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[ITW] Mehran Tamadon, réalisateur de “Iranien” (2014)

Dernière mise à jour : septembre 6th, 2016 at 12:39 pm

Notre interview de Mehran Tamadon dont le long métrage Iranien a remporté le Grand Prix du dernier festival international Cinéma du Réel (Paris, mars 2014).

Synopsis :

Iranien athée, le réalisateur Mehran Tamadon a réussi à convaincre quatre mollahs, partisans de la République Islamique d’Iran, de venir habiter et discuter avec lui pendant deux jours. Dans ce huis clos, les débats se mêlent à la vie quotidienne pour faire émerger sans cesse cette question : comment vivre ensemble lorsque l’appréhension du monde des uns et des autres est si opposée ?

Dans le film documentaire Iranien, le réalisateur se met lui-même en scène face à quatre mollahs dans une subtile Loft Story – presque – sans femmes. Mais si le corps des femmes est absent du film, il est omniprésent dans le discours des docteurs de la loi islamique, qui nous livrent explicitement leur point de vue sur la laïcité, la démocratie et l’Occident.

La règle du jeu :
Rencontre avec Mehran Tamadon

 

Bulles de Culture : Vous avez terminé votre premier long-métrage, Bassidji, en 2009, juste avant l’élection présidentielle en Iran. Cette élection a donné lieu à une crise très violente au sein de la République Islamique. Parlez-nous du contexte dans lequel vous avez décidé de réaliser Iranien.

Mehran Tamadon : Les Bassidji sont en quelque sorte des boy-scouts religieux, qui ont du pouvoir et sont prêts à tout pour défendre le régime en place. J’avais passé plusieurs années à les filmer et à discuter avec eux, mais j’étais sûr que ceux que j’avais rencontrés étaient critiques par rapport à l’extrême violence des événements d’après juin 2009. En reparlant avec eux à ce moment-là, j’ai découvert qu’ils avaient tous participé à la répression terrible des opposants au régime. J’étais abasourdi : ces hommes que j’avais fréquentés, jusqu’où étaient-ils capables d’aller ?

J’ai voulu les filmer à nouveau et les mettre face à certaines de leurs contradictions. Mais ma parole était alors trop virulente, et eux étaient très nerveux et avaient durci leur position. Il y a eu des conflits entre nous et j’ai fini par être convoqué pour un interrogatoire. On m’a dit : « Nous savons que tu veux montrer qu’un athée peut vivre avec des religieux sous le même toit, or nous sommes contre et en plus c’est impossible. » On m’interdisait de faire un film.

Pendant deux ans, j’ai continué à essuyer des refus de la part de tous les Bassidji que je sollicitais. Puis, j’ai cherché d’autres personnes en leur présentant mon projet de film de manière moins offensive. En 2012, quatre mollahs ont accepté.

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© ZED Distribution

Bulles de Culture : Dans le huis-clos auquel vous conviez ces hommes, on peut dire que vous organisez un « jeu de société », auquel vous participez vous-même.

Mehran Tamadon : En effet, je voulais voir s’il était possible de les inviter à « jouer » avec moi, avec tous les accessoires que j’avais prévus : des photos, des livres, du papier et des feutres… et ils ont accepté de jouer le jeu ! Nous avons discuté, préparé des repas, mangé ensemble et joué à des jeux que j’avais inventés pour le film. Ces jeux nous ont permis de partager également des moments de rire.

Bulles de Culture : C’est vrai que la part d’humour est importante, dans le film.

Mehran Tamadon : En voyant Bassidji, les spectateurs ont beaucoup ri, mais parfois aux dépens des personnages. Ils ont ri d’eux et cela m’a beaucoup gêné. Dans Iranien, on peut rire avec les personnages et être ainsi dans le partage que je mets en place. Moi-même, je ris parfois avec eux, car ils ont beaucoup d’humour. Il y a eu une réelle forme de complicité entre eux et moi pendant le tournage : ils ont quand même réussi à me faire passer pour un tyran, alors que je venais leur dire que c’étaient eux les dictateurs !

Cependant, malgré l’humour et les moments que nous avons vécus ensemble, la rigidité de leur système était là. L’idéologie est présente partout dans le film. J’avais le devoir de le montrer, pour ne pas laisser croire aux spectateurs que l’on peut vivre ensemble sans problèmes.

Bulles de Culture : Finalement, pour le public occidental, votre film dédiabolise les mollahs en les rendant plus proches de nous.

Mehran Tamadon : Il était très important pour moi de ne pas rester dans une abstraction de ce qu’est l’autre. Il fallait donc qu’on comprenne qu’il y a une différence, une distance entre eux et moi, mais que cette distance n’est pas infinie. En faisant ce film, je voulais permettre aux spectateurs de mesurer cette distance.

Les mollahs voient l’autre – celui qui ne vit pas selon leurs préceptes, qui pense différemment d’eux – comme une abstraction, car leur vision est faite de fantasmes. Créer une parole et un espace communs, même le temps d’un film, c’est rendre l’existence de l’autre la plus réelle possible.

Bulles de Culture : Pendant le tournage, ne vous êtes-vous jamais senti en danger ?

Mehran Tamadon : Je n’ai pas ressenti de menace de leur part. Eux-mêmes, qui ont accepté de venir jusque chez moi, à 60 kilomètres de Téhéran, se sont demandé ce que j’allais bien pouvoir faire d’eux. Peut-être leur avais-je tendu un piège ? En fait, au début du tournage, chacun se méfiait un peu de l’autre, mais c’est une inquiétude normale, qu’on a tous face à un étranger. Et cette méfiance a disparu assez vite.

En revanche, j’avais peur que les Renseignements Généraux soient au courant du tournage et débarquent pour tout arrêter et emporter le matériel.

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© ZED Distribution

Bulles de Culture : A la fin de ce « jeu », diriez-vous que vous avez gagné ou perdu ?

Mehran Tamadon : Je pense que j’ai gagné, parce qu’ils ont entendu ce que j’avais à leur dire et qu’ils sont restés jusqu’au bout. Ils ont entendu le fait que je suis athée, que j’ai vécu trois ans avec une femme avant de me marier, et ils n’ont pas décidé de partir.

Ces deux jours passés ensemble leur ont aussi permis de se connaître mieux entre eux. Il y a vraiment eu un mouvement de détente progressive que le dispositif du film a favorisé. Comme je n’étais pas braqué dans une attitude rigide, ils ont pu sortir eux aussi de leur rôle : l’un d’eux a enlevé son turban, le soir un autre s’est mis en pyjama dans l’espace commun-… Je pense que mon attitude, la plus ouverte possible, a réussi à les toucher. Ils se sont dévoilés et ont ainsi révélé, malgré eux, une partie de leurs contradictions.

Entretien réalisé par Olivier D. pour ECLA Aquitaine, à Paris, le 25 septembre 2014.

 

 

En savoir plus :

  • Date de sortie France : 03/12/2014
  • Distributeur France : ZED

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