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Amon Tobin, metteur en scène le plus doué de sa génération ?

Dernière mise à jour : février 25th, 2022 at 12:47 pm

L’œuvre en détail

 

Amon Tobin, metteur en scène le plus doué de sa génération ? 2 imageCe qui est fascinant, ce sont les noms des albums d’Amon Tobin – le nom des morceaux est  par contre plus abstraits, beaucoup moins parlant – dont voici la joyeuse liste chronologique : BricolagePermutation, Supermodified, Out From out Where. “Supermodifié”, ce n’est pas très joli en français mais c’est très parlant pour définir le style et la conception sonore de notre sorcier.

Avec Bricolage qui porte bien son nom, Amon Tobin bricole des morceaux déjà très cohérents qui s’étirent jusqu’à six ou sept minutes pour certains et se caractérisent par des mélanges de jazz, drum&bass, bossa nova – Amon Tobin ne reniant pas ses origines brésiliennes – mais aussi trip-hop puisqu’on est en plein âge d’or de ce courant majeur des années 90. Sombre, inquiétant ou onirique, tout l’univers de Amon Tobin est en train de naître.

Un an plus tard seulement, il livre l’album Permutation (1998), premier chef-d’œuvre avec encore ses ambiances jazz plus qu’agréables et qui alternent avec des plages de drum&bass ultra saccadées, lourdes et angoissantes. De plus, dans cet album, on peut passer d’un morceau positif et aéré qui appelle à l’évasion ou à la détente à un morceau aux recoins étroits et peu éclairés, nerveux et peu rassurant. Avec son « son », Amon Tobin  explore toutes les facettes de la psyché humaine, à différents moments de la journée ou de la vie. N’importe quel morceau peut ainsi, parler à chacun d’entre nous.

Sordid commence par une petite mélodie aérienne et fuyante, pénétrante et nocturne, vite rejointe par des percussions drum&bass stylisées à la façon du maître. Vient ensuite se greffer une espèce de basse mélodieuse, collante, lourde et grises. On peut imaginer du métal liquide dégouliner dans un engrenage infernal de sombres sons. C’est comme si le T-1000 du film Terminator 2 : Le Jugement dernier (1991) s’invitait dans le morceau pour faire un carnage avec son poly-alliage mimétique.

Plus le morceau progresse et plus les percussions prennent le dessus, s’amplifiant, se faufilant, et bien sûr se modifiant. Le morceau revêt alors un caractère très sombre, chaotique et claustrophobe. On est  « bien »  arrivés dans l’univers de Amon Tobin. On pense alors à une chute incessante dans un escalier… ou une poursuite haletante.

Aux alentours de 4 minutes, un son, faisant penser à une fuite d’air, fait s’acharner les percussions dans un ballet incessant et obsédant avant de laisser revenir une basse plus percutante que jamais. Le morceau s’achève sur une espèce de libération orgasmique mais inquiétante, en tout cas très intense.
Sordid est une pièce maîtresse au combien sombre et fermée pendant 7 minutes et 10 secondes (7’10).

En 2000, sort l’album Supermodified – à nouveau, un chef-d’œuvre cohérent et maîtrisé – qui enfonce encore plus le côté visuel de ses morceaux. D’ailleurs, pour cet album, Amon Tobin dit s’être inspiré de musiques de film. Le son est plus riche et les textures sonores sont originales et variées. On sent que le brésilien a de nouvelles machines et/ou des logiciels plus pointus.

Il est curieux de constater que la durée respective des six premiers morceaux de l’album augmente de manière croissante. Le premier Get your snack on dure 4’20 tandis que le sixième Deo monte jusqu’aux 6’43. Mais au morceau suivant, la durée retombe à 4′ et des poussières. Est-ce volontaire de la part de notre génie ? Mystère…

Cet album est une espèce de montée en puissance, un univers qui se densifie, s’enrichit pour mieux te kidnapper, toi auditeur !

À l’écoute, le morceau Deo de l’album Supermodified est une merveille de construction torturée, à la fois logique et illogique, et où le son est étrange et hypnotique.

Quelques accords de guitare (?) inoffensifs introduisent le morceau. De petites nappes discrètes de synthé ou de cuivres viennent amplifier ce calme apparent. On pense à une rivière qui s’écoule ou à la routine du quotidien avec ses rituels et ses passages obligés. De petits sons sifflants nous préviennent que cette routine va être perturbée. En effet, tout ceci est vite rejoint par un beat lourd et métallique mais non encore menaçant. Puis de multiples sons se faufilent, rampant tels d’étranges serpents.

Cette impression de danger est amplifié par une autre couche sonore lointaine, comme si tout allait s’écrouler puis la machine s’enraye. Le breakbeat s’emballe, on dirait qu’il fait des tourbillons. On est alors empêtrés dans cette répétition sourde. Impression d’une rivière menaçante qui risque à tout moment de nous engloutir dans sa vase profonde. Le rythme infernal continue… mais comment tout cela va-t-il finir??

