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Brûlez Molière ! de Jacques Malaterre image téléfilm
© Emmanuel PRIOU / FTV / BONNE PIOCHE

[Critique & Interviews] “Brûlez Molière !” (2018) : Retour sur l’affaire Tartuffe

Dernière mise à jour : septembre 14th, 2022 at 11:19 pm

A l’occasion de la cérémonie des Molières 2019 aux Folies Bergère le lundi 13 mai 2019, France 2 organise une soirée spéciale et diffuse notamment un téléfilm inédit en prime time : Brûlez Molière ! de Jacques Malaterre avec Dimitri Storoge, Jules Pelissier, Cosima Bevernaege et Agathe de La Boulaye. L’avis et critique de Bulles de Culture sur cette fiction ainsi que notre interview de l’équipe.

Synopsis :

1664, Molière (Dimitri Storoge) joue pour la première fois Le Tartuffe devant le Roi et sa cour. Face à cette comédie qui ridiculise les dévots, l’Église catholique demande au souverain de l’interdire. Soucieux de ses intérêts politiques, Louis XIV (Jules Pelissier) accepte. Dès lors, de 1664 à 1669, Molière, libertin affiché, va se battre pour obtenir le droit de rejouer sa comédie. On le traite de “Diable” et les religieux le condamnent au bûcher ! Fervent défenseur de la libre pensée, il refuse de céder à ces menaces et, au risque de tout perdre, fera l’impossible pour défendre sa liberté de pouvoir rire de tout.

Brûlez Molière ! : un Molière jamais vu

C’est un Molière qu’on n’a jamais vu, loin de celui que l’on apprend au collège et au lycée. C’est le vrai Molière comme on ne l’a jamais raconté.
— Emmanuel Priou, producteur (Bonne Pioche)

Avec un tournage en région Bourgogne-Franche-Comté et en Île-de-France — notamment au Château d’Ancy-le-Franc, au Château de Tanlay, au Château de Nuits à Nuits-sur-Armançon, au Château de Bussy-Rabutin à Bussy-le-Grand, au Château de Rosières à Saint-Seine-sur-Vingeanne, dans le village médiéval de Noyers-sur-Serein, à l’Abbaye de Fontenay (inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO) à Marmagne, et dans les Studios de Bry à Bry-sur-Marne —, un scénario et une réalisation de Jacques Malaterre, une image de Stephen Mack, une musique originale de Cyril Orcel (éditions Bonne Pioche Music – Ingrid Visquis), la fiction unitaire Brûlez Molière ! fait d’abord le pari de montrer l’un des plus célèbres dramaturges français, Molière, sous un jour jamais vu jusqu’à présent car… plus juste désormais historiquement.

“Il existe plus de 40 biographies sur la vie de Molière, nous a ainsi expliqué l’auteur-réalisateur Jacques Malaterre. Même Michel Bouquet, Francis Huster en ont fait une. Je suis tombé sur le travail de Georges Forestier, qui est professeur et chercheur à la Sorbonne, et Claude Bourqui, professeur et chercheur à Fribourg. Ils dirigent les éditions sur Molière à La Pléiade. Le hasard a fait qu’à l’issue de dix ans de recherches, ils ont publié une nouvelle biographie de Molière chez Gallimard en octobre 2018. La première biographie de Molière a été écrite par Grimarest au début du 18e siècle [NDLR : La Vie M. de Molière (1705)] et il fallait à l’époque des héros romantiques. Donc Grimarest a totalement inventé, rêvé la vie de Molière, un saltimbanque qui jouait sur les places de village et qui va être malade et cocu. Et quand Boileau, qui était ami avec Molière de son vivant, a lu cette biographie, il a dit que tout était faux. Mais bizarrement, tous les biographes suivants se sont appuyés là-dessus, c’est-à-dire qu’ils ont fait une étude biographique à travers l’oeuvre et non à travers la vie du personnage au niveau historique. Ce que Georges Forestier et Claude Bourqui ont fait. Pour ceux qui ont vu le Molière d’Ariane Mnouchkine, tout est faux ! Il restait donc à raconter ce qui est vrai. On n’a par exemple jamais montré Molière en valet du Roi : il était metteur en scène et valet du Roi. Il faisait trois mois par an le lit du Roi. J’ai donc écrit main dans la main avec eux cette fiction pour remplir les zones d’ombre au plus près de la vérité”.

Peut-on rire de tout ?

Peut-on rire de tout tout, peut-on caricaturer, y compris la religion ? C’était il y a 350 ans et c’est toujours vrai aujourd’hui.
— Emmanuel Priou

En plus de cette approche basée sur les recherches historiques les plus récentes sur la vie de Molière, le téléfilm Brûlez Molière ! interroge également, à travers une de ses pièces les plus populaires, Le Tartuffe ou l’Imposteur (1664), la possibilité de pouvoir ou non rire de tout, y compris de la religion. Cette pièce de Molière es en effet très rapidement interdite par le roi Louis XIV sous l’insistance du clergé et des dévots, incarné notamment par l’archevêque Hardouin de Péréfixe de Beaumont (Pierre Aussedat). Ce qui n’était pas arrivé depuis le Moyen Âge ! Molière va donc se battre pendant cinq ans pour obtenir de le jouer à nouveau devant le public. Pour le réalisateur Jacques Malaterre, “cela va devenir le vrai combat de sa vie. Il veut absolument obtenir le droit de rire de tout et devant son public. Car on l’autorise de rire de cela chez les princes mais pas devant le peuple. Il va aller très loin parce qu’il va être excommunié et condamné au bûcher par l’Eglise catholique. A cette époque, on brule encore les poètes sur la place publique dans la mesure où is attaquent le religieux”. Et c’est avec la voix off de Charles Berling et la forme d’un thriller politique que Jacques Malaterre a choisi de raconter cette fameuse affaire Tartuffe.

