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Les Événements (2015), un Road Roman décalé / a shifted Road Novel

Dernière mise à jour : juin 6th, 2015 at 12:01 pm

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“C’était un des petits plaisirs ménagés par la guerre, à sa périphérie, que de pouvoir emprunter le boulevard de Sébastopol, pied au plancher, à contresens et sur toute sa longueur.” Le dernier opus de Jean Rolin démarre ainsi sur les chapeaux de roue… Prix Albert Londres en 1988, prix Médicis en 1996, pour son roman L’Organisation, journaliste, reporter de guerre, romancier, nouvelliste, essayiste, chroniqueur, voyageur… Cet écrivain éclectique signe avec Les Événements le Road Roman le plus tragico-décalé de cette rentrée littéraire. Une invitation au voyage…

“It was one of these small treats spared by war, at its periphery, to be able to take the Boulevard de Sébastopol the wrong way, and put one’s feet down all along.” Jean Rolin‘s new opus starts vigorously… Albert Londres Prize in 1988, Medici Prize in 1996 for his novel “The Organization”, journalist, war reporter, novelist, short story writer, essayist, columnist, traveler… this eclectic writer signs with Les Événements the most shifted Road Novel of this literary season. An invitation to travel…

More in English >> (Translation in progress, come bubble later)

Un voyage au volant d’une vieille Toyota blanche qui a juste assez d’essence pour quitter la capitale… De Paris à Port-de-Bouc via Chilly-Mazarin, Pithiviers, Châteauneuf-sur-Loire, sur la N20 à fond la caisse. La France est en proie à des factions rivales… Les extrêmes, de gauche ou de droite, et les soldats du Hezb (clin d’œil de l’auteur) se partagent le territoire… Des corps de curés jonchent le sol à la sortie de Paris… La Finuf (Force d’interposition des Nations unies en France) tente, sans entrain, de prévenir le désordre, à l’aide de soldats finlandais ou ghanéens… Des camps de réfugiés sont ouverts… Les ONG américaines viennent défendre la cause des animaux de compagnie en plein conflit… Les reporters de CNN sont molestés et dépouillés… Le gouvernement s’établit sur l’île de Noirmoutier…

Vous l’aurez compris, l’écrivain nous propose un grand écart burlesque. Des causes de cette guerre civile, on ne saura rien. Et peu importe ! Sur le personnage principal, il nous livre peu de chose. On sait tout au plus qu’il doit livrer un colis de médicaments à un certain Hennecke, chef de guerre, un ancien ami d’enfance. Ses motivations sont incertaines ; ses convictions politiques quasi inexistantes… Islamiste du Hezb ou Unitaires « à la coloration nationaliste » ne l’intéressent pas plus que ça. Certes il veut fuir Paris et sauver sa peau. Ce faisant, il pose son regard distancié, aux accents candides, sur un monde à la dérive. Il prend le temps de contempler le paysage, d’en noter les détails bucoliques… La poésie surgit du chaos là où précisément on ne l’attend pas.

Qu’à cela ne tienne ! Le prétexte est donné pour la traversée d’une France dont le décor familier est balayé… Une France soumise à la violence, au manque, à la pénurie, à l’explosion de ses habitudes opulentes… Une France déchue de son statut de pays riche et développé. On pense bien sûr à l’Ukraine ou plus loin dans le temps à la Yougoslavie ou au Liban. D’une autre façon on pense aux camps de Homeless aperçus outre-Atlantique après la crise des subprimes. On est aussi en droit de transplanter ce décor en Grèce et pourquoi pas ailleurs, dans la réalité non loin de chez nous ?

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Jean Rolin © Jean-Jacques Salgon/P.O.L

Tantôt le protagoniste s’exprime au “Je”, tantôt le romancier use de la troisième personne, son héros devenant “le narrateur”. Il nous plonge ainsi en direct, en plein reportage de guerre. Le contraste entre un trajet ultra-réaliste et l’allégorie d’un état dans tous ses états interroge un destin collectif désenchanté, fragmenté, émietté. Son ton reste policé, donc d’autant plus décapant. Pour autant, à la différence de Soumission de Michel Houellebecq, il n’y a ici ni oracle de mauvaise augure, ni menace d’islamisation, ni phobie sociétale anticipatrice. Les deux livres se font écho et se lisent en miroir. Mais l’horreur moderne et la guerre prennent chez Jean Rolin des tournures moins ironiques, plus légères, presque amusantes.

On peut dès lors embarquer sans réserve à bord de la vieille Toyota blanche. Au-delà du terme de l’histoire, l’important c’est de voyager, d’être sur la route. Ce livre se lit effectivement pied au plancher, avec un sourire qui grandit au fil des kilomètres et nous poursuit bien après être arrivés à destination.

Nicolas L.

En savoir plus : 
http://www.pol-editeur.com (site officiel de l’éditeur)
http://larepubliquedeslivres.com/jean-rolin-en-guerre-mais-civile-et-francaise/ (site officiel de Pierre Assouline)
Les Événements, Jean Rolin, Éditions P.O.L, janvier 2015, 208 pages, 15 €

Nicolas Lavroff

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