Sur Bulles de Culture, art, cinéma, littérature, musique, spectacles, télévision... chaque jour, la culture sort de sa bulle.
Les pieds dans le tapis image-17
© Florent Travia

♥ [Interview] Nader T. Homayoun (“Les pieds dans le tapis”, 2016)

Dernière mise à jour : avril 11th, 2019 at 04:29 pm

Auréolé de 5 prix au Festival des Créations Télévisuelles de Luchon 2016, le téléfilm franco-iranien Les pieds dans le tapis de Nader T. Homayoun est un coup de cœur de Bulles de Culture. Rencontre avec son réalisateur.

 

Synopsis :

Une veuve, Parvaneh Farshtchi (Golab Adineh), et son fils, Morteza Farshtchi (Babak Hamidian), tentent de rapatrier en Iran le corps du patriarche familial, mort d’une crise cardiaque à Brive-la-Gaillarde…

Les pieds dans le tapis,
un film coup de cœur de Bulles de Culture

 

Écrit à 4 mains avec le co-scénariste Philippe Blasband (Les Émotifs anonymes, Marie Heurtin), Les pieds dans le tapis de Nader T. Homayoun est une excellente comédie qui fait s’entre-choquer les cultures et les langues. Pyrénées d’Or de la Meilleure Fiction Unitaire, Prix de la Meilleure Interprétation Féminine, Prix du Meilleur Réalisateur, Prix du Meilleur Scénario et Prix de la Meilleure Musique Originale au Festival des Créations Télévisuelles de Luchon 2016, Les pieds dans le tapis est un vrai film de cinéma à la télévision.

Nous avons eu la chance de rencontrer le réalisateur Nader T. Homayoun et de discuter avec lui de ce film coup de cœur pour Bulles de Culture.

Bulles de Culture (BdC) : Quelle est la genèse de Les pieds dans le tapis ?

Nader T. Homayoun : Je pars d’abord d’un désir de genre ou d’un désir formel. On est parti sur un constat avec mon producteur [NDLR : Nicolas Blanc, AGAT Films & Cie] qu’on voyait très peu de comédies iraniennes ou très peu de films de comédie qui traitent de l’Iran. On s’est aussi rendu compte lors de nos voyages, que ce soit nous en Iran ou que ce soit les iraniens qui viennent en France, qu’il y avait un décalage assez intéressant à traiter là-dedans qui remonte aux Lettres persanes. Donc on s’est dit qu’il fallait qu’on sente qu’il s’agit d’une histoire entre nos deux pays. Donc je suis parti sur l’idée très simple d’un vendeur de tapis car les tapis iraniens sont très connu dans le monde, c’est le produit de luxe en Iran.

BdC : Et l’idée de l’embargo autour du cadavre ?

Nader T. Homayoun : On l’a eu très rapidement parce qu’on s’est souvenu d’un film de Billy Wilder, Avanti avec cette histoire d’un homme qui vient chercher le cadavre de son père dans une île au sud de l’Italie. L’administration italienne était tellement lente qu’il a fallu rester 2-3 jours sur l’île. Il fallait donc que notre personnage reste en France, qu’il ne parte pas trop vite avec le cadavre et que c’était l’embargo qui en était la raison la plus improbable mais en même temps la plus crédible cinématographiquement. L’absurdité de l’embargo m’est aussi venue du quotidien des gens. Les gens ont beaucoup souffert de l’embargo. Les politiques du monde entier ne s’en sont pas rendus compte : ils ont voulu mettre la pression sur le gouvernement iranien et  l’économie iranienne en bloquant les banques, mais ils n’ont pas pensé qu’il y a eu beaucoup d’iraniens qui ont voyagé, qui ont vécu à l’étranger. Et avec des banques bloquées pendant 7-8 ans, on a été incapable d’acheter des appartements, d’envoyer de l’argent à ses enfants qui étaient étudiants, de vouloir même s’exiler ou s’expatrier à l’étranger en vendant sa maison… Cet embargo a été très, très dur pour les iraniens. L’État avait ses solutions pour le contourner. L’embargo a été plus dur à supporter pour le peuple d’Iran que pour l’État. Donc cet embargo nous a paru comme un bon point pour radiographier la difficulté d’être iranien, même à l’étranger. Déjà, c’est dur d’être iranien et de vivre en Iran et en plus, avec toutes ces contraintes-là, aller à l’étranger, c’est encore plus dur.

“Dans ce film,
tout passe par la communication”

 

BdC : Et pourquoi Brive-la-Gaillarde ?

