quatre ans à faire des films. Les élèves réalisateurs passent leur temps avec les élèves techniciens. J’ai trouvé ça génial. Il y a beaucoup de moyens aussi. L’apprentissage se fait sur la conception des films.

Ce que je cherchais et que j’ai trouvé à La Fémis, c’est de rencontrer des gens avec qui j’aurais envie de travailler après. C’est le cas avec l’équipe de Deux égarés sont morts. Comme on est très peu, il y a vraiment l’occasion de connaitre bien les autres élèves et ça c’est super. Avant La Fémis j’étais dans mon coin à avoir envie d’être cinéaste: là plein de portes s’ouvrent.

Je trouve aussi, contrairement à certaines personnes, que dans cette école on a beaucoup de liberté. Ce que les élèves proposent est très diversifié.

“Quand on lit un fait divers, en général, c’est un peu glauque, on passe vite à autre chose”

 

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© D.R.

 

Bulles de Culture : Ton film Deux égarés sont morts raconte l’histoire d’amour de deux adolescents rendue impossible par une guerre de territoires entre leurs deux familles dans la campagne italienne. Pourquoi as-tu eu envie de raconter cette histoire?

Tommaso Usberti : Tout d’abord, j’ai grandi à la campagne en Italie, donc c’est un monde que je connais. Je l’ai bien vécu, mais je connais aussi plein de gens qui l’ont mal vécu. À la campagne tout le monde se connait, tout le monde sait les histoires de tout le monde. C’est un environnement qui peut vite devenir oppressant.

Ensuite l’histoire du film vient de la nouvelle Roméo et Juliette au village de l’écrivain suisse Gottfried Keller. Il a repris les éléments du Roméo et Juliette de William Shakespeare, et il a transposé ça à la campagne, en Suisse, au 19e siècle. Et moi j’ai fait une troisième adaptation: ça se passe en Italie aujourd’hui. La rivalité pour le champ, mais aussi un des personnages, étrange et peut-être un peu magique, viennent de cette nouvelle.

Ce qui me plaisait beaucoup, c’était le mélange d’une réalité très concrète, très dure, de la campagne, de la pauvreté… avec une échappée vers le conte sur la fin. J’ai essayé de reproduire ça dans le film, avec un côté un peu fait divers. Il y a ce réalisateur qui fait une enquête privée sur ce qui s’est passé. Quand on lit un fait divers, en général, c’est un peu glauque, on passe vite à autre chose… Moi, je voulais aller voir de plus près les personnes qu’il y avait derrière ça.

“Quand on est avec les deux jeunes, on ne sait pas exactement pourquoi ils ont fini par se tuer”

 

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© D.R.

 

Bulles de Culture : Justement, pourquoi cet ajout du personnage de l’enquêteur ? Car finalement, le film aurait très bien pu tenir debout sans lui.

Tommaso Usberti : J’avais envie qu’il y ait deux points de vue différents. Il y a une partie du film où on est avec les deux jeunes, dans le vif de ce qu’il se passe, et il y a très peu de paroles. Et d’un autre côté, les gens qui sont autour et qui s’interrogent sur pourquoi c’est arrivé, et là, il y a pas mal de paroles.

Où est la réalité dans ces deux manières différentes de voir l’histoire? Quand on est avec les deux jeunes, on ne sait pas exactement pourquoi ils ont fini par se tuer. Et dans l’autre partie, les gens discutent beaucoup, il y a des raisons possibles qui l’expliqueraient. Mais moi, je choisis finalement de rester avec le jeune couple.

“Comme je m’identifie au personnage, ça me plait qu’il soit joué par quelqu’un qui me ressemble beaucoup”

 

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© D.R.

 

Bulles de Culture : Pourquoi avoir choisi de donner un des deux rôles principaux à ton frère Piero Usberti ?

