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[INTERVIEW] Maxime Giroux, réalisateur de “Félix et Meira” (2014)

Dernière mise à jour : mai 29th, 2020 at 11:03 pm

Prix du Meilleur film canadien au Festival de Toronto 2014, Félix et Meira (2014) est le troisième long métrage de Maxime Giroux (Demain, Jo pour Jonathan). Rencontre avec un jeune réalisateur québécois passionnant.

Synopsis :

Tout oppose Félix (Martin Dubreuil) et Meira (Hadas Yaron). Lui mène une vie sans responsabilité ni attache. Elle est une jeune femme juive hassidique, mariée et mère d’un enfant, s’ennuyant dans sa communauté. Rien ne les destinait à se rencontrer, encore moins à tomber amoureux.

Après avoir étudié une communauté juive ultra orthodoxe de Montréal, Maxime Giroux a imaginé avec son co-scénariste Alexandre Laferrière une histoire sensible et touchante entre un jeune célibataire athée et une jeune mère juive hassidique.

Interview de Maxime Giroux,
réalisateur de Félix et Meira

 

Bulles de Culture : Pouvez-vous revenir sur la genèse de Félix et Meira et sur ce qui vous a intéressé chez cette communauté de juifs hassidiques ?

Maxime Giroux : La raison pour laquelle j’ai fait Félix et Meira est la raison pour laquelle je veux que les gens viennent le voir. J’avais une curiosité pour cette communauté et j’ai l’impression que le film fait ça : il rend curieux, les gens sont surpris et ont envie d’en savoir un peu plus sur cette communauté.

Félix et Meira Maxime Giroux image 1
© Urban Distribution

À Montréal, il y a beaucoup de communautés ethniques, dont douze communautés de juifs hassidiques. Dans les communautés les plus fermées, il y a les Satmar et mon film se déroule chez eux.

A l’époque, j’habitais dans un quartier où il y avait un mélange d’artistes et de juifs hassidiques. C’était mes voisins mais je ne pouvais pas leur parler, ils ne voulaient pas me parler, les femmes surtout, mais moi, je jouais un peu avec ça. Ils baissaient les yeux, ils ne m’aimaient pas trop. Mais je ne comprenais pas tous les enjeux et à un certain moment, j’ai voulu en savoir un peu plus.

Avec le co-scénariste Alexandre Laferrière, nous avons décidé de nous engager dans un processus pour mieux les comprendre. Nous avons passé trois ans et demi à apprendre à les connaître, au travers des livres, en allant les rencontrer puis en rencontrant des gens qui sont sortis de cette communauté.

Bulles de Culture : Oui, il y a notamment des comédiens dans ce cas-là…

Maxime Giroux : Oui, il y en a cinq dont le comédien qui joue le mari [NDR : Luzer Twersky] et qui est sorti de la communauté à 19-20 ans. Il a deux enfants qu’il ne peut plus voir. Félix et Meira n’est pas son histoire mais presque, en inversé. C’est assez dramatique de sortir d’une communauté comme celle-ci… et il n’y a pas de possibilité de retour à arrière.

Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’ils n’ont pratiquement pas d’éducation, ils ne parlent pas très bien anglais, ils n’ont pas d’argent, plus de famille, plus d’amis… ils n’ont rien. Alors Luzer est devenu sans-abri pendant quelques mois. C’est très, très difficile pour eux et c’est un acte de courage, voire même de folie d’une certaine façon.

Bulles de Culture : Comment avez-vous fait pour les rencontrer ?

Félix et Meira image Maxime Giroux
© Urban Distribution

Maxime Giroux : Ça a été un peu comme pour mon personnage Félix, avec un peu de naïveté. Je ne connaissais rien d’eux, j’avais juste une perception un peu négative. Les livres m’ont donné quelques directions et après ça, je suis allé les voir : “Bonjour, ça va bien ? Vous, est-ce que vous êtes Loubavitch ou Satmar ou Belz ?” Que je sois curieux d’eux, ça les intriguaient et de là, un dialogue s’est entamé.

Je ne me suis pas fait des amis mais des connaissances. J’ai été invité chez un mec à boire avec lui, j’ai fait un petit peu Shabbat à Brooklyn.. Et c’est à New York que j’ai commencé à rencontrer des gens qui sont sortis de la communauté. C’était l’autre côté.

Et ces gens-là ont bien sûr une vision autre de la communauté que ceux qui sont dedans. Ils m’ont aidé à faire Félix et Meira.  Sans eux, c’était impossible. Je savais que quand ils se levaient le matin, il priaient puis il se lavaient les mains… mais je ne l’avais jamais vu. Mon comédien, lui, il l’avait fait toute sa vie. Il était capable de le faire sans aucun problème.