C’est à partir de maintenant qu’on peut affirmer qu’Amon Tobin est un génie du scénario… musical ! Car à 6’11, le beat métallique et routinier du début est de retour comme pour nous libérer… ou nous faire tourner en rond… C’est comme si on revenait à la situation de départ, sans avoir évolué. Le cauchemar se termine ou peut-être ne fait-il que commencer… C’est un cercle vicieux musical.

Le titre Mezzanine (1998) du groupe Massive Attack avait la même construction musicale où une mélodie fluide et aquatique, au début et à la fin du morceau, « renfermait » une espèce de marécage poisseux, gluant, claustrophobe et noir avec un beat à la fois métallique et visqueux qui tournait en rond – et les voix fantomatiques de 3D et Daddy G -.

Le son du groupe High Tone fait également penser à un cercle vicieux musical avec leur titre Ask The Dust (2007).

Plus tard, avec le morceau Straight Psyche de l’album Foley Room (2007), Amon Tobin renouvellera encore cette espèce de voyage sonore sous forme d’expédition sans fin et sans retour.

Nouvel extrait de l’album Supermodified avec Rhino Jockey (2000) qui dépasse les sept minutes et en fait le plus long morceau de l’album.

Imaginez-vous dans un champ (de blé ou de maïs, choisissez vous-même le cadre de votre tombeau !), poursuivi par je ne sais quel assaillant (humain ou pas). Vous courez et vous êtes obligés d’accélérer. Vous sentez le souffle de cette bête bizarre derrière vous mais vous parvenez quand même à avoir plusieurs longueurs d’avance. Vous tournez en rond et vous vous arrêtez  un instant, croyant lui avoir échappé.

Mais très vite, vous vous apercevez qu’elle revient à la charge et vous reprenez votre course effrénée avant de vous faire engloutir dans sa gueule béante, de monstre tout droit sorti d’une nouvelle de Lovecraft. Sept minutes et une trentaine de secondes, magnétiques et infernales. Le son est comme une locomotive lancée à toute vitesse, en émettant des grognements étranges.

À noter que ce titre est précédé d’une plage à l’ambiance diamétralement opposée : électro-jazz aérien aux notes positives et luxuriantes mais avec un titre, encore une fois, très mystérieux : Chocolate Lovely.

En 2002 nous parvient l’album Out From Out Where. Cette fois-ci, on a l’impression qu’Amon Tobin est parti faire un voyage dans l’espace et que par l’intermédiaire de cet album, il nous livre ce qu’il a vu, entendu et rencontré… Le premier titre Back From Space en est une jolie image. Cet album fait penser avec nostalgie aux suites électroniques au Jean-Michel Jarre de la bonne époque puisque plusieurs titres de Out From Out Where se suivent sans transition. C’est le premier album – et le seul finalement – du maître qui du premier au dernier titre tente de nous raconter une histoire, de lier en onze chapitres un seul morceau d’un peu moins de 60 minutes. Chef-d’œuvre à nouveau mais est-il utile de le préciser ?

Le son de cette opus est perpétuellement en mouvement, il s’éloigne ou se rapproche, on le voit arriver de loin ou bien il nous tombe dessus, comme ça sans prévenir. On passe de Hey Blondie,  morceau de jazz au beat calme et discret à Rosies, titre fou où le son semble sortir d’un lance-roquettes !

Dans ce morceau, des espèces de roulement de cymbales futuristes, accompagnés d’une mélodie chaleureuse, innocente mais lointaine, sont rejoints par une seconde mélodie plus proche et offensive qui s’épaissit pour rapidement dominer cet espace sonore. Cette seconde couche musicale collante et tournoyante s’impose alors et ménage un suspense de quelques secondes… pour nous faire soudainement foudroyer par une espèce de déflagration sonore aussi violente qu’inattendue. La basse est épaisse et le breakbeat imprévisible. La vitesse rétrograde seulement pour nous reprendre par surprise… C’est riche, percutant et on prend ce son – néanmoins euphorisant (comme toujours) – en pleine gueule, sans rien comprendre !

Un autre extrait de Out From Out Where, El Wraith, nous invite encore une fois à une exploration spatiale, sonore et inquiétante mais en moins violent que Rosies.

Titre aéré et aventureux mais non moins inquiétant, El Wraith adopte une construction linéaire. Les différentes couches sonores se greffent progressivement pour tenter d’éclairer cette planète mystérieuse que nous sommes en train d’explorer.

En 2003, sort une compilation Verbal Remixes & Collaborations faite de… collaborations et d’inédits. Intéressante, comme toujours, la créativité du monsieur ne semble pas connaître d’interruption.

En 2005, c’est le monde du jeu vidéo qui fait appel à ses services pour réaliser la bande originale du jeu vidéo Chaos Theory: Splinter Cell 3 Soundtrack. Résultat : une réussite totale avec une ambiance noire et menaçante, paranoïaque et angoissante, collant parfaitement à l’univers du jeu vidéo (et de celui de Amon Tobin !). Voir le morceau The Lighthouse en écoute dans l’épisode 1.
Chaos Theory étant une commande (fort honorable), c’est avec Foley Room qu’Amon Tobin opèrera son véritable retour personnel.

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