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Critique / “Une ascension” (2022) de Stefan Hertmans

Une ascension, de Stefan Hertmans, chez Gallimard, s’ouvre par ; « La première année du nouveau millénaire, j’eus entre les mains un livre qui me fit comprendre que j’avais vécu pendant vingt ans dans la maison d’un ancien SS. ».  Cette découverte tardive, due à Zoon von een » foute « Vlaming, Fils d’un Flamand fautif en français de Adriann Verhulst, un de ses professeurs réputé à l’université, raconte son enfance et sa jeunesse dans cette maison auprès de ses parents, Willem et Mientje, de ses sœurs, Letta et Suzanne. Stefan Hertmans était par ailleurs cité comme résident des lieux, alors que la grande bâtisse du quartier populaire Pathersol à Gand, revendue, n’était plus la sienne. Déjà connu pour Guerre et térébenthine, Le cœur converti, le célèbre auteur belge néerlandophone, disposait d’éléments pour faire ressurgir la famille qui le précéda en ces murs, mêlant Histoire et petites histoires, profitant une fois encore d’avoir connu ou habité les bâtiments de ses romans. N’ayant pu rencontrer son ancien professeur, décédé, il dut résoudre moult énigmes, pour donner naissance à Une ascension, chez son fidèle éditeur français.

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Une ascension est à la fois témoignage, enquête, document, roman

Le coup de foudre pour cette demeure, à proximité de la Lys, rivière née dans le Pas de Calais, fut immédiat, dès premier regard en 1979. Déglinguée, décrépie, laissée à l’abandon par les propriétaires, la famille du notaire De Potter, sans résidents depuis de si nombreuses années, malgré tous ses défauts, c’est ce logis que Stefan Hertmans veut absolument acheter.

Peu curieux, l’auteur ne se pose aucune question sur  les derniers locataires, alors même que la visite épique avec le tabellion lui aurait tant appris. L’écrit de son ancien professeur déclenche déplacements jusqu’en Allemagne, rencontres, recherches dans les archives, lecture de lettres ou journaux de Mientje et ses descendants, celles de Griet ainsi que les écrits de Willem.

Par touches successives la vie de cette famille s’esquisse, l’habitation reprend vie dans son contexte de l’époque. Ce travail minutieux réanime les différentes pièces, ceux qui les fréquentaient, ce qui s’y passait, ce qui s’y disait.

Une ascension est à la fois témoignage, enquête, document, roman lorsque cela est nécessaire pour lier toutes les réalités ou pour trouver des substituts aux manques. Tombé sous le charme de cette maison, de manière inexplicable, Stefan Hertmans devint totalement envouté par cette résidence humide, sombre, avec le « salon mortuaire », une grande cave, un bric-à-brac conséquent, où s’épanouissait une belle glycine et où grouillaient des rats.

Très instructif, le livre est remarquablement construit,

Willem ou Wim, fils de diamantaire à Anvers, enfant surprotégé du fait de son handicap, perte de la vue d’un œil, est un homme banal, beau parleur, toujours à courir après les femmes, même celle d’autrui. Après s’être essayé à quelques métiers, il devint commis-voyageur.

Durant l’agonie de sa première épouse, il tombe amoureux de Mientje, une jeune hollandaise croyante convaincue. Pacifiste, anti nazie, portant assistance à tous ceux qui en ont besoin, elle est la bienveillance même, l’antithèse de son mari. Protectrice pour ses enfants, sans savoir précisément ce que trafiquait son mari, elle était consciente de ses actes crapuleux, de son ignoble collaboration, motivés par son nationalisme flandrien exacerbé et le rejet de tous ceux qui parlent français. Elle lui interdit de porter son uniforme SS dans son gîte, d’exhiber tout signe d’appartenance nazi, ce qui ne l’empêche pas d’accueillir des officiers SS, ou de mettre en valeur un buste de Hitler, éclaté par une balle tirée par Willem, finissant concassé à coups de marteau.

Lui le flamingant, se met sans scrupules aux ordres du IIIe Reich. Dans son bureau il établit imperturbablement des listes, recense et dénonce juifs, défenseurs de la culture française, francs maçons et autres opposants supposés. Il remplit diverses autres fonctions et connaît une ascension rapide dans les instances ennemies. Avec Griete, sa maîtresse, sa troisième épouse au décès de Mientje, il est en totale harmonie, partageant la même idolâtrie à l’égard des nazis.

Les échanges avec les filles de Mientje et leurs descendants, montrent que Willem fut un homme encombrant, des années de guerre à sa mort. Jamais il ne modifia ses convictions, et n’exprima le moindre regret. Alternant entre le passé, l’enquête, la visite de la maison, l’ascension s’enrichit de photos de lieux, d’objets divers et des principaux acteurs.

Très instructif, le livre est remarquablement construit, décortiquant avec précision comment un homme insignifiant, lâche, menteur, bascule dans l’abjection, celui que son beau père appelait le “minus flamand“, l’homme qui haïssait les Fransquillons. Une ascension, livre puissant et passionnant bénéficie de l’excellente traduction d’Isabelle Rosselin.

En savoir plus :

  • Une ascension, Stefan Hertmans, Gallimard, janvier 2022, 480 pages, 23 euros
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