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Confiteor (2013), l’indéfinissable chef-d’œuvre

Dernière mise à jour : janvier 14th, 2020 at 06:02 pm

Confiteor - couverture

Confiteor, prière latine qui signifie « Je reconnais, j’avoue », est un titre parfaitement choisi par son auteur Jaume Cabré pour un récit parsemé des confidences d’un homme qui sent la fin… Prenez ce qui suivra comme une ligne directrice, soit la partie émergée de l’iceberg sous lequel se cache un flot tumultueux d’émotions et de réflexions.

Synopsis :

Voici l’histoire d’Adrià, jeune garçon brillant qui grandit dans les années 50 à Barcelone. Aujourd’hui âgé et voué à perdre la mémoire, il immortalise son passé en écrivant son histoire. Élevé par des parents peu enclins aux sentiments et à l’affection, il essaye de satisfaire aux mieux les ambitions démesurées de ceux-ci. Son père le destine à une carrière d’intellectuel polyglotte et reconnu, tandis que sa mère le pousse à devenir un des plus grands violonistes de sa génération. Épaulé par Carlson et Aigle Noir, deux figurines de Cow Boy et d’Indien qui seront auprès de lui toute sa vie, Adrià essaye de pallier au manque d’amour et à l’indifférence familiale. Adressé à Sara, la femme de sa vie, omniprésente, citée et apostrophée tout le long du livre, ce récit nous plonge dans une tumultueuse histoire de famille. Le jeune homme découvre au fur et à mesure l’origine du patrimoine familial, en particulier celui de son père, antiquaire et collectionneur hors pair impliqué dans des affaires louches…

Une épopée et un réalisme à couper le souffle

 

Confiteor (Jo confesso en catalan) nous fait traverser, avec une extraordinaire précision, diverses périodes de l’histoire du monde. Défiant les codes du récit narratif traditionnel et avec une volontaire absence de ponctuation significative, l’auteur nous entraîne brillamment dans une cadence effrénée, passant parfois du “il” au “je” en une phrase…

Le lecteur se retrouve plongé au cœur de l’Inquisition, de l’Allemagne nazie mais aussi du continent Africain à une époque lointaine… Sans tomber dans le « documenté » journalistique, la connaissance et l’érudition de l’auteur n’a d’égal que l’authenticité des personnages qu’il met en scène.

Avec une incroyable fluidité et de façon presque cinématographique, Jaume Cabré nous fait vivre les scènes avec un réalisme à couper le souffle.

Une partition virtuose

 

Le récit est à l’image du Storioni, un violon familial à l’histoire complexe qui est un des fils conducteurs de ces écrits. Plus qu’un objet, il est l’image de la dégénérescence morale de la société et des individus qui l’ont eu en mains. « A mon âge, je commençais à apprendre que plus que les choses, ce qui est important, c’est l’espoir que l’on projette sur elles. C’est ce qui nous rend humain. »

Rappelant la virtuosité d’une partition, l’infinie subtilité avec laquelle l’auteur manie la langue rend cette œuvre époustouflante et unique. Il est d’ailleurs impossible de ne pas évoquer et encenser le traducteur Edmond Raillard qui a reçu le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres pour son travail.

Dense et complexe, il faudra au lecteur de la patience (et du temps !) pour s’imprégner de l’atmosphère de ces quelques 784 pages ainsi que des sauts dans le temps et de ce personnage si particulier : « J’appris qu’il y avait des peines qui pouvaient durer une semaine entière et j’eus un peu peur de la vie. »

L’Art et l’Homme

 

Ce récit de vie résonne en nous. Il nous transmet cette passion viscérale du toucher et du regard pour ces choses sublimes qu’on imagine au bord de la perfection : « L’art est inexplicable (…). On peut tout au plus dire que c’est une preuve d’amour donnée par l’artiste à l’humanité. »

Touchant, parfois dur, mais drôle et piquant aussi, cette fresque fait ressortir les tréfonds de l’âme humaine à travers un personnage qui raconte avec du recul les évènements de sa vie, ses regrets et ses remords.

« Adrià relança la conversation : – Le dieu chrétien est rancunier et vengeur. Si tu commets une faute et que tu ne t’en repens pas, il te punit de l’enfer éternel. Cela me semble une réaction disproportionnée et je ne veux rien avoir à faire avec ce dieu. »

Un livre brillant, fascinant, indéfinissable

 

Les critiques ne tarissent pas d’éloges, comme le magazine en ligne Bah alors ? et l’article de Thierry Saunier : « Confiteor est un livre complexe, touffu, ardu, virtuose, labyrinthique, irrésumable. Bref : son accès n’est pas facile et se conquiert de haute lutte. Mais pour le lecteur obstiné, quel prodige de grâce et de demi-deuil. »

Jaume Cabré i Fabré est philologue, écrivain et scénariste. Le pouvoir, la condition humaine et la valeur de la création artistique (la musique en particulier) sont des sujets récurrents de son œuvre. Il aura mis 8 ans à écrire Confiteor, qu’il considère toujours comme inachevé : « d’un point de vue narratif, Confiteor est maintenant fermé, d’un point de vue moral, il reste ouvert ».

A travers ce livre émerge une réflexion sur l’Homme, sur sa conscience des choses, et le rôle de l’Art dans cette prise de conscience. Brillant, fascinant et indéfinissable, les adjectifs manquent pour définir ce joyau de la littérature catalane. Un sentiment de vide apparaît une fois la lecture terminée, comme la conscience d’avoir intégré quelque chose de rare et d’exceptionnel…

En savoir plus :

  • http://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature-etrangere/confiteor (site officiel de l’éditeur français)
  • Confiteor, Jaume Cabré, Éditions Actes Sud, septembre 2013, 784 pages, 26 €
  • Grand prix SGDL de traduction (2013), Prix du Courrier International du meilleur livre étranger (2013), Prix Jean Morer (2014) 
Rachelle Gosselin

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