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Dom Juan ou le festin de pierre par Jean Lambert-wild, Lorenzo Malaguerra image théâtre classique
© Thierry Laporte

♥ Critique / “Dom Juan ou le festin de Pierre” par Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra

Dernière mise à jour : août 24th, 2020 at 06:42 pm

C’est avec beaucoup d’énergie et de talent que Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra s’emparent du Dom Juan ou le festin de Pierre de Molière. Bulles de Culture a eu la chance de se glisser dans une des représentations du Théâtre Dijon Bourgogne et vous raconte. Notre avis et notre critique théâtre sur ce spectacle coup de cœur.

Synopsis :

Dom Juan (Jean Lambert-wild), libertin invétéré, tente d’échapper à la vertueuse Elvire qu’il a séduite. Il ne cesse pour cela de s’appuyer sur Sganarelle (Yaya Mbilé Bitang), son valet. C’est sans compter sur les remontrances de son père, Dom Carlos, les charmes paysans de la belle Charlotte, le discours chrétien d’un mendiant, et, bien sûr, la présence fantomatique et inquiétante du Commandeur assassiné.

Dom Juan ou le festin de Pierre dans une mise en scène originale et ingénieuse

Nous avions eu le plaisir de découvrir il y a deux ans l’adaptation de Richard III par Jean Lambert-wild ; sa mise en scène de Dom Juan ou le festin de Pierre nous a ravi tout autant. Et c’est peu dire !

Quand le rideau se lève, on entend quelques exclamations d’émerveillement s’échapper de part et d’autre de la salle et cela se comprend. C’est un encadrement splendide jouant d’effets décoratifs de tapisserie d’Aubusson qui se dévoile, complété d’un intérieur intrigant et d’un arbre conduisant à un refuge digne d’une cabane, en hauteur. Ça et là sont disposés des objets en porcelaine de Limoges — à noter que depuis qu’il est directeur de L’Académie de l’Union – École Supérieure Professionnelle de Théâtre du Limousin, Jean Lambert-wild travaille avec les entreprise locales de porcelaine. L’ensemble impressionne et réveille les âmes d’enfant sommeillant en chacun de nous.

La mise en scène de Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra marque en outre des choix forts. Dom Juan revêt les traits de Gramblanc, le clown blanc de Jean Lambert-wild. Sganarelle est devenue femme : c’est une Yaya Mbilé Bitang extraordinaire qui l’incarne avec brio. Ces deux choix, à eux seuls, modifient la perspective de la pièce de Molière. On ne paraît plus être en Europe au XVIIe siècle, mais bien plutôt en Amérique, au siècle suivant. Et quel changement pertinent ! La relation maître/serviteur tend à devenir une relation maître/esclave. Et les ambiguïtés et les paradoxes gagnent ainsi en profondeur. De même, la dimension sexuée de cette relation l’enrichit encore, la rendant plus glissante, plus grinçante aussi.

Autre trouvaille, de taille, on trouve sur scène trois musiciens suisses de la Compagnie de l’Ovale : Denis Alber, Pascal Rinaldi et Romaine. Le balcon qui leur est réservé fait d’eux les témoins malheureux ou malencontreux des errances inquiétantes d’un Dom Juan parfois glaçant. Le ressort burlesque qu’ils offrent est un renfort de comique évident. La naïveté qu’ils incarnent, presque sans mots, est d’une drôlerie sans nom. La présence musicale qu’ils créent constitue, en plus de cela, un soutien important dans les scènes où le texte de Molière s’enlise et n’évite pas tout à fait les lourdeurs.

Dom Juan ou le festin de Pierre : une énergie débordante et jouissive

La mise en scène de Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra pour Dom Juan ou le festin de Pierre a cet avantage immense qu’elle tient ses promesses jusqu’au bout. Le Dom Juan clownesque qu’elle offre est plus cynique que jamais. Jean Lambert-wild en offre une version éblouissante. Cet être imprévisible, révolver à la main, qui est joueur au point de pointer l’arme contre sa tempe et de tirer, sidère, interpelle et dérange bien au delà de ce à quoi l’on est habitué-e. On rit, nerveusement souvent, face à cet être inquiétant au possible.

Le binôme réussi qu’il crée avec ce Sganarelle féminin, dont l’hypocrisie est plus criante que jamais, donne un véritable corps à la pièce. Le discours changeant, fuyant, parfois sincère mais souvent flatteur du serviteur — ou de l’esclave — captive autant qu’il amuse. On plonge avec ces deux personnages — et ces deux magnifiques comédien-ne-s — au cœur des complications et des intrications complexes d’un rapport de domination abusif, pour ne pas dire pervers. Jean Lambert-wild et Yaya Mbilé Bitang, dans l’interprétation juste, nuancée et inventive qu’ils donnent, offrent à ce couple une actualité époustouflante.

Quant aux autres personnages, Elvire, Charlotte, Dom Carlos et le Mendiant, ce sont quatre comédien-ne-s de L’Académie de l’Union – École Supérieure Professionnelle de Théâtre du Limousin qui les interprète. Pour notre représentation, Claire Angenot, Matthias Beaudoin, Antonin Dufeutrelle et Nina Fabiani, mais les rôles tournent parmi les quinze de la promotion. L’énergie qu’ils apportent est sensible. Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra ne les ménagent pourtant pas, leur confiant les rôles de Dom Carlos et du mendiant quand leur prime jeunesse ne leur rend pas les choses faciles. Cela fonctionne. Cela fonctionne même diablement bien. Quel beau challenge !

Toute cette mise en scène de Dom Juan ou le festin de Pierre sonne d’ailleurs comme un challenge. Un challenge magistralement mené et réussi. La représentation est d’un comique évident, plus que cela, elle est entièrement jouissive. Tout est absolument convaincant ! Les trouvailles, de quelque registre qu’elles soient — et nous refusons de toutes les dévoiler —, sont au pire bienvenues, au mieux géniales d’inventivité et d’intelligence. C’est un grand et très beau moment de théâtre que nous offrent Jean Lambert-wild, Lorenzo Malaguerra et leur équipe, de ces moments dont on se souvient longtemps et que l’on n’oubliera jamais vraiment ! C’est un spectacle coup de cœur de Bulles de Culture.

 
 
 
 
 
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Un Molière plein de mordant pour ouvrir la saison, on a beaucoup ri hier soir ! @theatre_dijon_bourgogne #domjuanoulefestindepierre #jeanlambertwild

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En savoir plus :

  • Dom Juan ou le festin de Pierre au Théâtre Dijon Bourgogne du mardi 1er octobre au samedi 5 octobre 2019
  • Tournée de la pièce : le 5 novembre 2019 à l’Espace Jean Legendre de Compiègne ; les 14 et 15 novembre 2019 à Le Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire ; du 20 au 22 novembre 2019 au Théâtre de Cornouaille, Scène nationale de Quimper ; les 28 et 29 novembre 2019 au Théâtre de Grasse ; les 5 et 6 décembre 2019 à Le Volcan, Scène nationale du Havre ; les 11 et 12 décembre 2019 à Le Granit, Scène nationale de Belfort ; les 16 et 17 décembre 2019 à l’Équinoxe, Scène nationale de Châteauroux ; du 6 au 9 janvier 2020 au Théâtre de Crochetan de Monthey en Suisse ; du 13 janvier au 15 février 2020 au Théâtre de la Cité internationale de Paris ; les 5 et 6 mai 2020 à la Comédie de Caen – CDN de Normandie, Théâtre d’Hérouville
  • Durée du spectacle : 1h40
Morgane P.

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