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© Magali Martinie

[Interview] Valentin Martinie et Guillaume Loublier (“La Compagnie Affable”)

Dernière mise à jour : juin 28th, 2019 at 05:37 pm

“C’est une vraie expérience humaine”

Bulles de Culture : Revenons sur la première pièce que vous avez évoquée, Dialogue à Fables, est-ce que vous pouvez nous parler de la genèse de cette pièce qui préfigure à priori la deuxième ?

Valentin Martinie : En sortant des cours Cochet, j’avais appris plein de fables de La Fontaine. On a travaillé en première année sur ces Fables et après avoir appris une cinquantaine de Fables, j’ai voulu faire une espèce de florilège de Fables. Et petit à petit le spectacle a évolué car là, on en était à un embryon de spectacle.

Au bout d’un an et demi, j’ai eu envie de faire un vrai spectacle, d’élargir la discussion sur la dispute entre les Classiques et les Modernes et de rajouter la question du rythme, qui est illustrée par des exemples musicaux, des mises en musique et notamment une référence au rap dans De La Fontaine à Booba.

Je dirais que De La Fontaine à Booba est la version adulte du premier spectacle et je suis très content de la tournure que ça a pris avec Guillaume et de la matière, de la profondeur qu’on a apportées. On a appris aussi à se connaître et à jouer ensemble et c’est de plus en plus de plaisir.

Bulles de Culture : A propos justement de la pièce qui est une véritable « création commune», comment s’est passée l’écriture à deux mains, comment s’est déroulé votre travail ?

Guillaume Loublier : Très facilement, j’avais déjà fait l’expérience du travail en groupe. A deux, nous étions très bosseurs. Quand on a la bonne personne en face, le bon miroir pour refléter ce que l’on a pensé, tout se passe bien. Une relation très saine, d’inter-influences, où chacun tente. On n’a pas de metteur en scène, donc la communication est vraiment entre nous deux.

Valentin Martinie : Au début du mois de janvier, j’avais juste apporté l’embryon du spectacle et on jouait le 2 ou 3 février. En un mois, il a fallu réécrire le spectacle, puis à un moment le répéter et le jouer. Donc tout cela s’est fait dans une ambiance sportive et on a bien réussi. On s’est bien trouvé. S’il n’y avait pas eu de complémentarité, on n’aurait pas pu accoucher en si peu de temps de quelque chose. Sans référentiel extérieur, ce qui n’est pas forcément évident. On a deux manières différentes de fonctionner et on a construit, comme ça, un terrain commun. C’est une vraie expérience humaine.

Bulles de Culture : Dans De La Fontaine à Booba, Valentin, vous jouez le partisan du conservatisme et vous Guillaume, celui de la modernité. Pour l’anecdote, comment vous-êtes vous répartis les rôles ?

Guillaume Loublier : Comme Valentin avait déjà joué une première version du spectacle, et  qu’il m’a proposé de prendre le rôle de son partenaire, cela s’est réparti aussi simplement.

Valentin Martinie : Après je pense aussi que dans nos manières de fonctionner, c’était très bien que Guillaume arrive car il apportait une nouvelle touche de fantaisie, d’expression personnelle sur l’autre personnage. Et moi, une fois que j’avais enfilé mon costume, je crois que je n’avais pas envie de le rendre.

“Le rap apporte énormément d’innovations poétiques”

Bulles de Culture : Vous plaidez clairement pour la poésie du rap. Comment définiriez-vous l’esthétisme du rap ? Qu’est-ce que le rap peut apporter au théâtre ? A l’art ?

Guillaume Loublier : Le rap est de la parole mise en rythme. Alors déjà, la parole apporte énormément de choses, elle permet de nous épanouir, on est contraint de s’épanouir dans notre relation à nous, aux autres, au monde et c’est la parole qui joue l’intermédiaire de tout cela. La parole apporte une mise à distance et une proximité.

Valentin Martinie : Je rebondis sur ce que dit Guillaume, c’est de la parole mise en rythme. Le rap n’est pas quelque chose de nouveau.

Je prends l’exemple des poèmes homériques, qui étaient récités et scandés. C’était une manière de retenir, pour le côté pratique de la mémoire, mais aussi de transmettre, puisque c’est un verbe important dans notre conversation, de transmettre de génération en génération, par la tradition orale, de grandes histoires, de grands poèmes. Le rythme est ancestral.

Il y a aussi par exemple dans la poésie africaine des poèmes qui sont entre la parole et le chant et je trouve que le rap a cette source-là. Il apporte énormément d’innovations poétiques. Par exemple, le verlan permet de déplacer l’accent tonique, de multiplier les rimes par deux, trois, quatre. Les suffixes ajoutés aussi, changent la rime : c’est du potentiel poétique. Les rappeurs ont des outils comme ceux-là et ne sont pas intimidés face aux règles, aux conventions poétiques et se permettent plein de choses.

Dans l’histoire du rap, ce qui nous intéresse en particulier, c’est l’histoire du flow. Au sein du battement de mesure, d’une cadence, d’un rythme, ils se permettent de fluctuer. Cette notion est très importante pour un comédien : on doit dire des mots et en penser d’autres, respirer le texte d’une manière personnelle, charnelle, notre professeur nous a dit d’aller chercher très en profondeur nos intentions personnelles, de respirer très profondément. Tout est relié, le corps, l’esprit.

Guillaume Loublier : Le rap est avant tout de la parole. Virginie Lou [NDLR : écrivain français] définit la parole ainsi : “C’est un luxe façonné contre la guerre”. Je trouve cela magnifique car la parole en effet, est ce qui permet de nous départir, de renoncer à la violence. Le rap, quand bien même il peut être violent dans ses paroles, montre que cette violence est dans les mots et pas dans la rue.

Valentin Martinie : On exorcise un peu la violence, c’est de l’exutoire. C’est Ärsenik [NDLR : groupe de hip-hop français] qui dit : “Boxe avec les mots”. Voilà, il vaut mieux boxer avec les mots que boxer quelqu’un en pleine face.

Agathe M.

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