Ben Macintyre, historien de formation et chroniqueur au Times, est passionné par le monde de l’espionnage. Les Éditions de Fallois viennent de publier Agent Sonya, de son vrai nom Ursula Kuczynski, la plus grande espionne de la Russie soviétique. Précédemment, était paru chez le même éditeur, repris par Pocket durant ce second semestre, L’espion et le traitre, récit d’un transfuge du KGB, Oleg Gordievsky, vers le célèbre service de renseignements extérieurs du Royaume-Uni, le MI6. La critique et l’avis.
L’espion et le traitre : “le meilleur récit d’espionnage” selon Le Carré
Les recherches effectuées, basées notamment sur des centaines d’heures d’entretiens avec ceux ayant côtoyé la taupe russe et le principal intéressé, aboutissent à une remarquable enquête. John Le Carré, le célèbre romancier qui vient de disparaître, déclarait à propos de L’espion et le traitre : « Le meilleur récit d’espionnage que j’aie jamais lu ». Et il savait de quoi il parlait car il avait été un membre actif au sein du MI6 et du MI5.
Né en 1938, Oleg Gordievsky, est élevé au biberon du KGB. Son père, taciturne, membre du NKVD, ancêtre du KGB, est un pur et dur qui a participé aux purges des années 1936 et1938, et autres infamies. Vassili, son frère aîné, travaille aux affaires spéciales à l’étranger et y effectue des actions troubles. Jamais les deux frères ne se confieront l’un à l’autre. Seule sa mère a un esprit d’indépendance affirmé autant qu’il puisse l’être dans ce pays cadenassé. Doué pour les langues étrangères, Oleg a une voie toute tracée pour œuvrer au sein du KGB.
Envoyé comme interprète durant six mois, pour sa fin d’études, à l’ambassade de Berlin-Est en 1961, il assiste le lendemain de son arrivée à l’édification d’un mur séparant la ville en deux entités. Cette première désillusion ne l’empêche pas d’entrer officiellement au service du KGB en 1963.
Le déclic final en 1968, durant son détachement à l’ambassade russe de Copenhague, est la répression du soulèvement de Prague. Un désenchantement manifeste grandissant, un retour à Moscou dans les bureaux, un mariage qui se délite, un rappel miraculeux dans la capitale danoise, marquent les débuts du jeune espion encore fidèle à son pays. Il recroise son ami tchèque Kaplan qui a fui à l’ouest, rencontre le véritable amour à Copenhague et ébauche les premières approches avec le MI6. Ce sont ses convictions idéologiques qui conduisent Oleg à franchir le Rubicon.
Se replonger dans la guerre froide
À l’opposé dans L’espion et le traitre, l’appât du gain est le moteur qui anime un agent de la CIA, basculant vers le KGB. Chacun trahit sa patrie, en dénonçant des hommes ou des femmes oeuvrant contre les intérêts de leurs nouveaux maîtres. La différence est essentielle pour les traîtres : la prison pour ceux qui ont servi le KGB et la mort pour ceux au service des puissances occidentales. La vie d’Oleg, rapatrié à Moscou puis envoyé à Londres, avec sa nouvelle épouse, devient de plus en plus compliquée.
Sérieux, impliqué, doué d’une colossale mémoire et d’une impressionnante résistance, as pour déjouer les filatures, il a tous les atouts du grand espion. Soupçonné, soumis à de fortes pressions psychologiques à son rappel à Moscou, il active le plan de sauvetage rocambolesque du MI6 pour sauver sa vie. Imaginé bien en amont de son déclenchement, quitte à ne jamais être mis en oeuvre, il faut être prêt à tout instant, prier un peu et compter sur la chance.
Lire L’espion et le traitre, c’est se replonger dans la guerre froide, rencontrer la dame de fer, Margaret Thatcher, les caciques du KGB, de la CIA ou du MI6. Les tensions, la peur, les inquiétudes sont parfaitement restituées, tout comme la solitude. L’espion et le traitre, se révèle passionnant, clair, documenté, avec toute la rigueur de l’historien et la plume alerte du journaliste.
En savoir plus :
- L’espion et le traître, Ben Macintyre, Pocket, septembre 2020, 552 pages, 8,40 euros
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