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À L’Est - couverture

[CRITIQUE] “À L’Est” (2015) de Jean Gab’1

Dernière mise à jour : mars 25th, 2019 at 12:30 pm

En 2013, Jean Gab’1, connu dans le milieu du rap sous le pseudo MC Jean Gab’1, publiait Sur la tombe de ma mère : il y racontait notamment son parcours dans la délinquance et le banditisme, après que  son père eut assassiné sa mère alors qu’il était enfant. Il revient cette année avec un nouveau récit d’inspiration autobiographique,  À L’Est.

Synopsis :

Charles M’Bouss nous rappelle dans son « Avis au lecteur » que tout a basculé avec cet événement tragique, à la suite duquel il se retrouve à la Ddass, trimbalé de foyers en maisons de corrections. Aujourd’hui encore, il le confesse : « Toute l’histoire de ma vie tourne autour de ma daronne » (cf. interview à LCI). Adolescent à Paname, il découvre le hip-hop et le rap, entre dans le gang des Requins vicieux et part assez vite en tôle où il passe deux ans. En 1988, attiré par l’aventure, il met les voiles pour l’Allemagne, premier point de chute avant la grande tournée des Balkans jusqu’à Istanbul et l’envol, enfin, pour le grand Ouest, Chicago, où il rencontre encore d’autres pointures…

À L’Est :
Le salaire de la peur

Dans ce périple, « on the road »,  qui l’amène à traverser l’Autriche puis l’ex-Yougoslavie, celle d’avant la fin du communisme, il doit livrer des voitures de luxe volées à Istanbul. Ce qui ne se fera pas sans difficultés ni montée d’adrénaline : il faudra poudrer à plusieurs reprises pour pouvoir continuer.  A l’arrivée, l’oseille est au rendez-vous et ça ouvre des perspectives : l’équipée sauvage fait la fête, drague les filles ou va au bordel avant de rentrer au bercail toute jouasse. « On a réussi, super ! »

La deuxième partie du livre À L’Est nous emmène à Chicago, où Charles est hébergé dans une famille du  quartier de Cabrini Green. Il comprend alors ce que veut dire le mot « ségrégation » : « Chez les cheese-cakes, y avait de vrais hostos. Dans ce pré carré-là, le bamboula n’est pas le bienvenu, il est suspect pour tout, mis en boîte par principe de précaution préalable. » Les  vols à main armée, les agressions, les rixes, la dope, la défonce et les meurtres  pour un regard de travers font désormais partie de son quotidien. « La faucheuse et l’oseille étaient à tous les coins, c’était les supermarchés de la drogue à grande échelle ». Un monde impitoyable qui n’est pourtant pas dénué de tendresse. Néanmoins, il ne tarde pas à comprendre que s’il ne veut pas « pioncer chez le croque-mort », il a intérêt à « changer son fusil d’épaule »

La jactance de Paname

Jean Gab'1 - image
© Sophie Daret

Bien sûr, son nom d’auteur fait immédiatement penser à l’acteur français et ce n’est évidemment pas fortuit. C’est au Moncorgé des films de truands dans années 50-60 que l’auteur rend hommage : Touchez pas au grisbi (1954), Le Cave se rebiffe (1961), Mélodie en sous-sol (1963), Le Clan des siciliens (1969)...

Tout le plaisir que À L’Est procure vient d’une maîtrise absolument extraordinaire, inventive, toujours fraîche, renouvelée, surprenante et délectable de ce qui faisait les grands dialogues de Michel Audiard : l’argot parisien des voyous, utilisé dans un contexte décalé, quasi contemporain. Un peu comme si Gabin et Audiard se retrouvaient chez Tarentino ou les frères Coen. Florilège : « Le coco enchaînait les embardées, autant dire qu’on était dans un cercueil à roulettes ». Ou encore : « L’arbitre a tenté de faire son job, mais contrarier César sur son turf, c’était signer son arrêt de mort ».

Délits et châtiment

Jean Gab'1  - image
© Sophie Daret

Dans l’avant-propos de À L’Est, Jean Gab’1 ne cherche pas à s’attirer la sympathie du lecteur, en évoquant une quelconque rédemption, ni à lui tirer la larme à l’œil : « Au fil des pages, rangez les jugements moraux dans l’arrière-boutique car je n’ai pas le temps de me justifier sur mes actes. (…) Tout bien gambergé, si c’était à refaire, je n’aurais rien changé ». Il n’est pas le seul dans l’histoire littéraire : il suffit de se remémorer Rousseau, promettant de dire toute la vérité sous le regard de Dieu et déniant à ses semblables le droit de le juger pire qu’un autre. Expliquer son projet fait partie des lois du genre.

On part donc sur un programme où le pragmatisme fait loi : « J’étais pas devenu un exemple mais un expert de la démerde ». On aurait aimé cependant quelques réflexions sur  cette escalade dans l’illégalité, surtout que les faits remontent à plus de vingt-cinq ans et que Jean Gab’1 a purgé sa peine de prison. Pas forcément un acte de soumission à un moralisme condescendant et sans nuance, ni une concession humiliante à la société des honnêtes gens, confits dans la certitude rance d’être définitivement du côté du bien.  Juste pour sentir quelque chose de neuf, le goût de l’ «Après ».

Comme lecteur, on est déjà très content d’avoir découvert un écrivain original et plein de talent. On espère donc que le passage déjà ancien de Jean Gab’1 à une vie nouvelle où sa fille, à qui il dédie le livre À L’Est, est le lien le plus fort de son existence,  sera le sujet d’un autre récit…

 

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En savoir plus :

  • À l’Est, Jean Gab’1, DonQuichotte éditions, août 2015, 228 pages, 16,90 €
Marie-Laure Surel

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