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Histoires de la nuit (2020) de Laurent Mauvignier visuel littérature

♥ Critique / “Histoires de la nuit” (2020) de Laurent Mauvignier : chaos en cœurs

Les adeptes l’auront repéré, la rentrée littéraire de septembre 2020 comportait un nouveau roman de Laurent Mauvignier. Remarquées, remarquables, Bulles de Culture vous en dit plus sur ces magnifiques Histoires de la nuit qui nous font osciller entre noirceur et tendresse, entre violence et résilience. L’avis et la critique livre de Bulles de Culture sur ce roman coup de coeur.

Synopsis :

On est au milieu de nulle part, dans le centre de la France, Christine, autrefois parisienne, artiste peintre, est à la gendarmerie. Elle veut porter plainte pour des lettres anonymes qui se font plus menaçantes. C’est Patrice, son voisin qu’elle aime comme un neveu, presque un fils, qui l’a conduite. Patrice, fermier, est écrasé par les dettes et le mépris grandissant de Marion, son épouse, à son égard. Au milieu de ces trois adultes, Ida, la petite fille du couple, grande psychologue s’il en est, réchauffe de sa joie les trois coeurs endoloris. Mais alors que les deux maisonnées s’apprêtent à fêter les quarante ans de Marion, une étrange menace s’insinue et vient sourdre dans le hameau.

Histoires de la nuit : l’obscurité d’un polar

S’il est vrai que l’écrivain Laurent Mauvignier nous a habitué.e.s aux tensions qui éclatent, aux non-dits qui explosent, à tous ces conflits qui nous tiraillent et nous rendent humains, il touche, avec Histoires de la nuit, à un genre qui lui est inédit : le thriller.

Un inconnu inquiétant, un chien tué, une prise en otage, des coups de couteau, des coups de feu, un passé trouble, des enfances traumatiques, une fuite éperdue… et le fameux suspense ! Tous les ingrédients du genre se retrouvent dans ce dernier roman de Laurent Mauvignier, à l’exception peut-être d’une enquête policière en train de se faire.

Et pourtant, Laurent Mauvignier joue avec le genre du thriller plutôt qu’il ne l’adopte : ce n’est pas du mystérieux corbeau que surgit la menace, mais plutôt du passé secret de Marion, qui crève l’écran quotidien du petit hameau avec trois frères dont on comprend qu’ils ne sont pas les bienvenus, sans saisir immédiatement ce qu’ils veulent à Marion et aux autres membres de la petite tribu.

Un huis clos haletant… des huis clos bouleversants

Histoires de la nuit, c’est donc en grande partie ce huis clos tendu qui réunit les trois mystérieux frères, Patrice, Marion, Ida, Christine, puis deux collègues de Marion. Un huis clos dans lequel Laurent Mauvignier excelle à jouer avec nous en retardant, différant, déplaçant sans cesse l’explosion dont on comprend dès le départ qu’elle est inévitable. La tension, parfois insupportable dans son suspense, est riche en révélations, complexe dans son fonctionnement.

Mais à cette trame, somme toute plutôt convenue, se superposent d’autres huis clos, celui de chacun.e des personnages claque-muré.e dans ses douleurs, ses impasses, ses contradictions. Et dans ces huis clos là, la plume de Laurent Mauvignier, comme toujours, excelle.

Nous voici tour à tour embarqué.e avec Patrice, ce travailleur brave, durci par la campagne, malade de l’indifférence de Marion qui se refuse de plus en plus à lui ; Christine, cette artiste au mariage malheureux qui a fui les faux-semblants et s’aigrit de sa solitude ; Marion, cette fille sexy qui tient tête, rebelle, aux avances du contre-maître qui veut la faire tomber, qui fait rêver ses collègues par sa liberté, mais se trouve pourtant enfermée avec cet homme qu’elle n’arrive pas à aimer.

Même les trois frères en viennent à nous toucher. Le cadet, incontrôlable, dont la fêlure avérée s’exprime par des troubles psychiatriques mal compris, mal soignés, parce que rejetés ; l’aîné dont la violence accrue par l’alcool lui fait abîmer qui l’entoure mais qui ne comprend pas qu’il ne sait pas aimer ; et ce troisième, sec, coincé entre les deux autres, qui ne parvient pas à s’affirmer et se trouve pourtant à gérer le petit pendant l’incarcération du grand.

La parole aux abandonné.e.s

Une autre constante chez Laurent Mauvignier, donner la parole à celles et ceux que la société a mal-mené.e.s, a oublié.e.s, n’a pas écouté.e.s, les laissé.e.s pour compte, les invisibles. Histoires de la nuit, en cela, est d’une extraordinaire densité. Chaque personnage pourrait représenter en lui-même un roman ; l’ensemble crée une vaste fresque qui est à la fois sociale, policière, intimiste.

Les sujets de société affluent : violences faites aux femmes, harcèlement sexuel au travail, fracture entre ville et campagne, conditions de vie des agriculteurs, prise en charge des troubles psychiatriques dans les couches populaires, prostitution… Tout cela vient s’imbriquer dans la trame romanesque, y jouer un rôle sans tourner à la caricature, y trouver sa place sans devenir un simple arrière-plan.

Histoires de la nuit est, évidemment, somptueusement servi par la langue, le style, la marque de Laurent Mauvignier. Des phrases longues, hachées ou enlevées, qui épousent à merveille les introspections multiples et talentueuses, à la fois imbriquées, complémentaires et parfois conflictuelles. Introspections entrecoupées de dialogues qui viennent heurter la narration autant que se fondre à elle.

Coup de coeur Bulles de Culture, Histoires de la nuit est, en somme, un beau et long roman, la belle idée d’un heureux cadeau à s’offrir à soi ou à des proches !

En savoir plus :

Morgane P.

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