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Tu ne trahiras point livre critique avis

Critique / “Tu ne trahiras point” (2021) de Karim Madani

Karim Madani, journaliste free lance, écrivain depuis plus de trente ans, est un expert de la culture hip-hop depuis ses origines, et un auteur de romans policiers. Avec Tu ne trahiras point, paru aux éditions Marchialy, spécialiste des « creative non fiction » ou « narrative non-fiction », le lecteur suit l’épopée des graffeurs parisiens des années 1980 au procès de Versailles, clôturé en octobre 2012, onze ans après la spectaculaire vague d’arrestations de 56 graffeurs vandales. La critique et l’avis sur le livre

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L..

« Tu ne trahiras point », règle suprême, sera aussi transgressée.

En 2001, Luc, alias Comer, mène deux vies. Vendeur de sneakers au Foot Locker des Halles la journée, il est graffeur la nuit, représentant la deuxième génération parisienne de ces artistes nocturnes. Jusque là tout s’est bien déroulé, façon de parler, pour cet enfant de Paris, né en 1973, arrivé dans l’Oise sept ans plus tard. En fréquentant sa cousine Isa, dans le XIVe, lorsqu’il a quatorze ans, il tombe en admiration pour « son style de vie, sa façon de s‘habiller, la musique qu’elle écoute» et « commence à poser son blase sur les murs », le balbutiement avec de simples signatures, des tags. La véritable aventure débute en Tunisie durant les vacances d’été de 1987.

Auprès de sa cousine et de son amie Vega, il découvre le graffiti et ses principes. Investies dans les bandes de l’époque, et dans leur crew BWG, les adolescentes sont actives dans cet art sauvage et rebelle. Si le monde des graffeurs parisiens et de banlieue est très éloigné des groupes américains, délinquants et précurseurs du hip-hop, il n’en demeure pas moins très violent par ses rapines, ses coups et ses bagarres caractéristiques des années 1980 et du début de la décennie 1990. Luc retient le commandement « Tu ne toyeras pas », c’est à dire ne jamais recouvrir de sa signature celle déjà déposée, respect qui disparaîtra dans les années 2000. « Tu ne trahiras point », règle suprême, sera aussi transgressée.

Pour pouvoir taguer, les adolescents de Lagny le sec pillent le matériel nécessaire dans les rayons de diverses enseignes commerciales. C’est le temps de la découverte, de la concurrence, de l’affirmation durant cinq ans avec des tags. Et en 1992, avec son crew OBK, c’est la bascule vers le graffiti, véritable technique artistique qui respecte certains codes dans la réalisation du lettrage. Après quelques essais de blase dont Snake, Cosbin, jaillit Cosmer comme une renaissance après les premiers déboires de Luc avec la justice en 1989. Blase et acronyme enfin trouvés, jamais utilisés par autrui, esthétiques dans leur graphisme, accrocheurs au regard, ils cartonnent durant dix ans, devenant une référence.

De l’excellente narrative non-fiction

Rames de métro, RER, trains, lignes de circulation, tunnels, entrepôts, sont inlassablement pris d’assaut par les bombes de peinture. Sous adrénaline dans leurs actions, fils d’ouvriers, bourgeois, fils de ministre ou de cadre de la RATP, toutes classes sociales confondues, ils marquent de leurs empreintes les territoires interdits. Rien ne leur résiste jusqu’en 2000 quand une véritable croisade contre les graffeurs vandales est déclenchée avec des moyens dignes de la lutte contre de dangereux acteurs du grand banditisme. Pourchassés, traqués, par les troupes de sécurité de la RATP et brigades policières dédiées, ils sont mis sous filatures, écoutes téléphoniques. Des perquisitions sont lancées.

Entre récit et enquête, s’étendant du méga coup de filet en 2001 au procès de Versailles en 2012, Karim Madani insère entre ces deux dates, dans un style vif, un récit structuré, digne d’un polar, déroulant la genèse de cette culture de rue née à New York qui investit Paris en 1982. Véritable bible sur les crews et protagonistes entre Etats-Unis et France, certains faits d’armes sont restitués, ainsi que des cavales mémorables face aux forces de l’ordre. Tu ne trahiras point, très riche en informations, ne se lâche pas, constituant de l’excellente narrative non-fiction. Aujourd’hui encore les écritures calibrées du graffiti ; bubble, wildstyle, throw-up, old school, block letter, 3D, s’offrent aux regards des citadins, appréciées ou rejetées.

En savoir plus :

  • Tu ne trahiras point, Karim Madani, Editions Marchialy, octobre 2021, 300 pages, 19 euros
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