Dernière mise à jour : mai 16th, 2016 at 02:26 pm
Synopsis :
Dans un Pôle emploi du 93, quarante agents font face à quatre mille demandeurs d’emploi. Samia, Corinne, Thierry, Zuleika doivent soutenir et surveiller, faire du chiffre, obéir aux directives politiques et aux injonctions de communication, trouver du travail là où il n’y en a pas. C’est la vie d’une équipe qui a intégré l’impossible à son quotidien.
Problèmes techniques
En France, 50 000 salariés s’occupent du sort des 3,5 millions de « DE » (acronyme de Demandeurs d’Emploi selon la terminologie du Pôle emploi). Chacun de nous, s’il n’est pas directement concerné, a vraisemblablement des proches au chômage : en cela, le film de Nora Philippe nous regarde tous. Avec autant de ténacité que le grand documentariste américain Frederick Wiseman, la réalisatrice a pris pied dans une petite agence de cette gigantesque machine administrative pour comprendre comment l’établissement public fonctionne, ou plutôt ne fonctionne pas. Car dès le début du film, rien ne va : de la file d’attente qui se forme bien avant l’ouverture des portes aux dialogues de sourds au guichet, des erreurs du système informatique aux échanges kafkaïens entre les usagers de ce service public et les conseillers du Pôle emploi, tout coince, rien ne rentre dans les cases des tableaux prédéfinis, aux lignes et colonnes pourtant idéalement orthogonales.
© Gloria Films |
Un film drôle et émouvant
Charlie Chaplin avait magistralement décrit le combat de l’homme contre la machine dans Les temps modernes. 80 ans après, Nora Philippearrive à nous émouvoir et à nous faire rire, pour que nous supportions de voir de très près l’absurdité d’un système qui gouverne en partie nos vies. Les machines ont certes évolué depuis 1936, mais le conflit entre l’homme et le système technicien semble voué à l’éternité, donnant raison à Jacques Ellul. Père spirituel de l’écologie politique, Ellul a théorisé, dès le lendemain de la seconde guerre mondiale, le problème de l’humanité à l’ère industrielle : c’est la sacralisation de la technique par l’homme, qui se définit comme l’intériorisation et l’acceptation des contraintes que celle-ci exerce sur lui, qui conduit notre espèce dans une impasse existentielle.
© Gloria Films |
Pôle emploi, ne quittez pas ! est donc un film « ellulien ». Salariés au bord du burn-out, système informatique qui « plante » régulièrement, liste d’acronymes de plus en plus abstraits, impossibilité d’apporter une réponse concrète à la situation concrète d’un parcours professionnel, c’est jusqu’à la poignée de porte d’un bureau qui casse, et dont on apprend qu’elle a été réparée trois fois en quelques semaines. Au bout du film, on vit dans la machine Pôle Emploi comme on rêve un cauchemar, malgré les efforts consentis par chacun pour que les rouages du système tournent quand même. Car si ce film dénonce un dysfonctionnement chronique, il met en évidence le fait que chacun est conscient des enjeux humains qui relèvent de la responsabilité de l’agence vis-à-vis de ses usagers – on apprendra au cours du film qu’on les appelle maintenant des clients.
On s’en doute, la direction de Pôle Emploi n’a pas apprécié le film de Nora Philippe, qui n’a pourtant pas réalisé ce documentaire pour s’entêter avec un malin plaisir à tirer sur l’ambulance. Comme tout documentaire, celui-ci nous pose une question. Au-delà du Pôle emploi lui-même, est-ce l’utopie de l’emploi qui ne tient plus ?
En savoir plus :
- Date de distribution France : 19/11/2014
- Distribution France : Docks 66