“C’est un rapport inversé
qui les attire l’un vers l’autre

 

Bulles de Culture : Félix et Meira est l’histoire d’une rencontre à travers le dessin, la musique mais également à travers un certain mal être, une tristesse communes. Pourriez-vous nous parler de vos deux personnages et de ce qui vous a intéressé dans leur rencontre ?

Maxime Giroux : Félix est un adulte qui est resté adolescent, alors que pour Meira, c’est le contraire. Chez les hassidiques, les filles apprennent à devenir mère à partir de 12-13 ans. Leurs journées sont consacrées à ce que l’on fait quand on est mère et ensuite elles deviennent mères à leur tour vers 18-19 ans. Meira, n’a donc pas eu d’adolescence. Elle recherche cette enfance-là et si elle va vers Félix c’est qu’elle voit en lui un adulte-enfant. Et lui, il va vers elle parce qu’il voit en elle une enfant-adulte. C’est ce rapport inversé qui les attire l’un vers l’autre.

Félix et Meira Maxime Giroux image 2
© Urban Distribution

Pour la musique… finalement, Félix et Meira, c’est l’histoire de deux adolescents qui se rencontrent et qui vont vivre une histoire d’amour, ou une amourette… À mon adolescence, et je pense que c’est le cas de beaucoup de gens, je me suis défini par la musique, j’ai trouvé ma famille, quel genre de musique j’écoute, qui je suis. Ensuite, quand j’ai rencontré mes premières copines et donné mes premiers baisers, il y avait de la musique et je me rappellerais toute ma vie de cette musique-là.

Pour le dessin… chez les juifs hassidiques, les enfants peuvent dessiner jusqu’à l’âge de 6 ans puis, on leur dit : “non, c’est fini, tu n’es plus un enfant, dorénavant tu n’as plus le droit de dessiner”. Meira veut garder cette liberté de l’enfance parce que finalement, chez les juifs hassidiques, les enfants sont très libres, beaucoup plus libres que chez nous les occidentaux. Eux, ils sont six, douze, dix-huit enfants et dans la maison, c’est le chaos total. Mais à un moment donné, on leur dit : “Non, maintenant, tu n’es plus un enfant, tu vas t’occuper du plus jeune. Toi, tu as 8 ans, tu vas t’occuper de celui qui a deux ans parce que moi, je n’ai pas le temps de m’en occuper parce que vous êtes douze”. Les enfants deviennent donc rapidement des adultes.

“On a beau s’aimer,
le quotidien nous rattrape”

 

Bulles de Culture :  J’imagine que l’on vous a beaucoup parlé de la fin de votre film Félix et Meira

Cliquer sur le dossier pour afficher le spolier sur la fin de Félix et Meira
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On s’attend à un happy end mais finalement, la fin est ambiguë : Meira garde toujours sa perruque et Félix ne semble toujours pas épanoui. À quel moment avez-vous décidé de finir le film ainsi, pendant le tournage ou dès l’écriture ?

Maxime Giroux : Dès l’écriture. Par respect pour les gens qui sont sortis de cette communauté, je ne pouvais pas faire de happy end. C’est impossible, parce que ces gens-là, quand ils sortent de la communauté, ils n’ont plus rien, ils deviennent sans-abris, ils se suicident, ce sera une lutte de toute leur vie.

Félix et Meira Maxime Giroux image 3
© Urban Distribution

Ceci dit, si Meira garde sa perruque c’est qu’on ne peut pas enlever une religion qui a été en nous. On a été élevé avec cette religion-là, on ne peut pas du jour au lendemain la faire disparaître, c’est impossible. D’une certaine façon, elle est heureuse parce que c’est une nouvelle vie qui commence. Mais, en même temps, elle s’excuse auprès de sa fille parce que celle-ci ne reverra plus jamais son père et elle sait que ce ne sera pas facile.

Quand à Félix, il est québécois francophone, il prend conscience des répercussions de cette décision. Lui, qui avait une certaine candeur, une naïveté, ne connaissait rien aux règles qui régissent cette communauté et ne savait pas à quel point cet acte était important. Il a été très égoïste jusqu’au bout mais là, tout à coup, il en prend conscience : “Ok, là, je suis responsable de quelque chose et je dois m’engager. Est-ce que j’en serais capable ?”

Comme n’importe quel couple dans la vie. On a beau s’aimer, le quotidien nous rattrape. Quand on n’a pas la même culture, pas la même religion, pas la même langue, ce n’est pas vrai que cela va être facile, que tout va bien aller. Il y aura des difficultés et peut-être même que leur histoire ne va pas durer plus de trois ans… que ça va durer deux ans, un an, peut-être trente ans mais toute cette ambiguïté-là, pour moi, c’était nécessaire.

Propos recueillis à Paris, le 21 janvier 2015.

 

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En savoir plus :

  • Date de sortie France : 04/02/2015
  • Distributeur France : Urban Distribution
Jean-Christophe Nurbel

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