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Le Pont du Nord de Marie Fortuit image affiche théâtre contemporain

Critique / “Le Pont du Nord” de Marie Fortuit : la mémoire et la Sibylle

Dernière mise à jour : avril 5th, 2020 at 03:29 pm

Bulles de Culture a découvert l’émouvant et mystérieux Pont du Nord de Marie Fortuit au Centre Dramatique National Besançon Franche-Comté. La critique et l’avis théâtre de Bulles de Culture sur ce spectacle.

Synopsis :

C’est une soeur, Adèle (Marie Fortuit) et un frère, Octave (Antoine Formica) de retour chez un oncle, Koza (Damien Groleau) dans un Nord natal que tous deux ont déserté après qu’un soir de drame a jeté entre eux une distance à laquelle ils n’étaient pas accoutumés. Mais alors que le passé ranime ses fantômes enfouis, l’avenir déploie les ailes de l’amour entre Adèle et Sonia (Mounira Barbouch), pilote à l’autre bout du monde et si proche pourtant.

Le Pont du Nord ou les couloirs sombres d’un labyrinthe énigmatique

Le Pont du Nord de Marie Fortuit image théâtre contemporain
© Elisabeth Carecchio

C’est à un spectacle dont toutes les énigmes ne se dévoilent pas avec évidence que Marie Fortuit nous invite avec Le Pont du Nord.

Un décor s’ouvre sur un plateau tout à fait à découvert. A droite, une table où des bières vides ont été laissées, l’oncle Koza travaille avant que n’entre en scène Adèle. À gauche, un piano est le lieu refuge de cet oncle qui ne s’exprime que par musique ou poésie interposées. Au centre, un dispositif permet de passer d’une scène de karaoké à un canapé convertible où frère et sœur s’engloutissent. Il pleut dans ce décor, des gouttes emplies de mélancolie. La toile tombe et nous voilà dans une salle de sport municipale. On ne peut que souligner la richesse de cet espace qui épouse les aspérités du texte, les révélations tardives et le flot de souvenirs qui y surgit.

Et, de fait, Le Pont du Nord revêt la même complexité hybride que l’espace de son décor. Les dialogues font venir un quotidien dans lequel une gêne prosaïque affleure sans cesse. On se trouve entre le monde de 1998, celui du souvenir, et celui d’aujourd’hui, tout empli de la présence des absent-e-s que la téléphonie permet. Et pourtant, au cœur de cette trame narrative sensible, des flux de pensée parallèles et métaphoriques — dont l’énigmatique discours peut parfois perdre — pose les jalons du drame vers lequel le spectacle reflue. 

La musique fait également battre le cœur du spectacle, dont le titre fait référence à la chanson éponyme d’Anne Sylvestre. Cette chanson populaire, c’est aussi Joe Dassin chanté à l’autre bout du monde. Et comme pour contrer cette culture populaire, celle de bals dont il est question dans l’histoire, le piano fait entendre Schubert et Beethoven. Cette irruption du classique semble ainsi épouser à merveille la logique du flux de pensée, celle de la mélancolie dont on ne saisit pas tout de suite la cause.

Un spectacle tout en pudeur

Marie Fortuit montre avec Le Pont du Nord l’aveu qui peine à venir, la culpabilité formant un spectre inqualifiable, l’enfance retrouvée dans la complicité fraternelle, et l’urgence de faire face au traumatisme pour enfin tourner la page. Son écriture est pudique et prend parfois les mots des autres comme autant de détours pour échapper à la nécessité de dire enfin.

On retrouve dans le spectacle des univers qui lui sont familiers. Le football qu’elle a pratiqué et qui est l’un des autres acteurs de l’intemporel été 1998. Et derrière ce football se dévoile l’activité interdite à la fille, celle qui lui fait admirer les garçons qui jouent. Les supports vidéo ne se privent pas toutefois de montrer le football féminin, même si c’est pour en faire une métaphore de la défaite.

Au cœur du Pont du Nord, il y a aussi cette difficulté de vivre partagée par une sœur qui a enfoui au plus loin le viol dont elle a été victime — et dont l’ombre plane sur l’ensemble du spectacle — et par un frère qui sait sans savoir et que cette douleur sur laquelle il ne peut mettre de mot abat. Toute la pièce transpire de la pudeur de ce frère et de cette sœur, dont aucun-e n’ose repousser les limites.

Marie Fortuit signe avec le Pont du Nord une pièce dont certains passages sont certes un peu sibyllins, mais dont l’ensemble fait preuve d’une sensibilité et d’une originalité prometteuse. Le Pont du Nord fait partie de ces spectacles que l’on verrait même volontiers deux fois afin de résoudre les énigmes résistantes et de relire l’ensemble du spectacle à l’aune de la révélation finale.

En savoir plus :

Morgane P.

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