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Critique / “Ghostland” (2017) de Pascal Laugier : pour une vie sans fantômes

Dernière mise à jour : octobre 14th, 2020 at 03:03 pm

Avec Ghostland, son quatrième film, et après le controversé Martyrs (2008), le réalisateur français d’horreur Pascal Laugier creuse encore plus le sillon d’un cinéma de genre à la fois populaire et exigeant. Après deux nouvelles récompenses en Espagne et avant sa sortie italienne, voici pourquoi Pascal Laugier est un nom sur lequel on doit compter. Avis, critique et analyse film d’un rédacteur-invité.

Cet article vous est proposé par un rédacteur-invité, le chroniqueur Grégory Undomiel.

Synopsis :

Suite au décès d’une tante, Pauline (Mylène Farmer) et ses deux filles héritent d’une maison. Mais dès la première nuit, des meurtriers pénètrent dans la demeure et Pauline doit se battre pour sauver ses enfants. Un drame qui va traumatiser toute la famille mais surtout affecter différemment chacune des jeunes filles dont les personnalités vont diverger davantage à la suite de cette nuit cauchemardesque.
Tandis que Beth (Crystal Reed) devient une auteur renommée spécialisée dans la littérature horrifique, Vera (Anastasia Phillips) s’enlise dans une paranoïa destructrice.
Seize ans plus tard, la famille est à nouveau réunie dans la maison que Vera et Pauline n’ont jamais quittée. Des événements étranges vont alors commencer à se produire…

Ghostland : un cinéma de point de vue

“Une histoire est valable à partir du moment où je comprends qui me la raconte”. Cette parole de Pascal Laugier, issue d’une interview après la projection en avant-première au BIFFF (Brussels International Fantastic Film Festival) en mars 2018 résume tout son cinéma. Tout film est donc une question de regard, de point de vue : au réalisateur de choisir un angle précis pour raconter son histoire. Une seule perception de la réalité, un choix de mise en scène, un parti-pris. Par définition, la démarche est donc subjective, mais d’après Laugier, ce n’est que par ce biais que l’identification à un personnage peut s’opérer — on ressent celui-ci à travers ses yeux, ses sensations, sa façon de se mouvoir dans l’espace. Pour être crédible, le film doit procéder selon la volonté d’un auteur.

La chose n’est bien sûr pas nouvelle : elle participe d’une longue tradition du cinéma dit “de genre”, de ces films un peu marginaux, proposés auparavant dans des circuits alternatifs et souvent décriés à leur sortie : le fantastique, l’horreur, la science-fiction.  Ces films “bis” sont souvent très marqués visuellement et empreints de scènes fortes au langage polysémique : au premier degré domine souvent un grotesque pouvant prêter à rire (réaction évidente à la peur), tandis qu’en sous-couche plane, pour qui souhaite chercher au-delà, un message politique ou une esthétique forte. Au-delà des apparences, c’est bien de cela qu’il s’agit ici.

Dans les années 70 et 80, deux cinéastes italiens l’ont déjà bien compris : Mario Bava et Dario Argento travaille alors sur un sous-genre en soi, le “giallo” — du nom des couvertures jaunes des polars sanguinaires qui sévissent alors en Italie —, soit du gore, du fétichisme dans les meurtres et un talent inouï pour proposer au regard d’autres perception de la réalité.

Par exemple, les dix premières minutes de Suspiria dudit Argento illustrent bien en 1977 ce phénomène : les danseuses du film sont en danger, tout le suggère, mais il est impossible de comprendre d’où viendra la menace. Les plans, l’architecture, les couleurs, la lumière et la musique : tout est baroque et délicieusement grandiloquent mais aussi étonnamment sensoriel et intime.  La difficulté de l’entreprise repose sur ce savant dosage entre fascination et manipulation : on y croit, on veut entrer dans cette démarche et comprendre où on est emmené.

D’autres réalisateurs “du regard” sont à nommer : Alfred Hitchcock, bien sûr, le maître à tous — le classique Psychose et sa fameuse scène de la douche ainsi que le travail autour de l’étrange Norman Bates et des décors du film —, ses héritiers Brian De Palma, David Cronenberg et David Lynch (la claque Mulholland Drive), Wes Craven (les sagas Scream et Freddy, La Dernière Maison sur la gauche, La Colline a des yeux), George A. Romero (son mythe du zombie), M. Night Shyamalan (Sixième Sens) ou même Pedro Almodóvar (La Peau que j’habite)…  les exemples sont légion.