Nader T. Homayoun : Parce qu’on cherchait le dépaysement total par rapport à Téhéran. On cherchait un contraste avec ce qui se passe à Téhéran, dans cette ville avec ses 17 millions d’habitants, ses 5 millions de voitures dans les rues, son bruit, sa pollution, son univers totalement apocalyptique. On voulait aller dans une ville avec le dépaysement le plus total pour des iraniens, comme s’ils allaient sur une autre planète. Ils avaient même du mal à prononcer le nom. On a pensé à 4-5 villes en France et on est allé à Brive parce qu’ils ont un bureau de cinéma. Et le cinéma, c’est aussi ça, on va là où on a envie de toi, là où il y a une infrastructure pour accueillir le film.

BdC : Pourquoi 3 langues dans Les pieds dans le tapis ? La mère parle français mais son fils doit passer par une interprète chinoise pour se faire comprendre par les français.

Nader T. Homayoun : Parce que dans ce film, tout passe par la communication. C’est un film sur la communication et le manque de communication à l’ère de la communication. Dans cette ère où tout le monde communique, on se rend compte que peut-être dans un couple, entre un homme et une femme, la communication la plus basique n’existe pas. Ce sont ces mariages arrangés, ces gens que l’on met l’un à côté de l’autre et qui vont vivre pendant 40-50 ans et qui ne se parlent pas, qui ne savent pas se parler. Un homme peut avoir une fille à l’étranger, mener une double vie et ne jamais en parler à sa femme. Cette incommunicabilité entre les gens est intéressante à traiter et ce n’est pas une question de langue. Vous pouvez parler la même langue et ne pas vous comprendre. Mais vous pouvez aussi parler avec quelqu’un en chinois pour que celui-ci traduise en français et que les gens se comprennent. Et c’était amusant pour moi de voir que peut-être Morteza [NDLR : le personnage du fils interprété par Babak Hamidian] et Lin [NDLR : le personnage de l’interprète joué par par Zhuoer Zhu] ont plus de points communs entre eux que sa femme et lui qui vivent ensemble depuis longtemps, parlent la même langue mais ne se comprennent pas.

BdC : Pour rester sur le thème de la communication, je voudrais revenir sur les idées visuelles pour la représenter, notamment ces petites bulles qui apparaissent quand le téléphone sonne…

Nader T. Homayoun : Très rapidement avec Philippe [NDLR : Philippe Blasband, le co-scénariste du film], je me suis interrogé sur la visualisation de cette communication, c’est-à-dire comment voir des gens qui s’appellent et faire soit des montages parallèles, soit une voix off… On s’est dit que c’était trop facile et que ce serait trop rébarbatif. Cela a été un travail assez joyeux car on avait un champ libre énorme et assez prenant car ça a duré 4 mois. J’ai dû avec des graphistes réfléchir sur un visuel. Dans l’esprit des gens, dès qu’on pense SMS, on pense House of Cards. J’ai donc revu la série sous cet angle. Et je me suis rendu compte que dans la série, il n’y a que des SMS alors que dans mon film, il y avait plus que des SMS à traiter. Et les SMS dans House of Cards sont traités de manière extrêmement sobre. C’est un SMS qui apparaît sur un fond transparent, etc.. On s’est donc régalé pour traiter cette hyper-communication dans le film. Il fallait que ce soit à la fois informatif et comique.

BdC : Et l’autisme ?

Nader T. Homayoun : L’autisme, c’est la communication aussi. Philippe est très proche de l’autisme et il a souhaité amener dans le film le monde de l’autisme où le second degré n’existe pas. C’est donc une autre manière de communiquer qui était intéressante à traiter de manière sous-jacente dans le film et qui a apporté, je pense, un beau relief au film.

C’est un film sur la communication
et de manière sous-jacente sur l’amour

 

BdC : J’aimerais parler de la scène du mariage arrangé dans Les pieds dans le tapis. Cela se passe vraiment comme ça en Iran ?

Nader T. Homayoun : Cela se passe comme ça et pas comme ça. C’est juste la limite du cinéma, jusqu’où cela peut aller. Aucun iranien ne m’a dit sur le tournage : “mais Nader, ça ne se passe pas comme ça”. J’ai un peu exagéré et forcé le trait mais un mariage arrangé avec deux familles qui ne se connaissent pas, ça existe. Très rapidement, on rentre dans le vif du sujet : l’argent, la dot, le salaire du fils, est-ce qu’il a une maison ? qu’est-ce qu’il offre à ma fille ? Cela peut être même extrêmement désagréable et très brutal à nos yeux. Mais peut-être que chez eux, c’est tout à fait naturel.
Et c’est intéressant de voir  aussi l’amour. C’est un film sur la communication et de manière sous-jacente sur l’amour. Tous les personnages du film sont en quête d’un amour possible et ce qui est intéressant, c’est que cet amour aux yeux de certaines familles iraniennes, il n’existe pas du tout. Une femme qui a épousé un homme, jamais elle ne se permettra de tomber amoureuse d’un autre homme. Morteza, jamais il ne se permettra d’aimer une autre femme. Et donc c’est intéressant de raconter l’histoire d’un homme qui va découvrir un sentiment amoureux avec une inconnue et se dire que lui aussi est peut-être passé à côté de sa vie. Parce que ses parents lui ont dit d’épouser untel et qu’il vit avec elle alors qu’il se rend compte peut-être qu’il ne l’aime pas parce que l’amour, il le découvre autrement et le rencontre pour la première fois de sa vie. Et il comprend que sa fille a peut-être besoin de faire un mariage amoureux et non pas un mariage arrangé comme ses parents et lui. C’est pour ça que cette forme d’un faux mariage arrangé qui est basé sur l’amour est une manière pour leur fille d’ouvrir leurs yeux à leurs parents. Même la mère de Morteza [interprétée par Golab Adineh] va peut-être tombée amoureuse. Donc il y a un futur probable et possible où chacun va peut-être faire la mème chose que le père décédé, avoir un amant à Brive-la-Gaillarde et venir une fois par an pour revivre avec lui.

