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Critique / “La plus secrète mémoire des hommes” (2021) de Mohamed Mbougar Sarr

Honorée par le prix Goncourt 2021, la coédition franco-sénégalaise entre Philippe Rey et Jimsaan met en pleine lumière Mohamed Mbougar Sarr, jeune trentenaire, pour son quatrième ouvrage, La plus secrète mémoire des hommes. Un roman, objet de nombreuses critiques dithyrambiques et quelques unes, très rares, laissant apparaître une non adhésion du lecteur. La critique et l’avis du livre. 

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Vibrant hommage à l’écrivain oublié malien, Yambo Ouologuem

Pour apprécier la qualité de l’écriture, la construction, les thèmes, des mots de la langue française devenus rares, il faut se laisser guider par Diégane Latyr Faye dans un véritable dédale. Jeune écrivain, il suit les traces laissées par T.C. Elimane, le « Rimbaud nègre ». Une gloire éphémère l’a submergé après son unique livre, Le labyrinthe de l’inhumain. Après de terribles accusations de plagiat, il disparaît dès 1938, devenant insaisissable. Un destin semblable frappera en 1968 Yambo Ouologuem, malien, premier romancier africain auréolé d’un prix littéraire d’envergure, le Renaudot, pour Le Devoir de violence. Après des critiques acerbes l’accusant d’impostures, il disparaît de la scène littéraire dans les années 1970, se réfugiant sur sa terre natale, dans un total anonymat. Mohamed Mbougar Sarr rend un vibrant hommage à cet écrivain oublié.

La plus secrète mémoire des hommes, clame son amour pour la littérature, la créativité, les écrivains et leurs éternelles interrogations. C’est l’histoire d’un livre culte, devenu maudit, dont une suite existe sans doute, sans être jamais éditée. De rencontre en rencontre, du Sénégal aux quatre coins de la France, d’Amsterdam à Buenos Aires, Diégane va découvrir peu à peu des pans de la vie du fantôme qu’est devenu T.C. Elimane.

De la fin du XIXe siècle à 2018, de la colonisation à nos jours, des tranchées de la Grande guerre aves ses tirailleurs sénégalais à la Shoah, de la dictature argentine aux révoltes du XXIe siècle en Afrique, une foule de personnages surgit des souvenirs des uns et des autres, d’articles de presse. À la différence de son frère qui toute sa vie durant vécut au Sénégal, c’est sa passion pour la culture française qui a permis à T.C. Elimane de venir taquiner la bourgeoisie française sur les bancs des grandes écoles à Paris. Ainsi il suit les traces de son père, disparu durant la première guerre mondiale. Considéré comme une curiosité exotique, non reconnu pour son talent, il se jette corps et âme sur ce qui doit être l’œuvre de sa vie, rejetant tous les cursus d’enseignement supérieur.

un livre captivant, plein d’intelligence

Après près avoir enfin lu Le labyrinthe de l’inhumain grâce à Marème Siga D., l’Araignée-mère, la scandaleuse écrivaine sénégalaise, c’est après l’ombre du mythique T.C. Elimane que court Diégane. Véritablement hanté, il partage son enthousiasme avec ses amis, Musimbawa, Fausti, Eva et « la sensuelle et énergique Béatrice Nanga ». Un véritable jeu de pistes s’engage, à l’écoute des récits de différents interlocuteurs ou de ceux retransmis par un tiers, et  par le Journal estival de Diégane.

Pour apprécier la prose magnifique qui traverse La plus secrète mémoire des hommes, laissez vous guider par Aïda, jeune métisse algéro-colombienne, Brigitte Bollème et ses compères critiques littéraires, Charles Ellenstein et Thérèse Jacob, éditeurs, ou Denise, « avec de longues jambes fines et un beau cul ». Et il y a aussi Ousseynou Khoumak, l’oncle d’Elimane, l’homme aux trois femmes, qui n’aima que Mossane. Et il y a tant d’autres connaissances à faire, comme à Buenos Aires, avec les célèbres écrivains Ernesto Sábato et Witold Gombrowicz, devenus de véritables acteurs du roman. De ci, de là sont éparpillés les noms de grands auteurs du XXe siècle, avec en arrière fonds une réflexion lancinante sur le rapport qu’entretiennent création littéraire et société.

La plus secrète mémoire des hommes, est un livre captivant, plein d’intelligence, complexe mais fluide, qui relève le niveau des traditionnelles distributions des prix d’automne. La plume de Mohamed Mbougar Sarr, critique, sans concession est alimentée par le pouvoir de l’imagination, allié à celui de la réflexion. Très nombreux sont les auteurs qui se sont éloignés de la littérature, « … trop asservis aux prix littéraires, aux flatteries, aux dîners mondains, aux festivals, aux chèques … ». Avec ses mystères, ses secrets, ses légendes, sa profusion de sujets abordés, sa richesse lexicale, le talent de conteur de l’auteur, La plus secrète mémoire des hommes, est tout simplement passionnant.

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Bulles de Culture - Les rédacteur.rice.s invité.e.s

4 Commentaires

  1. Je n’ai pas pu finir ce livre qui n’en finit jamais on ne saura jamais rien sur le sujet du le labyrinthe de l’inhumain

  2. Excellent roman. Il ouvre sur des champs trop larges. Même s’il est parfois déroutant, il doit être lu. J’ai publié mon propre commentaire sur https://www.antoine-alexiev.com/la-plus-secrte-mmoire-des-hommes-sarr.

  3. Je l’ai lu par curiosité ;un sénégalais lauréat du prix goncourt…
    Il merite le prix,ce roman qui a parlé pour la jeunesse africaine pour tous les hommes…les plus secrètes memoire nous en avons tous!!! Mais on est très lâche pour les sortir..
    Merci Bougar pour ce cadeau

  4. Accrochez vous, ça en vaut la peine !
    Les premières pages m’ont ennuyées, le style est un peu lourd, une impression que l’écrivain se regarde écrire. Et puis….je me suis accrochée, et je me suis faite happer, complètement emporter par cette histoire qui traverse les époques, les continents. C’est magnifique, plein de réflexions, de mots étonnants, de mystique, d’histoire(s), de personnages très différents et intéressants. J’ai lu les 100 premières pages en 3 semaines, et les 350 dernières en 3 jours. Je ne regrette pas de m’être accrochée. Prix largement mérité, bravo à l’auteur.

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