Incarner des personnages historiques

Côté casting, le réalisateur Jacques Malaterre a choisi pour le téléfilm Brûlez Molière ! des acteurs ayant l’âge de leurs personnages. Dans la peau de Molière, Dimitri Storoge a cherché à trouver l’humanité du personnage et a été très étonné par ce qu’il a appris sur lui : “Ce qui m’a le plus surpris, c’est le fait qu’il ait cette charge de tapissier et valet de chambre du Roi, qu’il a récupérée à la mort de son frère, parce que cela éclairait Molière sous le jour de quelqu’un qui naviguait très bien dans les salons. Il savait quoi faire pour avoir l’oreille du Roi. Il a perdu pour moi cette image d’artiste ‘maudit'”.

De son côté, Jules Pelissier incarne également d’une manière intéressante le jeune roi Louis XIV : “Le rendre humain a été un défi parce que on a quelqu’un de très austère et de sanguinaire, alors que je pense que c’était un vrai artiste. Quand il était enfant, il a pratiqué la danse, c’était quelqu’un qui aimait les relations amicales, charnelles. Il fallait donc déconstruire la figure imposante du Roi pour emmener de la sensibilité et un rapport humain, qui parfois l’échappe et le touche. Etre un grand personnage historique, c’est se poser les bonnes questions aux bons moments et c’est ce qu’a fait Louis XIV dans cette période très précise. Il a su prendre son temps. Et au-delà don côté royal, je pense que c’était quelqu’un qui s’amusait. Et plus il grandissait et plus il comprenait l’enjeu stratégique de sa fonction”.

Les deux femmes de la vie de Molière sont quand à elle interprétées par Agathe de La Boulaye et Cosima Bevernaege. La première est Madeleine Béjart : “Il y a très peu ce choses sur Madeleine Béjart, nous a confié Agathe de La Boulaye. Il y a un universitaire américain qui s’est épris de ce personnage et en fait, elle était comédienne et tragédienne avant de rencontrer Molière. C’était une femme d’affaires qui venait d’une fratrie de comédiens”. Tandis que la seconde est Armande Béjard, la fille de Madeleine — née bien avant que Molière ne rencontre Madeleine ! — et l’épouse de Molière depuis 1662. Pour Cosima Bevernaege, Madeleine était “une femme de caractère — être libertine à l’époque, c’était une sacrée position et un sacré choix de vie — bercée dans ce milieu du théâtre depuis sa naissance. J’ai été surprise de jouer un personnage de cette époque-là avec ces idées-là”.

Un téléfilm instructif malgré quelques défauts

Le 5 février 2019 a été le 350e anniversaire du jour où Le Tartuffe a été rejoué pour le première fois en public et n’a jamais cessé d’être rejoué depuis. C’est le plus grand succès public et commercial de Molière.
— Emmanuel Priou

Ambitieux sur le fond et la forme, la fiction unitaire Brûlez Molière ! n’évite pourtant pas les écueils. Ainsi, comme souvent dans les fictions françaises sur le théâtre, les comédiens adoptent un jeu trop théâtral et surtout, on regrette ici le choix de faire entendre dans le téléfilm les pièces de Molière dans la langue française de l’époque, alors que toutes les autres séquences du téléfilm ne sont pas du tout dans cette langue. On perd en effet le plaisir de réentendre les répliques que nous avions jusque-là de ses pièces dans l’oreille — même si, passé l’effet de surprise, on parvient à s’habituer à ses nouvelles sonorités.

De même, le choix d’une musique originale contemporaine de Cyril Orcel étonne fortement et souligne peut-être un peu trop le désir de moderniser le sujet pour les jeunes générations. Même si Jacques Malaterre nous a avancé une autre explication : “Je raconte un thriller, pas un film d’époque, mais un thriller politique. Donc j’ai voulu mettre des lignes de basses un peu jazzy pour l’accompagner. C’est une histoire d’aujourd’hui, donc je ne voulais pas mettre une musique qui sente un peu la poussière. Je voulais qu’il y ait un écho qui parle avec les codes qu’on a aujourd’hui de fiction. Je voulais un parfum de bas-fond new-yorkais dans les couloirs de Versailles”.

Bref, malgré ces défauts et une fin un peu abrupte et moralisatrice, Brûlez Molière ! est un téléfilm bien fait  avec de beaux décors — mentionnons notamment le magnifique plan en plongée au-dessus du labyrinthe du Château de Bussy-Rabutin — et un bon casting. S’appuyant sur des recherches historiques récentes et inédites, il se révèle également particulièrement instructif sur un auteur, Molière, et son époque, le 17e siècle.

Propos recueillis à Paris le jeudi 11 avril 2019.

En savoir plus :

  • Brûlez Molière ! est diffusé sur France 2 le lundi 13 mai 2019 à 21 h. Ce téléfilm est également diffusé en streaming et disponible en replay sur France.tv
  • Les Molières 2019, avec Alex Vizorek en maître de cérémonie, est diffusé le lundi 13 mai 2019 à 22h45. La cérémonie est également diffusée en streaming et disponible en replay sur France.tv
  • La pièce de théâtre Le Tartuffe de Peter Stein, avec Pierre Arditi, Jacques Weber, Isabelle Gélinas, Manon Combes et Catherine Ferran, est diffusé sur France 2 le mardi 14 mai 2019 à 00h10. La pièce est également diffusée en streaming et disponible en replay sur France.tv
Jean-Christophe Nurbel

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