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Critique / “Merci Patron !” (2015) de François Ruffin

Dernière mise à jour : avril 9th, 2020 at 01:24 am

Merci Patron ! est le premier film de François Ruffin, fondateur du journal pas content Fakir. Un documentaire satirique hilarant, divertissant, éloquent, important, et surtout pas ch… En bref, un film malin, positivement engagé, et une explosion de bonne humeur pour tous les indignés en mal de révolution. L’avis et la critique film de Bulles de Culture.

Synopsis :

Pour Jocelyne et Serge Klur, rien ne va plus : leur usine fabriquait des costumes Kenzo (Groupe LVMH), à Poix-du-Nord, près de Valenciennes, mais elle a été délocalisée en Pologne. Voilà le couple au chômage, criblé de dettes, risquant désormais de perdre sa maison. C’est alors que François Ruffin, fondateur du journal Fakir, frappe à leur porte. Il est confiant : il va les sauver. Entouré d’un inspecteur des impôts belge, d’une bonne soeur rouge, de la déléguée CGT, et d’ex-vendeurs à la Samaritaine, il ira porter le cas Klur à l’assemblée générale de LVMH, bien décidé à toucher le coeur de son PDG, Bernard Arnault. Mais ces David frondeurs pourront-ils l’emporter contre un Goliath milliardaire ? Du suspense, de l’émotion, et de la franche rigolade. Nos pieds nickelés picards réussiront-ils à duper le premier groupe de luxe au monde, et l’homme le plus riche de France ?

Merci Patron ! : un “documédie” ravageur

 

Merci Patron ! est une comédie documentaire à la croisée entre Michael Moore et Jean-Yves Lafesse, les deux références principales de François Ruffin, son réalisateur. Donc ici pas d’intellectualisation pompeuse ni d’analyse complexe ou autre recherches approfondies sur notre société. À la place de la théorie, de la réflexion ou de l’observation, Merci Patron !  choisit l’action directe et l’affect populiste (dans le vrai sens du terme). Tout comme Michael Moore avec dans Roger et moi, François Ruffin se met en scène de manière satirique dans sa mission contre Bernard Arnault, le PDG multi-milliardaire qui délocalise plus vite que son ombre.

Dès le début du film, le réalisateur se fait l’avocat du diable. Avec un second degré bien trempé, il prétend que Monsieur Arnault serait en fait un homme d’affaire et un patron exemplaire, comme l’affirme la plupart des médias —au premier degré malheureusement. Ruffin débute alors sa campagne “I ♥ Bernard”, slogan estampillé à outrance, sur son van, ses t-shirts, ses casquettes et même ses caleçons. Le ton est donné et le message est clair : ce n’est pas parce qu’on est révolté qu’on ne peut pas rigoler, bien au contraire.

Mieux vaut rire…

 

Alors pas le temps de se larmoyer sur le sort des quelques salariés mis à la porte des usines de LVMH pour accroître des bénéfices trop indécents en faveur des riches actionnaires et du patronat. Pour le réalisateur néo-fan de Bernard, il suffirait simplement de rétablir le dialogue entre le brave patron et ses (ex)-salariés pour que tout rentre dans l’ordre.

Sous ce faux prétexte sarcastique, François Ruffin part à la rencontre de la famille Klur, victimes emblématiques de la délocalisation avec leur double licenciement économique. Mais empêtrés dans un quotidien de misère, les Klur risquent bientôt de perdre leur maison. Ruffin dévoile alors sa véritable mission: soutirer des dédommagements au grand patron par tous les moyens nécessaires.

Merci Patron ! se transforme alors en un incroyable film d’arnaque mené par une bande de joyeux lurons prêts à toutes les combines pour arriver à leur fin. Caméras cachées, infiltrations secrètes, déguisements, chantage… Le tout dans un esprit potache et divertissant, volontairement empli de références populaires allant des Charlots à Robin des Bois en passant par La petite maison dans la prairie.

François Ruffin met l’humour et le divertissement au centre de son “documentaire” sans jamais vraiment se prendre la tête — ni celle du spectateur hilare. Et malgré cette démarche décontractée, le film arrive à exposer avec une surprenante efficacité les ravages de la délocalisation en France et met à jour une lutte des classes plus violente que jamais.

Plus fort qu’un long discours

 

Un ancien commissaire des renseignements généraux reconverti en barbouze, un maire socialiste devenu secrétaire générale de LVMH, une armée de CRS assurant la sécurité de riches actionnaires… Tant d’images éloquentes dont regorge le film et qui révèlent par elles-même la cruelle réalité de notre société.

Oubliés les discours biaisés des politiciens, les faux débats et la culture de la langue de bois, rabachés au quotidien à la TV, à la radio, dans les journaux… La simple vérité que l’on reconnaît tous par l’évidence de sa réalité est mise à nue dans Merci Patron ! : l’effroyable réalité de la lutte des classes. Car comme le résume si bien Warren Buffett, le troisième homme le plus riche du monde: “Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner”.

L’État, les politiciens et les médias mainstream sont aujourd’hui au service des plus riches. Et cette oligarchie n’a qu’une seule priorité : le profit. Elle sert cette cause avec virulence, sans aucune considération morale pour le peuple méprisé qui se résigne dans son impuissance.

Le constat de cette vérité est tellement déprimant qu’on se refuse généralement à s’y confronter. C’est pour cela que Ruffin choisit le parti pris de l’humour et du divertissement. Et la surprenante efficacité dont lui et son équipe font preuve pour faire tourner en bourrique toute la clique de Bernard Arnault va permettre finalement une victoire inespérée pour la famille Klur. Un pied de nez monumental et héroïque des ch’tis David contre le richissime Goliath !

Merci Patron ! révolte autant qu’il fait rire. Mais surtout, il apporte au spectateur indigné une nouvelle vague d’espoir et ranime en lui l’étincelle révolutionnaire. Avec un enthousiasme ravageur, le documentaire nous montre que la lutte est encore possible et peut être remportée dans la joie et la bonne humeur. L’oligarchie toute puissante n’est pas intouchable, bien au contraire…

Il n’est pas encore trop tard pour voir le film en salles, même s’il ne joue que dans trop peu de cinémas. Merci Patron ! n’ayant pas reçu de financement CNC — on se demande bien pourquoi ! —, le film est sorti avec un nombre de copies limité mais grandissant grâce à un bouche à oreille phénoménal.

Un franc succès qui passe pourtant relativement inaperçu grâce à la presse généraliste qui se garde bien de promouvoir la réussite du film. Mais ce n’est pas une raison pour que vous passiez à côté de cette tranche de rigolade révoltée.

Faites-vous une petite révolution pour le printemps et allez voir Merci Patron !.

Vous ne le regretterez pas !

En savoir plus :

  • Date de sortie France : 24/02/2016
  • Distributeur France : Jour2Fête
Emilio M.

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