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[Critique] “Vernon Subutex, 1” (2015) : Les Enfants du Rock avec 30 ans de plus

Dernière mise à jour : avril 8th, 2019 at 06:40 pm

Après Apocalypse bébé, Prix Renaudot 2010, Virginie Despentes signe en ce début d’année son retour à la fiction avec Vernon Subutex, 1. L’avis et critique livre de Bulles de Culture.

Synopsis :

Vernon était le roi du monde jusqu’à la mort du vinyle dans les années 2000. Désormais c’est un type déconnecté de lui-même, de ses aspirations, resté bloqué au siècle dernier, quand on se donnait encore la peine de prétendre qu’être était plus important qu’avoir. Dès le premier chapitre, les huissiers le foutent à la porte… À peine le temps d’empiler quelques affaires dans un sac avant de se retrouver sur le trottoir. Vernon porte la marque des disparus. Celle des remplaçants, relégués au banc de touche, absents du terrain de jeu collectif… Un type brillant devenu looser. Vernon ou le mythe de la chute. Vernon ou les désillusions d’une génération perdue. Les quinquas ont pris du bide. Leurs dents sont jaunies et entartrées, de même que leurs rêves de jeunesse. Ils sont souvent seuls et vieillissent mal. « Passé quarante ans tout le monde ressemble à une ville bombardée ».

      Vernon Subutex : la musique et le rock à l’honneur

Vernon Subutex était tout d’abord le nom d’un compte Facebook. C’est devenu le nom d’un anti-héros, protagoniste du premier volet d’une trilogie, dont la seconde partie devrait paraître courant mars. Subutex a toujours été ce gars débonnaire, sourire en coin derrière le comptoir de son magasin de disques. Vanneur – pas grande gueule, mais doué d’un esprit de répartie assez vif. Si on la fait courte, c’est l’histoire d’un ancien disquaire devenu SDF à la cinquantaine. Il erre dans Paris, de potes en potes et de galères en galères. Mais dit comme cela c’est beaucoup trop réducteur.

On suit ses tribulations au travers de rencontres avec des personnages hauts en couleur. Parmi les potes de la première heure, certains sont partis faire leur vie ailleurs. Beaucoup sont morts : Pierrot puis Jean-No… D’autres comme Emilie sont devenus « ce que leurs parents voulaient qu’ils deviennent ». Xavier, scénariste médiocre, végète et tient des discours racistes. Sylvie, qui selon Vernon a « le goût du cuir et du blasphème », s’entiche de lui. Laurent, producteur tout puissant, brasse de l’or. Pour lui, « le pire, c’est le succès d’autrui ». Il y aussi Olga, Kiko, Sélim et les autres… Quelques-uns continuent à écouter du rock, à penser aux filles, à se défoncer à la bière, au vin ou à la poudre. Mais c’est juste pour la forme, parce que dans le fond ils ne croient plus en rien. Vernon fait partie de ceux-là. Sans boulot, sans toit, sans clopes, sans retraite, sans espoir… Mais avec un bon carnet d’adresses et surtout un lot de rushes inédits signés Alex Bleach, son pote et rock star tout juste décédé.

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© JF PAGA, Grasset

La musique est à l’honneur et le rock coule à flot dans ce texte. Entre les lignes, on entend les riffs des Thugs, des Bérus, de L7 ou Led Zep et consorts… On crache logiquement sur la gueule d’ange de Stromae. On distingue aussi des échos de Bukowski, Djian, Ellroy ou Selby entre autres. Tout cela donne du rythme, du mordant et de la saveur à ce roman choral. Peinture d’une crise existentielle identitaire qui secoue et enlise les personnages comme le pays… Radioscopie trash de la comédie inhumaine moderne. Un individu lambda peut tout perdre et la classe moyenne est une espèce en voie d’extinction, nous rappelle la romancière. Pour autant elle se défend de tomber dans le roman sociologique. « C’est l’assemblage qui finit par donner l’impression d’un instantané de Paris ». L’écriture fluide et nerveuse est tendue autour d’un double fil narratif. Celui de Vernon, squattant chez les uns et les autres. Chaque chapitre est conçu comme un mini-épisode de série et introduit un nouveau personnage. Mais ce livre fricote aussi avec le polar urbain qui lui sert de fil rouge. Les rushes que détient Vernon excitent bien des convoitises. Bientôt il est suivi… La Hyène, déjà croisée dans Apocalypse bébé (2010), est sur le coup.

