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© D.R.

Interview / Swen de Pauw pour le documentaire “Maîtres”

Pour son troisième documentaire au cinéma, le documentariste Swen de Pauw s’intéresse dans le film Maitres aux coulisses d’un cabinet d’avocates, spécialisé en droit des étrangers. Christine Mengus et Nohra Boukara se battent au quotidien pour aider leurs clients dans les méandres d’une justice pas toujours très lisibles. Le documentaire est dans les salles de cinéma depuis le 1er février dernier.

Synopsis :

A Strasbourg, un cabinet d’avocates s’est spécialisé en droit des étrangers. Christine Mengus et Nohra Boukara s’y battent chaque jour pour aider leurs clients. Grâce à leur ténacité, leur humour et leur professionnalisme, elles tentent de trouver des solutions humaines face à la Justice et parfois l’injustice de certaines situations. Elles sont pour beaucoup, les avocates de la dernière chance…

Swen de Pauw : le documentariste de l’humain

BDC : Comment avez-vous rencontré les deux avocates de votre documentaire, Christine Mengus et Nohra Boukara ?

Swen de Pauw : Je connaissais déjà les deux avocates. J’ai rencontré Christine par le biais de rencontres professionnelles à Strasbourg. Elles avaient pour but de coordonner plusieurs corps de métiers, professeurs, assistantes sociales, médecins, pour prendre en charge des personnes hors case qui avaient besoin d’aide. J’ai rencontré Nora à l’occasion des 60 ans de l’OTAN. C’était la première sortie de Barack Obama hors des Etats-Unis depuis son élection. L’avocate me dit alors qu’elle souhaitait assigner la préfecture au tribunal administratif suite à la création d’un fichier sauvage et d’entraves à la liberté de circulation. Je ne savais pas que c’était possible d’assigner une préfecture. Je finissais alors mon film sur le psychiatre Georges Federmann. Mon producteur me propose alors d’enchainer sur un documentaire sur ces deux avocates. Au départ, je n’étais pas super emballé. J’avais peur de faire le même film que mon précédent. Mon producteur insiste. Je suis allé à leur cabinet pour répondre à sa demande. Je me suis alors rendu compte que c’était le sujet dont j’avais envie.

BDC : Quelles sont, selon-vous, les qualités de ces deux professionnelles ?

Swen de Pauw : Je travaille sur la notion de « petits pouvoirs ». Je trouve admirable qu’il puisse exister des personnes comme ces deux avocates qui puissent aider les autres. Ce n’est malheureusement pas la norme. Dans beaucoup de domaines, notamment la médecine, les stages sont effectués au service d’établissements publics. Mais une fois en exercice, beaucoup montent une entreprise dans un but lucratif, oubliant parfois leur mission première tournée vers l’entraide. D’avoir des personnes qui mettent à profit leur « petit pouvoir », non pour s’enrichir, mais pour aider les autres, je trouve cela exceptionnel. Le psychiatre de mon précédemment film, c’était exactement pareil. Il aidait ses patients alors que lui-même était endetté. Aide, soutien, accompagnement, ce sont donc les principales qualités que j’ai trouvées à ces deux avocates.

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BDC : Que souhaitez-vous mettre en avant à travers ce film ?

Swen de Pauw : Mon producteur disait que c’est « un film qui rend honneur à la justice française ». On est dans un pays de droit. Les fachos pourront hurler à la mort mais c’est un fait, les émigrés ont des droits dans notre pays. Mon film est là pour le rappeler. A l’instar des plus grands, les émigrés sont eux aussi protégés par un système judiciaire.  Il n’est pas possible de traiter ces personnes n’importe comment.

BDC : Quels sont pourtant les principaux dysfonctionnements au niveau de la justice des étrangers en France selon vous ?

Swen de Pauw : Si la justice dysfonctionne, cela ne vient pas des règles françaises à mon sens. Je prends l’exemple des migrants du bateau Aquarius. La mission de sauvetage a été une aberration car il y a eu des discussions autour de la loi applicable en fonction du lieu du sauvetage. On peut alors parler de dysfonctionnement quand, en droit maritime, on n’arrive pas à fixer exactement le pays qui doit répondre à la demande de secours. Les gens peuvent crever, il y a un statut quo des états qui se renvoient la balle. En revanche, quand il est établi que c’est le droit français qui s’applique, il n’y a plus à mon sens de dysfonctionnement. Néanmoins, la notion de justice dans son unicité n’existe pas pour moi. Il y a plein de justices qui diffèrent en fonction des personnes qui appliquent la loi. Chaque avocat ne va pas plaider de la même façon, chaque juge ne va pas apprécier le texte de la même façon, chaque ministre ne va pas avoir la même politique….

« Je travaille sur la notion de petits pouvoirs »

BDC : Les protagonistes ont-ils réussi à oublier facilement la caméra ?

Swen de Pauw : Je ne voulais surtout pas qu’ils oublient la caméra. Je fonctionne totalement à l’inverse. Je veux que l’équipe de tournage soit vue pour que les protagonistes soient conscients de ce qu’ils disent pendant le tournage. Car ce qu’ils me donnent, je le prends. Je filme sans filtre. Concernant les autorisations de tournage, je donne le contrat et je n’attends surtout pas à ce qu’on me le rende signé tout de suite. Je préfère que les clients consultent des avis extérieurs, leur famille, leurs amis, des associations pour faire traduire le document, avant de me remettre leur consentement. Durant ce délai de réflexion, ils prennent conscience que leur apparition va avoir une portée. Les deux avocates ont d’ailleurs été les dernières à me signer leurs autorisations. Elle voulait voir le film avant afin de bien vérifier que toutes leurs règles déontologiques avaient été respectées : qu’il n’y avait pas de noms de clients qui nous avaient échappés au montage, que tout ce qu’elles disaient dans le film pouvait être diffusé…

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BDC : Pourquoi est-il important pour vous que ce soit un documentaire de cinéma et non de télévision ?

Swen de Pauw : Je tiens à préciser qu’il n’y a aucune hiérarchie dans mon esprit entre un documentaire de cinéma et un documentaire de télévision. Le cinéma est mon milieu, c’est pour cette raison que je me dirige naturellement vers ce média. Par ailleurs, je trouve que le cinéma français de ces dernières années s’adresse toujours à un archétype de spectateurs, blancs et généralement âgés. Avec Maitres, je veux filmer ce que j’appelle des figures cinématographiques différentes, des étrangers en situation délicate, des individus venant de classes sociales pas forcément aisées. J’espère que cette représentativité à l’écran permettra à un autre public de venir en salle pour ne pas laisser le grand écran qu’à une sorte de public. Le théâtre a depuis quelques années entamé une transformation vers plus de diversité, à la conquête de nouveau spectateur.  Je suis convaincu que le 7ème art peut faire de même. Cependant, il y a encore du boulot…

En savoir plus :

  • Date de sortie France : 01/02/2023
  • Distribution France : Nour Films
Antoine Corte

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