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Nous partons pour ne plus vous donner de soucis affiche

[CRITIQUE] “Nous partons pour ne plus vous donner de soucis” de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini

Dernière mise à jour : mai 20th, 2017 at 12:21 am

Le Centre Dramatique National Besançon Franche-Comté nous a invités à une bouffée de Grèce et d’Italie, mais loin du soleil et des sourires de papier glacé. Notre avis sur Nous partons pour ne plus vous donner de soucis de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini qui interroge la crise grecque de 2012.

Synopsis :

Ils sont quatre sur le plateau, ils vont vous jouer une pièce qui parle de quatre retraitées grecques qui décident, sur fond de crise économique à Athènes, de se donner la mort ensemble pour épargner à la société le coût qu’elles représentent. Oui, mais voilà, la troupe n’est pas d’accord pour vous jouer cette pièce, et vient vous expliquer pourquoi.

Nous partons pour ne plus vous donner de soucis :
Une vertigineuse mise en abyme

 

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© Elizabeth Carecchio

 

Vous voici en Italie – la pièce est surtitrée – et l’on parle d’un fait divers qui a donné lieu à une pièce de théâtre : quatre retraitées athéniennes décident ensemble de se donner la mort pour ne plus peser sur la société. On ne vous jouera pas cette pièce et c’est sur ce refus que s’ouvre le spectacle.

« Nous partons pour ne plus vous donner de souci », c’est ce mot laissé par les quatre suicidées. Et la pièce de théâtre Nous partons pour ne plus vous donner de soucis vous raconte ces retraitées, ce qui s’est passé. On vous décrit, l’appartement, le quartier, la pluie qui tombe à verse, les passants qui s’arrêtent, la propriétaire qui se lamente, les cartes d’identité laissées sur la table de la cuisine, la bouteille de vodka qui n’a pas été rangée.

 

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© Elizabeth Carecchio

 

Nous partons pour ne plus vous donner de soucis vous explique aussi, pourquoi il est important de dire non et pourquoi il est important de ne pas jouer ce drame qui pourtant a donné lieu à une bonne pièce de théâtre.

Vous voici le témoin, en somme, de ce drame qui s’est joué dans la banlieue d’Athènes, et qui résonne si fort dans le cœur des comédiens de cette troupe italienne et dans le chœur tragique que forment ces deux hommes et ces deux femmes qui disent aussi cette société malade.

Échos tragiques

 

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© Elizabeth Carecchio

 

Car le cas de la Grèce et de ces retraitées acculées par la brusque crise qui secoue le pays vient interroger chacun des quatre protagonistes. Chacun, à tour de rôle, vient vous livrer en quoi ce fait divers fait résonance en lui.

L’indifférence devant la cruauté des réalités économiques, la mort lente des petits commerces, les galères pécuniaires de chacun, les petits calculs que l’on fait pour faire des économies, les nuits blanches quand on se réveille en se demandant comment on peut passer la quarantaine et n’avoir toujours rien économisé, ces amis qu’il faut héberger quand ils se trouvent devant l’incapacité de payer leur loyer, etc.

 

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© Elizabeth Carecchio

 

C’est une Italie prise à la gorge. C’est la voix de ceux qui se taisent et qui espèrent échapper miraculeusement à la mauvaise fortune. C’est un cri de révolte et d’indignation. Un cri de douleur aussi.

Et c’est à travers ces échos tragiques du fait divers grec que reviennent les ombres des quatre femmes qui se donnent la mort.

Nous partons pour ne plus vous donner de soucis :
Un face-à-face avec la mort

 

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© Elizabeth Carecchio

 

À quoi ont-elles pensé ces femmes ? Quels ont été leurs derniers moments ? Leurs derniers regrets ? Comment fait-on face à la mort et à sa réalité, sa stupide réalité ? Et comment matérialiser cela sur scène ?

Les interrogations que la mise en abyme fait apparaître sont éminemment humaines : comment l’homme est-il poussé à vouloir se tuer et comment fait-il face à la mort ? L’émotion est forte alors. Et dans le décor dépouillé qui est choisi, la mort et son sale drap noir envahissent chacun et viennent déranger le spectateur, le remuer.

C’est, somme toute, par la généralisation que le fait divers retrouve sa violence et vient s’incarner. Ces milliers de morts, les suicidés de la crise grecque, ont ici retrouvé leur voix, ont enfin retrouvé une voix.

La pièce Nous partons pour ne plus vous donner de soucis a été récompensée, en 2013 et en Italie, du Prix Ubu de la meilleure création. Et ce prix est amplement mérité. Car l’ensemble est parfaitement mené : un détour bien cadencé par quatre destins autres pour dire l’atrocité de cette mort consentie à la société, une force de dénonciation extraordinaire, un poing levé haut et fort.

 

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© Elizabeth Carecchio

 

C’est un spectacle fort d’émotion et d’indignation, rythmé par les contradictions, les aveux, les débats, qui renvoie chacun à son humanité propre et à ce qui fait de lui l’homme qu’il est : sa volonté de rester digne.

 

En savoir plus :

  • Nous partons pour ne plus vous donner de soucis a été joué au Centre Dramatique National Besancon Franche-Comté (CDN Besançon Franche-Comté) du 7 au 9 mars 2017. Elle sera jouée du 30 mars au 1er avril 2017 au Théâtre de Lorient puis le 19 mai 2017 au Centre National de Création et de Diffusion Culturelles de Chateauvallon (CDNC de Chateauvallon)
  • Durée de la pièce : 1 heure
  • Spectacle en Italien, surtitré en Français
Morgane P.

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