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diptyque Harold Pinter ashes to ashes l'amant mitch hooper affiche

[CRITIQUE] “L’Amant” et “Ashes to Ashes” par Mitch Hooper

Dernière mise à jour : avril 26th, 2017 at 02:36 pm

Mitch Hooper propose au théâtre Essaïon un diptyque d’Harold Pinter, constitué de L’Amant et de Ashes to Ashes, dans une mise en scène de maris et femmes de deux couples qui n’en finiront pas de laisser le spectateur perplexe.

Synopsis :

Dans L’Amant, pièce qui se situe dans les premières œuvres d’Harold Pinter, mari (Olivier Foubert) et femme (Delphine Lalizout) pimentent leur vie de couple en jouant chacun le rôle de l’amant et de la maîtresse.
Dans Ashes to Ashes, l’une des dernières pièces de l’auteur, le mari (Olivier Foubert) interroge sa femme (Delphine Lalizout) sur un homme qu’elle aurait rencontré. Les deux pièces entrent ainsi en parfaite résonance et questionnent les rapports conjugaux dans ce qu’ils ont de plus intime et de plus énigmatique.

L’Amant et Ashes to Ashes :
Badinages et bavardages absurdes

 

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© D.R.

 

Les deux pièces de Harold PinterL’Amant et Ashes to Ashes, mettent en scène des conversations de couple. Nous voilà devenu témoin voyeuriste plongé dans l’intimité du couple. Les choix de décor et de mise en scène faits par Mitch Hooper montrent bien que nous sommes au cœur de la maison, entre cuisine et salon, là où les dialogues se nouent. Les conversations qui se tissent sous nos yeux n’ont rien d’anodin puisqu’il s’agit dans les deux cas d’adultère. Le texte d’Harold Pinter joue toutefois du décalage entre le sujet abordé qui doit être grave et le ton adopté qui fait danser une belle préciosité.

Dans l’Amant particulièrement, les dialogues entre mari et femme à propos de la venue à venir ou advenue de l’amant s’effectuent avec un ton pincé, avec l’apparence d’une conversation parfaitement à sa place dans un couple de la bonne société. L’amant a-t-il été agréable ? Le temps passé avec la prostituée également ? Le comique naît de ce décalage burlesque, et l’on reconnaît bien ici l’influence du théâtre de l’absurde – on sait qu’Harold Pinter était proche de Samuel Beckett.

À noter que le binôme formé par Olivier Foubert et Delphine Lalizout donne entièrement corps à ce jeu burlesque magnifiquement mis en scène par Mitch Hooper.

L’Amant et Ashes to Ashes :
Rapports de domination équivoques

 

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© D.R.

 

Ce qui donne aux textes d’Harold Pinter leur relief autant que leur profondeur, c’est que le jeu avec l’absurde n’est pas gratuit. Derrière les expressions soutenues, derrière les dialogues guindés, derrière le burlesque de la situation apparaissent des rapports de domination qui intriguent et dérangent. Mitch Hooper fait tour à tour se croiser, se toucher, s’attirer et se repousser, se soumettre et se battre les corps.

C’est que le jeu de rôle du couple de L’Amant vient à faire surgir un double jeu pervers dans ses effets : on pousse l’autre – à savoir la femme – dans ses retranchements, on l’attaque sur ce qui peut la blesser intimement, on la fait douter. Quand le jeu s’arrête, il reste le doute, et ce doute subordonne l’une à l’autre. L’amant d’ailleurs est un être marié mais digne d’être aimé, qui finit par prendre l’ascendant ; la maîtresse n’est qu’une “putain” que l’on peut malmener. Le jeu s’arrête mais l’épouse ne peut être que l’amoureuse qui se plie au désir de son mari malgré les mots humiliants qu’il a eus.

Dans Ashes to Ashes, ce rapport de domination du mari sur l’épouse est plus net encore. Le mari est celui qui interroge vivement. C’est lui qui juge, interprète les propos de son épouse. Il insiste, enquête, fait préciser. Sa présence est inquiétante. Olivier Foubert excelle à donner vie à ce personnage incisif, qui surplombe la pièce et nous fait nous demander s’il est amant ou bourreau.

La violence du monde

 

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© D.R.

L’Amant et Ashes to Ashes fonctionnent en écho et leur rapprochement enrichit la lecture que le spectateur peut en faire. Elles viennent montrer la violence des rapports conjugaux quand on se place dans l’intimité du couple. Le huis clos conjugal met bien en avant la perversité et la complexité des rapports de domination qui s’établissent dans ces couples usés, abîmés peut-être aussi.

Mais cette violence de l’intime n’est pas la seule violence. Le huis clos conjugal éclate dans Ashes to Ashes pour faire surgir une autre violence, celle du monde extérieur. Les images que la femme convoque font penser aux violences nazies : usine où chacun salue le passage de l’homme, foule partant valise en main, voyage étrange, enfants arrachés aux bras des mères. Le texte d’Harold Pinter insinue le doute : l’homme du récit est-il bienfaisant ou malfaisant ? La femme a-t-elle subi la violence nazie, ou cette violence fait-elle simple écho en elle ? Delphine Lalizout est brillante dans l’incarnation de cette femme troublée et troublante dont le récit laisse perplexe.

Ce qui est certain, c’est que cette violence du monde est subie par la femme du récit d’une façon ou d’une autre, et qu’elle vient encore résonner dans les rapports conjugaux établis entre l’homme et la femme. La violence est masculine, la soumission à cette violence féminine. Les échos que nous en entendons rendent plus énigmatiques encore les dialogues du couple. Voilà mari et femme ouverts et fermés sur cette violence qui tend à faire croître la tension tout au long de la pièce.

Le diptyque ouvre en tout cas la voie des questions plus qu’il ne la clôt, laissant le spectateur dans le doute et l’ambiguïté. Les esprits rationnels seront dérangés !

 

En savoir plus :

  • L’Amant et Ashes to Ashes sont joués au théâtre Essaïon les mardis soirs du 8 novembre 2016 au 24 janvier 2017 à 20h30 et 21h30 – 6, rue Pierre au Lard, 75004 Paris – Réservations au 01 42 78 46 42. Tarifs : 20€, 15€ pour une pièce / 30€, 25€ pour la soirée complète
  • L’Amant dure 50 minutes et Ashes to Ashes 40 minutes
  • Site de la compagnie
Morgane P.

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