Le Sex, Drug and Rock and Roll Despentien contagieux

Certains critiques clament que Virginie Despentes n’a plus rien à dire. Peut-être n’avons-nous pas lu le même livre ? Plusieurs versions seraient-elles parues en même temps ?
Soyons clairs, Vernon Subutex n’a pas la force générationnelle d’un Baise-moi (1993). L’effet de surprise est passé… On le sait, les cris les plus underground sont récupérés un jour ou l’autre par le mainstream. C’est la loi du genre. L’auteure n’y échappe pas et Grasset veille sur sa pouliche aux oeufs d’or. D’ailleurs son féminisme éculé n’affiche rien de vraiment neuf. Il rime toujours avec ultra, avec violence, porno, défonce, alcool, musique saturée et désormais transsexualité. Autre évidence : Despentes n’a pas sa langue dans sa poche ni son mouchoir par-dessus. Tout le monde en prend pour son matricule. Elle distribue ses aphorismes comme des sentences par la voix de ses personnages… A croire par moment qu’ils n’ont que ça à faire. Ça va les gars, détendez-vous, on n’est pas au tribunal. Allez boire un coup ça ira mieux après.

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© JF PAGA, Grasset

Malgré cela le Sex, Drug and Rock and Roll despentien (l’adjectif existe-t-il ?) reste contagieux. Au final ce qu’elle perd ici en punch, elle le gagne en maturité. Et si elle a éjecté les hommes de son intimité, c’est pour mieux les ausculter : « Les femmes évoluent avec l’âge. Elles cherchent à comprendre ce qui leur arrive. Les hommes stagnent héroïquement, puis régressent d’un seul coup ». Alors misandrie ou non ? Réponse : on s’en tape ! Ce miroir, pas si déformant que ça, est un juste retour des choses pour la gente masculine… Une petite claque salutaire. Tant on est habitué à voir les femmes-objets traînées par les cheveux, dominées, salies dans toutes les positions. La romancière met à mal une littérature, un cinéma, allez osons le dire une société, qui en ont décidément mal d’être trop mâle. Fuck off et no future ! Machos et petits Bobos s’abstenir. Vous l’avez bien cherché. Une fois n’est pas coutume, allez vous faire mettre !

Qui est Vernon Subutex ? Telle est la question que pose la 4e de couverture. On est plutôt en droit de se demander qui est Virginie Despentes ? Dans King Kong Théorie (2006), elle relatait son viol subi à 17 ans. Juste une anecdote de rien de tout, une peccadille… Trois fois rien dans la vie d’une gamine qui revient de Londres en stop… Les peep-shows, la prostitution, la coke, le milieu alternatif, elle a baigné dedans. L’école de la vie, elle y a fait ses classes, que ce soit à Lyon, à Paris ou plus récemment à Barcelone. Là où certains auteurs s’inventent et fantasment des vies imaginaires, elle n’a qu’à piocher dans la sienne. Sa biographie parle pour elle. Une chose est sûre : avec ça on ne fera pas banquette chez d’Ormesson.

Derrière cette façade hardcore lézardée, on devine la sensibilité à fleur de peau d’une femme, certes écorchée vive, mais tellement brillante. Dans un paysage artistique bien trop souvent guindé ou pire faussement provoc… Dieu que cette voix punk, mais avant tout bourrée de talent, fait du bien. Vivement la suite.

En savoir plus :

  • Vernon Subutex, 1, Virginie Despentes, Éditions Grasset, janvier 2015, 400 pages, 19.90€
Nicolas Lavroff

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