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[Critique] “Ombre parmi les ombres” d’Ysabelle Lacamp : Du soleil les jours noirs

Dernière mise à jour : mars 25th, 2019 at 02:34 pm

Ysabelle Lacamp imagine dans Ombre parmi les ombres la rencontre entre un petit Tchèque, l’un des derniers enfants survivants de Terezìn en République tchèque, et Robert Desnos, trop malade pour être rapatrié en France en mai 45. L’avis de Bulles de Culture sur ce roman lumineux.

Synopsis :

Il s’appelle Leo Radek ; il a survécu à Terezìn durant toute la guerre, mais a vu partir et mourir parents, amis, frères. Il croise, au hasard d’un air de jazz qu’il sifflote, Robert Desnos, le poète surréaliste, qui a survécu aux camps, mais est bien mal en point. Ysabelle Lacamp imagine qu’une relation se noue entre les deux êtres, de ces relations fortes que l’imminence, l’omniprésence de la mort rendent plus intenses. Il est question dans Ombre parmi les ombres de poésie, d’utopie, de politique, et d’un humanisme incroyable.

Ombre parmi les ombres : Petites histoires et grande Histoire

Ysabelle Lacamp image (c) HSchneeberger
© H. Schneeberger

On est en mai 45, le camp de Terezìn est libéré, mais il est encore plein : les équipes médicales affluent des pays européens pour soigner les survivants. Parmi eux, Leo Radek, l’un des enfants de Terezìn, est valide et se porte volontaire pour aider les soignants. Parmi les survivants, Robert Desnos, le célèbre poète, est en piteux état. Le hasard crée la rencontre, et le roman Ombre parmi les ombres imagine ce qu’ont été les derniers jours du poète résistant vus par le regard du petit Tchèque.

Leurs vies ont des fils bien différents que Terezìn lie cependant d’une étrange façon. Ombre parmi les ombres permet ainsi d’entrevoir le parcours de Robert Desnos : poète, journaliste, amant, ami. On aperçoit la fougue des débuts surréalistes, la période des rêves, puis l’éviction du groupe, la rupture avec André Breton vécue comme une trahison. On devine les amours contrariées, d’Yvonne George à Lucie Badoud, dite Youki. On voit se dessiner le travailleur inlassable des mots, l’orfèvre du dire, le diamantaire du verbe. Le résistant qui demeure au journal Aujourd’hui quand ce dernier devient propagande de l’Occupant pour livrer les informations importantes aux réseaux de l’ombre. Le poète libre et engagé qui publie rageusement dans la presse clandestine des textes qui invitent à résister.

Le destin de Leo Radek est tout autre, mais il rejoint lui aussi celui de la grande Histoire : jeune Juif dont la famille est installée à Prague, et qui voit partir son père, sa mère, puis lui-même pour Terezìn. On découvre avec lui cet étrange ghetto où les Allemands parquent les Juifs d’Autriche, de Tchécoslovaquie, où se retrouvent les artistes juifs, où la musique fait tenir les gamins qui hantent ses rues. Terezìn, un ghetto que les Allemands présentent comme une vitrine. Un film y sera même tourné, raconte le gamin, avec d’authentiques décors mensongers. Car la mort fauche ici comme dans les autres camps, au point qu’elle ronge de l’intérieur les rares survivants.

Petits hommes et grands hommes

Ce qui fait la réussite du livre Ombre parmi les ombres, c’est que son auteur Ysabelle Lacamp nous montre ses deux personnages tour à tour comme de petits hommes et de grands hommes. Pas de hiérarchie entre le gamin et le poète. Ce sont deux utopistes quand l’idéaliste République de Skid que raconte Leo Radek croise les principes de la Révolution surréaliste. Ce sont deux écorchés quand le poète malade délire et se retrouve tiraillé par les êtres qu’il a aimés et perdus, notamment Yvonne George, tout comme le gamin, hanté par ses morts. Ce sont encore deux rêveurs qui ont le rêve haut, qui incarnent dans leur chair que vivre c’est résister jusqu’au dernier souffle. On découvre alors le poète un peu bouffon qui résiste par le rire, fait survivre les autres par l’humour, jamais à court d’idées pour tourner en ridicule la situation, accrocher à la vie tous ceux qui l’entourent. Cette générosité, belle de simplicité, émeut profondément.

On frissonne également d’émotion avec ce gamin qui tient dans l’espoir qu’il partage avec ses camarades de changer le monde et qui vole tant qu’il peut les instants de bonheur, comme ceux que lui offre la musique dans le camp de Terezìn, l’opéra Brundibar, écrit pour les enfants par Hans Kràsa, ou les répétitions du Requiem de Giuseppe Verdi, concert maudit parce qu’il fallait remplacer sans cesse certains des membres de l’orchestre.

Traversé par des extraits vibrants de textes de Robert Desnos, Ombre parmi les ombres est somme toute un bel hommage aux survivants de l’horreur nazie, grands ou petits, connus ou anonymes. C’est aussi un bel encouragement à lever le poing, à garder le verbe haut, à rester debout face à la barbarie, à porter l’art comme on porte un fusil à l’épaule et à croire en la vie.

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En savoir plus :

  • Ombre parmi les ombres, Ysabelle Lacamp, Éditions Bruno Doucey, collection “Sur le fil”, 4 janvier 2018, 192 pages, 16€
Morgane P.

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