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Nous, l'Europe, Banquet des peuples de Laurent Gaudé par Roland Auzet image théâtre
© Christophe Raynaud De Lage / Festival d'Avignon

♥ Critique / “Nous, l’Europe, Banquet des peuples” de Roland Auzet et Laurent Gaudé

Dernière mise à jour : septembre 26th, 2020 at 04:02 pm

Avec Nous, l’Europe, Banquet des peuples, Laurent Gaudé et Roland Auzet signent un spectacle total fascinant au Festival d’Avignon en 2019. L’avis et la critique théâtre de Bulles de Culture sur ce spectacle coup de cœur.

Synopsis :

Qu’est-ce qui a donné naissance, sens, forme à l’Europe ? Qu’est ce qui a fait naître le monde que nous connaissons ? Nous, l’Europe, Banquet des peuples interroge l’Histoire, les histoires, les individus que nous sommes et pose la question de l’identité européenne.

Nous, l’Europe, Banquet des peuples : une forme composite aussi envoûtante que captivante au Festival d’Avignon 2019

Nous, l'Europe, Banquet des peuples de Laurent Gaudé par Roland Auzet image théâtre
© Christophe Raynaud De Lage / Festival d’Avignon

Il ne faut s’attendre à rien avec Nous, l’Europe, Banquet des peuples. En tout cas, à rien que l’on connaisse, à rien dont on ait l’habitude. Laurent Gaudé est un grand écrivain de théâtre ; il l’a montré déjà ; il livre ici une création inédite dans lesquels les personnages sont omniprésents et pourtant aucun n’est très identifiable. Sont-ils un pays ? Une région ? Une origine ? Une génération ? Un état d’âme face à l’Europe ? Ils sont aussi les voix d’une narration historique qui fait tomber les frontières et imagine l’Europe comme un seul acteur historique.

Les scènes s’enchaînent, au sens figuré mais aussi au sens propre. Entre Histoire en marche, destinées des individus ou des peuples, et morcellement de vies écrasées sous les bottes d’une force historique en marche et funestement menaçante, on voit poindre la problématique de l’accueil des migrants. Sujet de honte parmi d’autres. Point d’appui pour Laurent Gaudé.

À cette écriture originale, Roland Auzet ajoute un décor spectaculaire avec un large mur qui écrase ou recule, une barre de néons dont les ombres deviennent rails ou barreaux, des jeux de vidéoprojection psychédéliques et une dimension musicale résolument rock. Sa mise en scène va vers le grand plutôt que vers le singulier. Elle met en valeur l’atmosphère épique autant que la noirceur de ce qui est à l’œuvre.

Il résulte de cela une création qui n’est pas proprement du théâtre, pas proprement du concert, pas non plus entièrement un débat. Mais cette création composite épouse à merveille les bouleversements qu’elle narre, les horreurs qu’elle montre, la sidération qu’elle produit. Si l’on accepte de se défaire de tout a priori, on ne peut qu’être entièrement happé-e par le spectacle total et subjuguant qu’est Nous, l’Europe, Banquet des peuples.

Une épopée historique glaçante

Nous, l'Europe, Banquet des peuples de Laurent Gaudé par Roland Auzet image théâtre
© Christophe Raynaud De Lage / Festival d’Avignon

On connaît l’écriture de Laurent Gaudé, tournée vers l’extérieur, vers les drames humains qui se nouent et dont il se fait l’écho. Il nous emmène avec Nous, l’Europe, Banquet des peuples dans une relecture de l’Histoire à laquelle il nous a peu habitué-e-s. Et ses clefs d’interprétation interpellent autant qu’elles convainquent.

Laurent Gaudé interroge en effet ce qui a fait la genèse de l’Europe, pas de l’Union européenne, mais de l’Europe au sens un peu plus large. Qu’est ce qui a préfiguré notre UE bien avant qu’elle ne soit imaginée ? L’hypothèse qu’il formule nous fait remonter jusqu’en 1830, l’invention de la première locomotive The Rocket. Cette invention va de pair avec l’exploitation naissante du charbon. C’est cela qui change le visage du continent une première fois, et — c’est la lecture qu’en fait Laurent Gaudé et cela fait froid dans le dos — préfigure l’usage dramatique qui sera fait du rail quand il s’agira d’envoyer des millions d’hommes à la mort un siècle plus tard.

C’est le premier élément qui forge l’identité européenne. Celui qui l’accompagne est plus sombre encore et nous emmène en 1885, moment où les États se réunissent pour se partager le continent sur lequel ils entendent dominer : l’Afrique. Cet héritage colonial, nous ne l’ignorons pas. Même si nous ne lui faisons presque jamais complètement face. Même si c’est un élément sur lequel l’Histoire que nous apprenons glisse vite dessus, sans chercher d’aspérité. Le texte de Laurent Gaudé — et l’énergie effroyablement forte d’Emmanuel Schwartz qui en est le porte voix principal durant le spectacle — met le public face à ce qui est oublié, tu, caché sous un silence complaisant : les premières atrocités de masse, les premières horreurs basées sur une distinction de races.