Tommaso Usberti : C’est venu très tôt. Avec mon frère, on est très liés. Il est plus jeune que moi mais on a toujours fait plein de choses ensemble. Et par ailleurs, il a très envie d’être acteur. D’une certaine manière, c’est peut-être un double de moi. Comme je m’identifie au personnage, ça me plait qu’il soit joué par quelqu’un qui me ressemble beaucoup. Pas que physiquement mais aussi dans la manière de voir le monde, pour qu’il l’incarne après.

Du coup, il a suivi vraiment toutes les étapes du film. Il m’a aidé pendant la préparation, il y a même des petites choses du scénario qu’on a écrites ensemble. C’est mon film mais on l’a vraiment construit ensemble.

Bulles de Culture : Tu décides donc de ne pas résoudre l’intrigue ?

Tommaso Usberti : Il y a des gens qui ont vu le film et qui avaient trouvé leur propre explication. Pour eux, c’était simplement la grande jeunesse de ces deux personnes.

En fait, ils sont adolescents et ils font tout à fond: ils commencent à vivre leur amour et c’est impossible de revenir en arrière. Ils savent que ça va être compliqué de vivre leur histoire dans les milieux où ils sont. Mais ils ne veulent surtout pas perdre la force de cet amour-là. Ils veulent rester dans cet instant, c’est pour ça qu’ils se tuent.

J’aimerais bien que ce soit pris comme ça. La mort n’est pas un renoncement, c’est justement pour garder quelque chose.

“Le conte qui arrive dans une réalité quotidienne et banale, c’est quelque chose qui me plait beaucoup”

 

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© D.R.

 

Bulles de Culture : Avec le court-métrage Deux égarés sont morts, as-tu l’impression d’avoir trouvé ton cinéma, un type d’œuvre dont tu veux tirer le fil ? Ou penses-tu que tu pourrais ensuite faire complètement autre chose ?

Tommaso Usberti : Non, je ne crois pas que j’irai complètement ailleurs. Le conte qui arrive dans une réalité quotidienne et banale, c’est quelque chose qui me plait beaucoup et que je suis aussi en train de travailler dans mon projet de long-métrage.

On ne s’y attend pas, on est dans un dispositif qui pourrait friser le documentaire — on voit ça dans des films de Abbas Kiarostami —, et en fait en dessous, il y a un scénario, il y a une structure qui est très tenue, très forte, mais pas du tout affichée. Du coup quand elle ressort, il y a une émotion très forte. Parce que tu as l’impression que c’est vrai.

Quand ça m’arrive au cinéma, c’est quelque chose qui me fascine et donc j’ai envie d’essayer d’aller dans cette direction.

“J’aimerais bien faire des films sans argent, comme la technique le permet aujourd’hui”

 

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© Kristen Pelou

 

Bulles de Culture : Avec cette sélection à la Cinéfondation, ta carrière de réalisateur commence plutôt bien ! Quels sont tes souhaits pour la suite ?

Tommaso Usberti : En dernière année de réalisation à La Fémis, on développe également un scénario de long-métrage qu’on présente pour le diplôme. Ça m’a beaucoup plu, donc je pense que je vais essayer d’aller au bout de ce scénario. Mais je viens de terminer la post-production de Deux égarés sont morts, donc pour l’instant, je n’ai pas d’autre projet précis.

J’aimerais bien faire des films assez diversifiés, et aussi en faire sans argent, comme la technique le permet aujourd’hui. Ça permet de faire vite et pas simplement d’attendre des réponses pendant deux ans. Et puis je trouve intéressant de commencer à travailler avec des contraintes. Se dire OK, il n’y aura pas d’argent et il faut construire un film avec ça.

Propos recueillis au Festival de Cannes 2017 le 26 mai.

 

En savoir plus:

  • Deux égarés sont morts a reçu le 3ème Prix à la Cinéfondation du Festival de Cannes 2017
  • Deux égarés sont morts a été projeté à La Fémis le 4 juillet 2017 puis le sera à La Cinémathèque Française en Octobre 2017
Zoé Klein

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