Pascal Laugier, le réalisateur qui nous intéresse pour cette critique, revendique pleinement ces influences. Il en est un fan absolu, il les a digérées et tente modestement, en quatre films, de suivre la lignée de ses illustres collègues,  en gardant en filigrane cette poésie décalée. Les premières scènes de Ghostland sont donc comme autant d’avertissements : “Attention, vous pensez avoir affaire au banal, je vais pourtant vous avoir. Et seulement si vous le désirez, je vous donnerai des indices”.

Le pouvoir de créer des histoires

Le film Ghostland commence comme un “home invasion”. Dès le début, on apprend que le modèle de Beth est Howard Phillips Lovecraft (“Best horror author.  Ever“) et il lui a fallu vivre le violent traumatisme de séquestration pour écrire ses plus terrifiants romans.  Seulement, se faisant, elle s’est détachée de sa sœur.  Elle n’a pas entamé de processus de résilience mais elle est toujours coincée dans la maison et se repasse cette séquence d’horreur en continu, comme une boucle infernale. Pourquoi ne pas avoir déménagé pour vivre, à l’instar de Beth, une autre vie ?

Le spectateur se pose furtivement la question, trouvant ce choix aberrant, alors que, tapi dans l’ombre, ce roublard de Pascal Laugier se moque de nous : bon sang, pensez au point de vue !  Mais on l’oublie pour ré-assister à ce cauchemar éveillé, avec force détails malsains et anxiogènes — les tortionnaires sont de gros pervers autistes et détraqués. Le rythme devient oppressant et l’ensemble se laisse regarder, même si l’on sent, sans pouvoir se l’expliquer, que le jus ne prend pas.  Et là, hop, rupture soudaine de rythme et de regard : ouf, Pascal Laugier contrôle bien son navire.

Mise en abîme avec tour à tour les raconteurs d’histoires Lovecraft, Beth et Laugier. Impossible dès lors d’en dire davantage, sous peine de gâcher le concept même de Ghostland. Soyez donc prévenus : Ghostland, comme les autres œuvres du cinéaste français, est radical et jusqu’au-boutiste.  The Secret (quel titre !) ou Martyrs ne fonctionnaient pas autrement : souvent incompris, mais ayant le mérite de rafraîchir le paysage audiovisuel francophone, si frileux d’audace créative.

Acteurs convaincants et symboliques

Les dernières surprises du long métrage Ghostland viennent de son casting : tout d’abord, Mylène Farmer, qui n’avait plus joué au cinéma depuis 24 ans — la réalisateur l’avait rencontrée pour les besoins d’un récent clip de la chanteuse, City of Love — et dont la réédition de l’album Désobéissance le vendredi 30 novembre 2018 ravit tous ses fans. Son personnage de femme forte intrigue : bien que secondaire, il délivre un déroutant message (limite pernicieux) sur la création artistique (encore !).

Les deux psychopathes sont incarnés par des acteurs au physique hors norme, tels des créatures de conte — les clins d’œil à Hansel et Gretel sont amusants. Quant à Crystal Reed, star teenager des séries Teen Wolf et Gotham, c’est presque grâce à sa seule notoriété que le film a pu être financé. Son visage d’actrice s’imbrique à merveille dans celui de son personnage plus jeune joué par Emilia Jones, dernier trompe-l’œil, si besoin était encore de le rappeler.

Une pluie de récompenses

Semaine après semaine, de pays en pays, Ghostland a tracé sa route dans le paysage européen, avec une nouvelle sortie prévue le 6 décembre 2018 en Italie, pays du maître de l’horreur transalpin Dario Argento !

Et après sa triple victoire au Festival International du Film Fantastique de Gérardmer en 2018 (Grand Prix, Prix du public et Prix du jury Syfy) et son succès d’estime dans les salles de cinéma en France et en Belgique, Ghostland a encore raflé plusieurs prix en Espagne à quelques jours d’intervalle.

D’abord, au Nocturna Madrid Film Festival avec les deux prix les plus importants de la soirée, Meilleur film et Meilleur réalisateur, et ensuite au Festival de Cine de Terror de Molins de Rei avec les récompenses de Meilleur scénario et Prix du public. Soit une bonne raison de (re)mettre ce film en avant !

Vous aussi, mettez vos jugements au placard et soyez curieux !

En savoir plus :

  • Date de sortie France : 14 mars 2018
  • Distribution France : Mars Films
  • Film interdit aux moins de 16 ans
  • Le film Ghostland est disponible en DVD/Blu-Ray chez TF1 Vidéo depuis le 14 juillet 2018
Bulles de Culture - Les rédacteur.rice.s invité.e.s

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