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Les Tondues de LES ARTS OSEURS image THÉÂTRE DE RUE
© J.P. Estournet

♥ [Critique] “Les Tondues” de la compagnie Les Arts Oseurs : une déambulation bouleversante

Dernière mise à jour : juillet 7th, 2019 at 11:58 pm

Bulles de Culture a assisté le jeudi 23 mai 2019 au spectacle déambulatoire Les Tondues. Ce spectacle de la compagnie Les Arts Oseurs a fait vibrer le public d’une émotion magnifique. L’avis et la critique théâtre de Bulles de Culture sur ce spectacle coup de coeur.

Synopsis :

Vous recevez une lettre. Il s’agit d’une lettre du notaire avec les dernières volontés de votre grand-mère qui vient de mourir, ou bien d’un aveu étrange de votre père, ou encore d’une lettre que vous avait adressée une amie il y a des années, et à laquelle vous n’avez jamais osé répondre. Cette lettre vous entraîne par le prisme de l’une de ces trois destinées à (re)plonger dans l’histoire des Tondues de la Libération.

Les Tondues : quand l’Histoire frappe à la porte

Le public est rassemblé sur une place. Le sujet du spectacles Les Tondues est annoncé. On vous tend une enveloppe bleue, blanche, ou rouge. Vous êtes invité-é à la lire. Trois personnages sont introduits : une jeune trentenaire (Murielle Holtz) reçoit les dernières volontés de sa grand-mère dont elle découvre avec stupéfaction qu’elle a été tondue ; un jeune homme (Jules Poulain-Plissonneau) est face aux confidences tardives et déroutantes de son père qui confie que ses propres parents ont collaboré ; une vieille dame (Maril Van Den Broek) en maison de retraite retrouve la lettre qu’une de ses amies de jeunesse, Lily, tondue à la Libération, lui avait adressée.

Le public est alors divisé en trois selon la lettre qu’il a eue en main, et invité à suivre l’un-e des trois personnages. C’est là que le parcours en ville commence. Conversation téléphonique avec l’ami, le patron, la fille, ou encore avec la mère, l’épouse ; discussion par l’entremise de l’interphone avec le témoin qu’on espère. La première partie de Tondues garde une part de légèreté avec quelques remarques acerbes que chacun-e formule pour supporter le poids de l’Histoire qui vient de lui échoir.

Cette déambulation en ville se fait sous le regard tacite de silhouettes féminines variées qui ont été collées sur des murs, et dont le visage a été effacé. La présence de ces silhouettes anonymes qui vient suggérer l’idée du nombre, celle aussi de la honte et de la souffrance, contribue à faire monter l’émotion. Puis, chacun-e des trois personnages se retrouve sur un banc, et le public est rassemblé pour une deuxième déambulation dont la gravité va croissante au fil des tableaux.

Se confronter à l’indicible

Les Tondues montre la colère, la révolte, l’incompréhension de la génération des petits-enfants à qui ce pan d’histoire familiale a été caché, tu. Ce qui surgit brusquement des limbes de l’oubli est d’une violence sans nom et vient confronter chacun-e des personnages à son identité, à ses choix, à sa vie ; ce qui surgit des marges réprimées, dérobées et omises de l’Histoire vient rouvrir les blessures, raviver les plaies pour donner enfin des mots à cette souffrance trop longtemps refoulée.

La radicalité de ces scènes d’expiation collective vient alors s’exprimer à travers tous les pans des arts de la scène : le piano de Renaud Grémillon bouleverse ; les photographies de ces femmes et les témoignages de celles et ceux qui ont assisté à la scène sidèrent ; la danse et le chant percutent ; l’oeil, qui se dessine à partir d’affiches sous nos yeux, semble scruter le public et dérange ; quant au discours final de Périne Faivre, donné après une ultime déambulation qui reproduit celle qu’ont vécue ces femmes promenées nues sur des charrettes, il achève d’ébranler spectateurs et spectatrices. 

Ne pouvant laisser son public partir après un temps d’émotion collective aussi forte, la compagnie de Les Arts Oseurs propose ensuite le partage d’un verre autour du piano. Les discussions fusent alors autour de l’Histoire qui vient de troubler chacun-e.

Un éblouissant sans faute

Le sujet de Tondues est périlleux, difficile, sensible. La mise en scène de Périne Faivre permet d’en saisir toute la complexité. Extrêmement documenté, le spectacle ne porte aucun jugement sur les actes de collaboration dont on accusait les tondues, sur la cruauté de celles et ceux qui ont participé à ces scènes d’humiliation collective. Et c’est bien cette absence de jugement qui fait la force et l’intense réussite du spectacle.

Les Tondues alerte sur l’absolue nécessité et l’impérieuse urgence de mettre des mots sur le fait historique, sur la violence subie par ces femmes, sur les souffrances et l’impossible vie normale, sur une honte que le temps n’a pas effacée. Parce que juger de notre point de vue n’aurait pas de sens, et parce que les derniers témoins s’éteignent.

Ce que Périne Faivre met en encore brillamment en avant, c’est l’injustice de la charge qui pèse de tous temps, de toute époque sur le corps des femmes. Car qu’ont été ces femmes sinon dépossédées d’elles-mêmes, persécutées comme ont pu l’être les sorcières, les avorteuses. Les Tondues rappelle ainsi que la domination masculine a conduit à des démonstrations de force aveugle et que c’est contre les femmes qu’elles se sont déversées.

Bulles de Culture ne saurait que vous recommander vivement la découverte de ce spectacle incroyable, époustouflant et coup de coeur qu’est Les Tondues.

En savoir plus :

  • Les Tondues les 23 et 24 mai 2019 à Les Scènes du Jura
  • Tournée du spectacle : le 8 juin 2019 au Festival Furies de Châlons-en-Champagne ; les 15 et 16 juin 2019 au Festival Rues et Cies d’Épinal ; du 9 au 21 juillet 2019 au Festival Villeneuve en Scène de Villeneuve lez Avignon ; les 14 et 15 septembre 2019 au festival Festin de pierre de Saint Jean de Vedas ; les 21 et 22 septembre 2019 lors d’un temps fort à Annonay ; les 28 et 29 septembre 2019 au Théâtre de Laval
  • Durée du spectacle : entre 1h30 et 2h
  • Spectacle à partir de 12 ans
Morgane P.

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