BdC : Parlons du casting de Les pieds dans le tapis et notamment du choix de Michel Vuillermoz pour le rôle de Hughes, un personnage qui va éprouver des sentiments pour la mère de Morteza ?

Nader T. Homayoun : Michel était vraiment mon premier choix. Hughes était pour moi un personnage à la frontière de quelque chose de très ennuyeux ou de totalement fou. Il fallait un grand acteur comme Michel qui puisse tenir la note pour être dans une sorte de poésie d’un homme qui arrive et qui s’éprend d’une femme et qui est très gentil, très joyeux. Il fallait pour ce rôle quelqu’un qui ait une poésie dans l’âme.
Aurélia Petit [qui joue la deuxième femme de l’homme décédé], je l’ai vue dans 3-4 films. Elle a une grâce, quelque chose de céleste dans son rapport aux gens, dans son regard et dans sa manière de parler.
Avec Golab Adineh qui joue la mère, c’est une actrice que j’aime depuis 30 ans. J’avais envie de travailler avec cette actrice qui était différente des autres actrices iraniennes. Elle a un naturel qui est extrêmement précieux pour le cinéma iranien où les acteurs en font des tonnes. Et j’ai beaucoup galéré pour trouver une actrice francophone. J’ai casté 3-4 actrices et elles n’étaient pas bonnes pour le rôle et je demandais autour de moi si Goulam ne parlait pas français mais tout le monde me disaient que non. A un mois du tournage, j’ai demandé à mon assistant iranien d’appeler Golam pour lui demander si elle parlait français. Il l’a appelée et elle lui a dit : “bien sûr que je parle français”. On a fixé un rendez-vous et elle m’a dit : “J’ai pris des cours de français, il y a 38 ans. Rien que pour venir te voir, j’ai sorti mon cahier de cours de langues et en lisant, les phrases me sont revenus. Je ne parle pas français mais je peux te faire une promesse, c’est que j’apprendrais les dialogues par cœur”. Elle les a appris pendant 1 mois avec un prof de français.
Babak Hamidian dans le rôle du fils, c’est un acteur formidable, merveilleux qui est d’une justesse incroyable. C’est une des stars du cinéma iranien comme Golam. Lui, il a besoin de challenge dans un film. Et avec ce film, celui-ci était tout trouvé : apprendre le chinois correctement. Il a appris pendant un mois avec un coach.
Et pour les acteurs autistes, j’ai eu la chance d’en trouver un en Iran, celui qui le joue est un vrai autiste. Pour les autres, nous avons eu beaucoup de chance car il est très compliqué de travailler avec des autistes en France parce qu’on ne peut pas travailler avec eux longtemps, on ne peut pas les diriger facilement. Ce qu’on a fait, c’est qu’on a fait une sélection de films sur l’autisme et on est allé voir une école de théâtre à Limoges. Là-bas, ils ont travaillé pendant 15 jours avant le tournage avec des jeunes étudiants sur la thématique de l’autisme. Il y a donc eu une vingtaines de jeunes qui ont répété avec leur prof et ils sont arrivés et c’était très troublant car ils étaient déjà dans la peau d’un autiste. Ils ont vraiment bien travaillé.

BdC : Pour conclure, d’où vient l’idée du tapis du générique de Les pieds dans le tapis ?

Nader T. Homayoun : C’est un tapis que j’ai découvert dans le bazar de Téhéran. Quand j’ai tourné les scènes du bazar, j’ai vu un immense tapis qui racontait l’histoire de l’Iran. Tous les personnages que vous y voyez, ce sont des rois, des prophètes, des personnalités, des lieux connus de l’Histoire de l’Iran.

BdC : Merci.

Propos recueillis au Festival des Créations Télévisuelles de Luchon 2016 le 6 février.

En savoir plus :

  • Les pieds dans le tapis a été diffusé sur Arte le 27 mai 2016 et est disponible en replay pendant 7 jours
Jean-Christophe Nurbel

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.