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[CRITIQUE] “Merlin, Cycles I et II” par la Compagnie En Eaux troubles : un voyage enchanteur

Dernière mise à jour : avril 16th, 2021 at 04:54 am

Invitée au Théâtre du Soleil et sous le patronage d’Ariane Mnouchkine, la Compagnie En Eaux Troubles propose Merlin, Cycles I et II, une adaptation de la Terre dévastée de Tankred Dorst. Une épopée osée et brillante.

Synopsis :

Merlin (Martin Van Eeckhoudt), fils du diable lui-même, est envoyé sur terre dans une intention démoniaque. Résistant au dessein de son père, il décide toutefois de créer un monde bon, un monde de justice et de courage. C’est le roi Arthur  (Ghislain Decléty) qui sera l’incarnation de cet idéal. Et les chevaliers qu’il réunit autour d’une table ronde dans une volonté d’égalité en seront les bras armés. De la construction du royaume d’Arthur à la quête du Graal, on retrouve tous les épisodes de la célèbre geste héroïque.

 

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© D. R.

 

Servi par une troupe jeune, sublimée par la mise en scène de Paul Balagué, Merlin, Cycles I et II est un pari d’audace, mais aussi un spectacle courageux. La compagnie ose une pièce tout en longueur, et elle fait très bien ! Il faut dire qu’elle s’est déjà illustrée dans une adaptation réussie : celle du roman de Steinbeck, Des Souris et des Hommes, mise en scène également par Paul Balagué, et récompensée de plusieurs prix.

Sur les terres de Kamelot

 

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© D. R.

 

L’œuvre de Tankred Dorst propose une vision parodique, ironique, parfois grinçante de l’épopée arthurienne. Elle comporte un défaut, celui de présenter 97 dialogues autour d’un univers dense. La mise en scène de Paul Balagué exploite avec brio cette densité. Nous naviguons ainsi dans un monde complexe, guidés habilement dans ce long périple au cœur de la matière de Bretagne. Les personnages se multiplient dans le premier cycle de Merlin, quand l’utopie arthurienne progresse jusqu’à atteindre son apogée. L’action se resserre ensuite autour des protagonistes, dans le second cycle, en même temps que la tension dramatique s’accentue.

Le voyage est d’autant plus plaisant que l’on rit beaucoup. On oscille sans cesse entre ironie et parodie. Et dans ce décalage permanent, on sent l’influence de la série française Kaamelot et celle de la série américaine Merlin. On joue sur les mots, les quiproquos ; on s’amuse des situations, des caractères : le panel du comique est employé dans toutes les nuances qu’il offre, sans lourdeur, sans excès. Le jeu des comédiens est toujours juste et parfaitement maîtrisé.

On ne fait d’ailleurs pas que rire dans Merlin, Cycles I et II. Les registres sont variés d’un bout à l’autre de la pièce. On trouve ainsi des passages d’une grande poésie, des scènes de combat bien menées, des moments d’une émotion vraie et sincère. On ne s’ennuie jamais. Et cela est d’autant plus notable que la pièce se compose de deux morceaux de 3h45 chacun. L’énergie de la troupe nous entraîne joyeusement. Nous voilà au cœur d’une vaste épopée, d’une saga parfaitement mise en œuvre.

Merlin, Cycles I et II :
une lecture contemporaine

 

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© D. R.

 

Un décor minimaliste mais extrêmement dynamique, des costumes qui jouent du décalage entre le Moyen Âge et monde actuel, c’est bien à une lecture contemporaine de la geste arthurienne que Paul Balagué nous invite dans Merlin, Cycles I et II. Le comique n’efface pas la réflexion : l’espoir et l’élan qui président à la construction d’un monde utopique laissent place à une quête d’absolu, le Graal, qui se révèle être vaine. L’échec de l’idéalisme souhaité par Merlin et mis en pratique par Arthur conduit à la lente déconstruction d’un monde qui était pourtant né des meilleures intentions. Tout cela résonne en nous, que l’on convoque des catastrophes historiques (les totalitarismes par exemple) ou les limites de notre monde contemporain : qui d’entre nous a encore la force de chercher le Graal ?

La pièce Merlin, Cycles I et II touche également à des passions universelles : amour, jalousie, frustration, ambition. La mise en scène de Paul Balagué exploite cette universalité avec talent : la passion amoureuse s’incarne dans un morceau chorégraphique d’une grande intensité, les émotions trouvent des échos dans des passages chantés. L’ensemble est mis en valeur par une utilisation audacieuse de l’espace.

Merlin, un personnage énigmatique

 

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© D. R.

 

Si Merlin donne son titre au spectacle, ce n’est pas un hasard. Démiurge malin dans la première partie, démiurge découragé dans la seconde, Merlin est bien au cœur de la pièce Merlin, Cycles I et II, qu’il soit absent ou présent.

Il faut saluer d’ailleurs la performance remarquable de Martin Van Eeckhoudt, qui donne entièrement corps au personnage étrange qu’est Merlin : rieur, gentil démon, enchanteur inquiétant, magicien idéaliste, homme épuisé. C’est en lui que se font toutes les luttes. Connaissant l’avenir, clairvoyant, ambitieux, il essaye de faire naître un monde parfait, mais il faut bien que le monde soit tiraillé par les mêmes passions que celles qui le déchirent intrinsèquement. C’est en tout cas sur la construction et la mise en lumière de Merlin que la relecture de la geste arthurienne trouve sa force et son élan.

C’est aussi Merlin qui nous entraîne au cœur de l’épopée arthurienne et qui nous guide ; nous le suivons sans hésiter. Et nous ne regrettons pas le voyage ! Le spectacle Merlin, Cycles I et II, surtout dans sa version intégrale, nous offre une véritable pause complètement hors du monde ; on sort de la salle fasciné, émerveillé, ému, et presque triste que tout cela prenne fin.

 

 

En savoir plus :

  • Merlin, Cycles I et II au Théâtre du Soleil (Paris, France) du 2 septembre au 30 octobre 2016
  • La pièce Merlin se jouera aussi en intégrale nocturne le 31 octobre 2016 au Théâtre du Soleil, de 22h à 6h du matin pour les audacieux !
  • Site officiel de la pièce de théâtre Merlin
Morgane P.

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