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Le Stradivarius de Goebbels Yoann Iacono

Critique / “Le Stradivarius de Goebbels ” (2021) de Yoann Iacono

Si vous aimez l’Histoire, les biographies, les romans vrais, les relations passionnelles, la musique, Le Stradivarius de Goebbels de Yoann Iacono, au format poche chez J’ai lu depuis janvier 2023, en édition originale chez Grasset en 2021, livre consacré à Nejiko Suwa, violoniste japonaise d’exception, est fait pour vous. Le 22 février 1943 se déroule à Berlin une « cérémonie qui cimente l’alliance des deux nations », Allemagne nazie et Japon impérial, où Goebbels remet en mains propres à la jeune virtuose un Stradivarius à l’origine douteuse. La critique et l’avis sur le livre

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L.

Le Stradivarius de Goebbels : Un livre agréable à lire, rythmé, porté par une écriture directe

Après avoir bénéficié des meilleurs enseignants au Japon, la jeune artiste débarque à Bruxelles en 1936 avant de rejoindre Paris en 1938 pour y parfaire ses acquis. Jusqu’en en août 1944 depuis « un vaste appartement », rue Saint-Louis en l’Île, qui « appartenait à un musicien » mis à sa disposition par le Reich, elle participe à des concerts auprès de soldats allemands, blessés de guerre. Son encombrant cadeau, Le Stradivarius de Goebbels, la suivra durant sept décennies. Dans une Europe en guerre, sous la baguette de Wilhelm Furtwängler elle se produit exclusivement en Allemagne et en Autriche. Refusant de se déplacer dans un pays conquis par la Wehrmacht, il y délègue la direction du Berliner Philharmoniker à Hans Knappertsbusch. Devenue membre de la célèbre institution musicale, sur décision du ministre de l’Éducation du peuple et de la Propagande du Reich, Nejiko se produit à « Copenhague, Malmö, Oslo, Lisbonne, Madrid, Budapest, Rome, Genève, Paris…, » villes ou non conquises. Sa grande période d’artiste hors du Japon prend fin avec la guerre. De retour sur sa terre natale, elle retrouve « les impressions paisibles de son enfance, les senteurs qu’elle avait fini par oublier », loin de la réalité des sans logis qui vivent dans le métro, de l’absence de nourriture due aux récoltes faméliques, des « patients qui meurent dans les hôpitaux, plus d’inanition que de maladie ». En 1947 et 1948 les spectacles s’enchaînent auprès d’un « d’un public moins averti qu’à Paris, Vienne ou Berlin et qui a un goût plus prononcé pour  le shamisen traditionnel que le violon. » Vedette d’un concert de charité en plein air à Los Angeles en septembre 1951, elle observe quelques années plus tard un silence complet durant trente ans. À soixante trois ans, en 1983, elle offre un ultime récital avec Le Stradivarius de Goebbels avec lequel il lui a été si longtemps interdit d’interpréter « Mendelssohn, un compositeur allemand juif ».

Une femme complexe, ambivalente, qui a tout donné à son art, sans engagement politique apparent, mais qui a bénéficié d’indéniables avantages des dirigeants nazis. Jalousée pour son Stradivarius, critiquée, attaquée durant et après la guerre, elle connut un sort identique à ceux dont la probité fut mise en cause, bien que non nazis, non adhérents du national socialisme. Artistes de théâtre, de cinéma, musiciens, écrivains, journalistes, et tant d’autres furent ainsi pourchassés légitimement ou à tort, au regard de leurs compromissions réelle ou présupposées. Après une guerre aussi dévastatrice et criminelle que celle de 39-45, des interrogations, des doutes, des regrets, assaillent nombre de ceux qui ont vécu cette période. Rien de tel ou si peu chez Nejiko Suwa, qui solitaire et mélancolique est effleurée cependant par un sentiment culpabilité et traverse des dépressions. Ses meilleures années furent celles de 1936 à 1945 à Bruxelles, Paris et Berlin, comme étudiante ou violoniste expérimentée, simple adolescente puis jeune femme.

Son indissociable compagnon est incontestablement son Stradivarius (ou son Guarneri comme le pensent certains spécialistes). Ensemble, ils voyagent, sillonnent les scènes internationales, traversent les frontières sans jamais le moindre contrôle. Elle l’a toujours bichonné, caressé, protégé. Mais dès le début elle a eu du mal à communier avec lui, à en obtenir toute sa quintessence, à en faire jaillir un son sublime. Elle perd ses repères devant cet ancêtre de plus de trois cent ans. « Les violons ont une âme mais ils ont aussi une mémoire », encore faut il en connaître l’histoire et ses propriétaires dont le dernier pour le sien fut sans doute un juif français spolié de ses biens.

Notre avis ?

Recherches dans les archives, rencontres, ont mobilisé quatre années durant le primo romancier Yoann Iacono, en France, Allemagne, Etats-Unis, Japon. Entre univers musical et Histoire, Le Stradivarius de Goebbels, sous prétexte d’une enquête, aborde l’absence de culpabilité et de remords d’une virtuose, égoïste, face au racket d’un objet d’art en période de guerre. Un livre agréable à lire, rythmé, porté par une écriture directe, enrichi par l’imagination de l’auteur, qui trouve sa place parmi les bons romans historiques.

En savoir plus :

  • Le Stradivarius de Goebbels, Yoann Iacono, Slatkine et Cie, janvier 2021, 268 pages, 17 euros –  J’ai lu, janvier 2023, 288 pages, 8,10 euros
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