C’est à la lumière de ces éléments que Nous, l’Europe, banquet des peuples relit les deux conflits mondiaux, relit aussi tous les conflits qui assombrissent sacrément les débuts de la collaboration européenne. Une collaboration qui n’empêche pas les feux de déchirer les Balkans, les régimes autoritaires de germer à l’Est ou en Grèce. De là, Laurent Gaudé nous entraîne au fil des soubresauts qui vont jusqu’à la crise grecque.

Nous, l’Europe, Banquet des peuples : un spectacle aux airs de tragédie antique 

Nous, l'Europe, Banquet des peuples de Laurent Gaudé par Roland Auzet image théâtre
© Christophe Raynaud De Lage / Festival d’Avignon

Nous, l’Europe, Banquet des peuples, c’est en somme un spectacle politique, musical, visuel, épique, donné en outre dans un lieu qui joue du gigantesque, la cour du lycée Saint Joseph Avignon. Cela n’est pas sans rappeler le spectacle que devait être la tragédie antique. Ajoutons la présence du chœur, d’un coryphée et de musiciens.

Ce n’est d’ailleurs pas tout ! Le spectacle alterne entre Histoire et individus, entre parole dialoguée, chant lyrique, chanson. La vidéoprojection vient remplacer les masques antiques en accentuant le visuel, en augmentant la tension dramatique. Les textes de Laurent Gaudé épousent magnifiquement cette forme. Son écriture est dans Nous, l’Europe, Banquet des peuples éminemment musicale et poétique. On retrouve certains de ses textes de poésie parus dans De sang et de lumière. Ils sont sublimes dans ce cadre. Magnifiés encore.

Une distinction de taille entre la tragédie antique et Nous, l’Europe, Banquet des peuples, c’est la lecture de l’Histoire qui y est proposée. Pas de dieux, de forces supérieures, d’acharnement du destin. On voit qu’horreurs et catastrophes prennent leur source dans les décisions méprisantes d’hommes qui se pensent supérieurs. La fatalité, c’est l’horreur dont l’humanité est capable. Le volume sonore, volontairement excessif, est comme le triste écho de cet effroi qu’on ressent à observer les abysses de l’Europe.

C’est cependant sur une note positive que s’achève le spectacle avec un moment de communion musicale indescriptible. L’idée d’un hymne qui incarne, plus que l’hymne à la joie, l’idée d’une cohésion, d’un chœur d’individus d’horizons différents, l’idée d’un monde qui rassemble, celle de l’égalité des droits, de l’abolition de la peine de mort par exemple. C’est un spectacle coup de cœur de Bulles de Culture.

 
 
 
 
 
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Attendre le début de Nous l’Europe, le Banquet des peuples et voir passer Laurent Gaudé ❤❤❤ #FDA19 @festivaldavignon

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Nous l’Europe, banquet des peuples, une création époustouflante! #BdC vous raconte vite ❤❤❤ @festivaldavignon #LaurentGaude #RolandAuzet #critique #Théâtre #top #FDA19

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En savoir plus :

  • Nous, l’Europe, Banquet des peuples a été joué au Festival d’Avignon 2019 du 6 au 14 juillet
  • Tournée du spectacle en France, en Suisse et en Pologne : le 18 juillet 2019 à Châteauvallon – Scène Nationale, les 7 et 8 octobre 2019 à la Maison de la Culture d’Amiens ; les 9 et 10 janvier 2020 au Théâtre de l’Archipel , scène nationale de Perpignan ; du 14 au 16 janvier 2020 au MC2: Grenoble ; les 23 et 24 janvier 2020 au Théâtre du Passage de Neuchâtel ; les 28 et 29 janvier 2020 à l’Odyssud Blagnac ; le 3 février 2020 à Ma scène nationale de Montbéliard ; le 6 février 2020 au Théâtre Cinéma Paul Eluard de Choisy-le-Roi ; du 11 au 14 février 2020 au CDN de Tours ; les 3 et 4 mars au Théâtre scène nationale de Saint-Nazaire ; le 10 mars 2020 à Le Parvis Scène Nationale Tarbes-Pyrénées ; le 13 mars 2020 au Théâtre Molière-Sète, Scène nationale archipel de Thau ; les 17 et 18 mars 2020 au Théâtre-Sénart, Scène Nationale ; le 21 mars 2020 au Teatr Polski Bydgoszcz en Pologne ; du 25 mars au 2 avril 2020 au Théâtre Gérard Philipe CDN de Saint-Denis
Morgane P.

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