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Critique / “Minnette” (2022) de Shiromi Pinto

Minnette est une des belles surprises des parutions littéraires du premier semestre 2022. Née à Londres, élevée à Montréal, Shiromi Pinto fait une entrée remarquée avec « un roman enivrant », tel qu’indiqué en exergue sur la couverture sobre des éditions Banyan, spécialiste de la culture indienne. La critique et l’avis sur le livre. 

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Minnette de Silva, première femme architecte du Sri Lanka

Édité en 2019 sous le titre Plastic Emotions, Shiromi Pinto fait découvrir Minnette de Silva, première femme architecte du Sri Lanka. Il ne s’agit en aucun cas d’une biographie mais bien d’une fiction documentée axée sur les relations entretenues entre Minnette et Le Corbusier, de trente ans son aîné, tant d’un point de vue intellectuel qu’amoureux.

Minnette, passionnant d’un bout à l’autre, se déploie sur une quinzaine d’années, de 1949 à 1965, de Londres à Colombo, Kandy, Paris, Chandigarh, ou encore Milan, Roquebrune Cap Martin. Indépendant depuis 1948 le Sri Lanka entre dans un monde où changements radicaux et violences se multiplient. L’abandon de l’anglais au profit du cinghalais, le rejet total du tamoul sont annonciateurs des futures émeutes et guerres civiles qui ravageront l’île jusqu’à nos jours. Cet arrière plan parfaitement estompé est dominé par la description détaillée d’une certaine bourgeoisie internationale très aisée, mêlant artistes des milieux de la peinture, du théâtre, de la littérature, ainsi qu’hommes politiques, journalistes et financiers.

Au milieu de cet univers chatoyant où les fêtes se succèdent, où l’alcool coule à flot, Minnette en femme indépendante est rayonnante, séduisante dans ses tenues soyeuses et colorées. Elle, qui aime appeler Le Corbusier « Corbu » se trouve gratifiée d’un affectueux « petit oiseau des iles ». Les échanges entre les deux créateurs, célèbre et renommé pour l’un, inconnue et en devenir pour l’autre, se réalisent quasi exclusivement par correspondance, parfaitement distillée et agglomérée à la pure création littéraire. Chacun mène ses projets, gère ses problèmes et mène sa vie. La relation épistolaire, soigneusement sélectionnée, aborde les sujets les plus divers ; le poids de l’absence de l’autre, les créations architecturales, leurs doutes, leurs espoirs, leurs joies et leurs peines. Ayant bénéficié d’entretiens avec des personnes ayant connu ces précurseurs dans leur art, de l’autobiographie et œuvres de Minnette sur l’architecture du sud est asiatique, réalité et imagination se côtoient subtilement et font de ce mariage réussi entre documents et fiction une des forces de Minnette.

Captivant, séduisant, original, plein de vie

Au milieu de certaines de ses réalisations comme la ville de Chandigarh, la Chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp, la Cité radieuse de Rezé, le Couvent de La Tourette à Éveux, Le Corbusier apparaît comme un éternel insatisfait, égocentrique. A l’inverse, Minette « l’étudiante orientale en architecture passionnée par le Modernisme » demeure méconnue en occident ayant œuvré exclusivement sur son île natale. Difficulté à s’imposer pour celle qui voulait « créer une œuvre qui transcende la polarité homme-femme ». Libre, aux idées avant-gardistes, considérée seulement « comme une extension de son père » elle préféra demeurer dans sa ville de Kandy plutôt que de migrer jusqu’à la capitale de Colombo, centre économique du pays.

C’est l’occasion d’entrevoir « Baby Nona », nom reçu de sa fidèle servante Jaya, dans son environnement familial entre ses parents, Marcia sa sœur et Werner son beau-frère, ainsi que des amis fidèles comme Mimi, Siri, avant la trahison, ou Laki au destin tragique, et la perte de ceux qui ont fui vers l’Australie comme Lakmini et Desmond. Des personnes qui se suivent avec intérêt, certaines connues de Corbu. De très belles descriptions de ces rencontres, les états d’âme de chacun, parsèment ce livre. Les lettres plus ou moins distantes, évoluent progressivement vers une amitié intellectuelle où chacun se libère, écrit avec franchise, évoquant les moments difficiles qu’ils traversent. Aux reproches de Minnette, Corbu répond par des excuses plates ou grandiloquentes. Homme toujours par monts et par vaux, aux quatre coins du monde, il semble fuir son quotidien pour échapper à la longue descente aux enfers de Vonn, son épouse, dont il ne divorcera jamais. Lui le séducteur qui a collectionné les aventures, conserve pour son « petit oiseau des iles » une place particulière jusqu’à son dernier souffle. Il a toujours été un soutien à la jeune architecte, l’encourageant, la félicitant, lui insufflant confiance, quelque soit le lieu où il se trouve.

Annie Montatut et Renuka George, offrent une traduction solide de Minette rend très agréable sa lecture. Captivant, séduisant, original, plein de vie, ce roman éveille les sens, laisse éclater couleurs et odeurs. Minnette de Silva, architecte encore insuffisamment reconnue, se métamorphose en une séduisante héroïne de roman. Une belle réussite des éditions Banyan et de Shiromi Pinto, l’autrice.

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