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Critique / “Continuer” (2016) de Laurent Mauvignier : une puissante chevauchée

Dernière mise à jour : décembre 12th, 2020 at 12:15 pm

Il est des ruptures dans la vie qui n’ont pas de nom et que Laurent Mauvignier sait dire comme personne. Si vous aussi, vous voulez Continuer, ruez-vous sur son nouveau roman ! L’avis et la critique livre de Bulles de Culture.

Synopsis :

Sibylle, mère fatiguée et récemment divorcée, se retrouve seule avec son fils, Samuel, adolescent, dans une nouvelle ville. Mais pour Samuel cette nouvelle vie est une accélération précipitée contre un mur. Sibylle se doit de sauver son fils, sauver sa propre vie, sauver leur vie. Alors elle conçoit un projet fou : traverser le Kirghizistan à cheval avec son fils. Ce chemin partagé peut-il encore les sauver ?

Continuer pour ne pas rester englué dans le sombre et le laid

Sibylle a la quarantaine, elle fume trop, travaille trop, et elle fait comme elle peut avec Samuel, son adolescent de fils. L’appartement croule encore sous les cartons. Sibylle s’enfonce dans la solitude et les volutes de tabac. Samuel peine à trouver sa place. Il décroche à l’école, se rase la tête, fréquente de sales gosses aux idées racistes. Il est de ces moments où le dérapage s’installe, où tout semble s’échapper doucement et glisser entre vos doigts. Samuel et Sibylle s’éloignent l’un de l’autre, et se perdent chacun dans des replis vicieux.

Et puis, il y a l’électrochoc : un soir de fête, Samuel boit avec ses amis, et dans une léthargie d’ivresse, il ne défend pas cette fille qu’il admire pourtant des mains et des mauvaises manières de ses abrutis de copains. C’est au poste de police que Sibylle va chercher son fils. Cellule de crise et arrivée de Benoît, le père, qui se veut débarquer en sauveur. Il y a son arrogance, son jugement, son mépris, son ton de donneur de leçons.

L’écrivain Laurent Mauvignier saisit avec justesse cette sensation de dérive, ces atmosphères de tensions, ces non-dits qui alourdissent les conversations. Le roman Continuer saisit la pudeur, le courage, le désespoir de Sibylle, comme il s’empare du mal-être grandissant de Samuel, de l’arrogance agaçante de Benoît. Les drames se nouent toujours dans la simplicité violente du quotidien chez Laurent Mauvignier ; Continuer vient encore illustrer cet incroyable talent de l’auteur.

Les démons à dompter

Il faut faire quelque chose, et Sibylle décide de sortir son fils de la laideur dans laquelle il s’enfonce, de la laideur qui la submerge. Elle imagine un grand et beau projet qui permette à son fils de se retrouver. Elle met sur pied une traversée du Kirghizistan en sa compagnie. Ils chevaucheront parce Samuel aimait l’équitation. C’est décidé et plus rien ne la dissuadera.

Chacun résiste. Benoît espère l’échec de Sibylle qui démontrerait une bonne fois à Samuel à quel point elle est incapable. Samuel s’agace de ce que tout le monde admire l’idée et l’initiative de Sibylle.

Mais c’est parti. Deux chevaux : Sidious et Starman. Un voyage en quatuor où chacun reste d’abord fermé sur son silence. L’équilibre trouve pourtant son fil. Le rythme vient. Les habitudes font naître une routine qui apaise doucement les tensions. Continuer c’est l’histoire de cette idée folle qui devient une belle réalité, qui donne envie de croire aux projets que l’on étouffe en soi parce qu’on ne croit pas à leur possibilité.

Découvrir, chevaucher

Nous voici partis avec nos deux personnages à la découverte d’un petit pays, le Kirghizistan. Cette chevauchée fantastique nous emmène dans les steppes, les montagnes. Nous rencontrons les nomades, les brigands. Nous apprenons quelques mots de russe. Nous partageons la tente et le repas avec nos hôtes.

Le livre Continuer en cela est une bouffée d’oxygène, un grand bol d’air frais qui font naître l’envie de voyage, le désir de sillonner cette région inconnue, la volonté d’apprendre à connaître ses habitants et ses coutumes. C’est une rencontre humaine et chaleureuse à laquelle Laurent Mauvignier nous convie dans son roman Continuer, et nous ne pouvons que l’en remercier vivement.

Toutefois, le mépris et les préjugés ont la vie dure dans la tête de Samuel. Les rencontres ne font pas chemin en lui. En Sibylle, c’est un autre combat qui s’ouvre : ses rêves se peuplent de souvenirs. Elles retrouvent les traits du beau Gaël, les rayons ensoleillés de ses débuts réussis dans la vie. Quel drame a pu faire de son extraordinaire force, de ses talents prometteurs des sables mouvants qui l’emprisonnent ? Voyager, n’est-ce pas aussi ouvrir la voie aux souvenirs et aux doutes ?

Continuer, est-ce seul ou accompagné ?

photo Laurent Mauvignier (c) Roland Allard
© Roland Allard

Et puis, il y a deux Français qui croisent le chemin de nos nomades. L’un ramène Sibylle à la femme qu’elle a oublié être, qu’elle a préféré ne plus être. Et Samuel enrage du bonheur de sa mère. C’est alors que survient à nouveau le drame. Mais celui-là force Samuel à grandir, à partir à la découverte de cet être qui chevauche à ses côtés depuis des semaines et qu’il connaît pourtant si peu.

Benoît lui-même devra faire face à la réalité de son comportement, aux raisons qui l’ont mis hors de chez lui, à la cruauté des sentiments avec lesquels il a joués, aux limites de la haine qu’il voue à Sibylle qu’il a sauvée mais qui n’aura jamais su l’aimer. La vérité blesse toujours. La vérité de ce que l’on est doit finalement se dévoiler. C’est ainsi que la beauté de Sibylle que chacun s’acharnait à voir comme une « ratée » vient éclater dans une lumière qui n’a d’égale que l’obscure méchanceté que Benoît a su si bien dissimuler.

Les chapitres courts du roman Continuer nous entraînent dans cette odyssée parallèle, celle de Sibylle et celle de Samuel. La prose de Laurent Mauvignier nous invite à arpenter les virages sinueux des esprits, nous fait sonder les âmes de ces personnages beaux d’humanité, attachants dans leurs défauts et leur vulnérabilité, qui ont tant de peine à apprendre à aimer – ou à aimer à nouveau. La tendresse de l’auteur pour ses personnages imparfaits aux blessures à vif, aux plaies mal cicatrisées, aux espoirs malmenés, aux vies abimées est plus que jamais sensible.

Mais Continuer, n’est-ce pas toujours apprendre à aimer ?

En savoir plus :

  • Continuer, Laurent Mauvignier, Les Éditions de Minuit, 1ᵉʳ septembre 2016, 240 pages, 17€
  • L’idée de ce roman est née d’un article lu dans Le Monde en août 2014
Morgane P.

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