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Donbass critique livre avis (2)

Critique / “Donbass” (2020) de Benoît Vitkine

Benoît Vitkine, correspondant du Monde à Moscou, connaît bien l’Ukraine pour avoir couvert la guerre du Donbass, région minière, à l’est du pays, déchirée depuis 2014 entre partisans légalistes et opposants séparatistes russophones appuyés par les forces russes. Auréolé du Prix Albert Londres en 2019, ce journaliste expérimenté se lance dans la fiction, sous forme d’un polar. Ce n’est qu’un prétexte pour évoquer la destruction de cette région par cette guerre larvée, constater les traces indélébiles laissées par la guerre d’Afghanistan parmi les anciens combattants et de manière plus générale dans toute la population, ainsi que les conséquences de la désagrégation de l’ex-URSS. La critique et l’avis du livre Donbass.

Cet article vous est proposé par un rédacteur-invité, le chroniqueur Chris L..

Donbass : reportage de guerre, teinté de roman policier

À Avdïivka, ville proche de Donetsk, à proximité de la ligne de front, Henrik Kavadze, colonel de la police locale, proche de la retraite, ancien militaire, a combattu les moudjahidines sur leurs terres. Ébranlé par la disparition de sa fille, il continue de cohabiter avec sa femme, avec difficulté. Il trouve réconfort et apaisement auprès de sa jeune maîtresse, une prostituée. Il se noie régulièrement dans l’alcool, pour tenter d’oublier. Vodka et autres boissons font des ravages innombrables au sein de la gent masculine. Nombreuses sont les veuves dans cette région à cause de l’éthylisme. Accidents, rixes, guerres, mine sont également de grands pourvoyeurs en défunts. Outre leurs époux, elles ont parfois perdu un fils, un frère, un neveu, un ami. Seules, sur la ligne de front, sous les obus, les roquettes et les canonnades sporadiques, elles répètent quotidiennement et inlassablement les mêmes gestes de leurs minuscules vies. Face aux décès, aux ruines accumulées, aux souvenirs prégnants qui les assaillent, elles cachent dignement leurs désespoirs, leurs peurs, leurs traumatismes les plus profonds.

Cette zone sinistrée connut ses heures de gloire grâce à son bassin minier, avec coke et anthracite, le roi des charbons, à profusion. Les usines démembrées, après le démantèlement de l’ex-URSS, sont devenues la propriété de mafieux locaux, véritables oligarques. Avides de respectabilité, leurs opérations illicites et trafics perdurent néanmoins, avec la fraternelle collusion sur le marché de la drogue entre légalistes et séparatistes. Le Donbass, qui a toujours connu la grisaille, frappé par une guerre fratricide, voit s’accentuer la misère, le chômage, le développement de la corruption chez les hommes politiques, les fonctionnaires, police incluse.

Henrik, désabusé, a sombré dans une relative apathie. Il réussit à sortir de sa léthargie lorsqu’un jeune garçon est retrouvé mutilé dans un terrain vague. Il se sent dans l’obligation de rechercher le coupable. Son enquête périlleuse va le faire replonger dans son passé en Afghanistan, et le confronter à ce qu’il a voulu effacer de sa mémoire. Il va affronter ceux qui refusent certaines vérités et qui se contentent de conclusions simples et hâtives, refusant de risquer la remise en cause de leurs situations. Il va se faire manipuler, se fourvoyer, se battre, se saouler, avant de résoudre cette sordide affaire.

Véritable reportage de guerre, teinté de roman policier, Donbass met en avant une population qui refuse ou qui ne peut pas fuir la zone de combat. Cette fiction très prenante, portée par une écriture vive, se révèle plus percutante qu’un article de presse, permettant de ne pas oublier la guerre du Donbass, en cours en Europe.

En savoir plus :

  • Donbass, Benoît Vitkine, Livre de poche, mars 2021, 320 pages, 7.70 euros
  • PRIX SENGHOR 2020 DU PREMIER ROMAN FRANCOPONE ET FRANCOPHILE
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