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Amphitryon photo 2
© Pascal Gely

[CRITIQUE] “Amphitryon” par Stéphanie Tesson : Un Molière sublimé

Dernière mise à jour : avril 5th, 2019 at 01:05 am

Amphitryon de Molière, dans une mise en scène de Stéphanie Tesson, se donne actuellement au Théâtre de Poche Montparnasse à Paris. Notre avis et critique sur cette adaptation d’un grand classique du théâtre français. 

Synopsis :

Jupiter (Benjamin Boyer) est épris de la belle Alcmène (Odile Cohen), pourtant mariée au général Amphitryon (Jean-Paul Bordes). Profitant du fait que celui-ci soit parti guerroyer, Jupiter, sous les traits d’Amphitryon, se présente à Alcmène et jouit de moments délicieux en sa compagnie. Pour parfaire le subterfuge, Mercure (Guillaume Marquet, en alternance avec Laurent Collard) demande à la Nuit (Christelle Reboul) que sa course habituelle soit ralentie et se transforme en Sosie, le valet d’Amphitryon. Le vrai Sosie (Nicolas Vaude), envoyé à la demeure de son maître pour prévenir son épouse de son retour prochain, tombe sur son double et bat en retraite lorsque Mercure/Sosie l’intimide à dessein. Si bien que, lorsque le véritable Amphitryon regagne ses terres pour venir rendre hommage à sa femme, il tombe sur une Alcmène au comble de la surprise, croyant avoir vu son mari quelques instants plus tôt. Cléanthis (Christelle Reboul), l’épouse de Sosie, est elle aussi totalement déroutée par les soubresauts d’humeur de son propre mari, ayant affaire tantôt à Mercure, tantôt à Sosie… Mêlant également les capitaines thébains Argathiphontidas,Polidas (Antony Cochin, en alternance avec Yannis Baraban) Naucratès, Posiclès (Mathias Maréchal) s’ouvre alors un grand ballet de dupes et de jeux de rôle…

Une version d’Amphitryon vive et délicieuse

Amphitryon photo 2
© Pascal Gely

Stéphanie Tesson met en scène un Amphitryon d’une grande vivacité. C’est toujours une joie renouvelée pour l’amateur de théâtre que de découvrir une adaptation ou une récente mise en scène, d’une pièce de Molière. Molière, dont la “langue” symbolise selon l’expression commune, la “langue française” en tant que telle, s’inspire ici de la pièce éponyme de Plaute pour faire danser dans un tourbillon de quiproquos et de petits et grands mensonges, les Dieux et les hommes.

Stéphanie Tesson et l’ensemble des comédiens qui composent cette version d’Amphitryon ne trahissent pas le verbe de Molière et en sont, a contrario, véritablement dignes. La mise en scène présente des tableaux d’un grand intérêt, jouant sur les couleurs, l’exploitation de tout l’espace scénique. Stéphanie Tesson prend le parti également d’abolir la barrière entre acteur et spectateur, en utilisant le couloir de la salle pour faire mouvoir ses personnages. Au fond de la scène, un rideau, ou un voile, dans lequel les personnages s’enveloppent se cachent, à travers lequel ils apparaissent ou disparaissent, entretient le mystère, élément clé de l’Amphitryon de Molière.

Un imbroglio truculent servi par d’excellents comédiens

Amphitryon photo 2
© Pascal Gely

Le mystère. C’est bien la trame de fond de cette pièce de théâtre Amphitryon. Le mystère devient ici comique. Le trouble dans lequel sont plongés Amphitryon, Sosie, Alcmène et Cléanthis, terrible au demeurant, devient source d’amusement. Les trésors d’ingéniosité qu’emploie Mercure sont réjouissants. Le caractère bonhomme mais craintif de Sosie est jubilatoire. L’énervement de Cléanthis devant les revirements de son mari Sosie/Mercure font sourire. Le spectateur se délecte de la roublardise de Jupiter. L’effarement des capitaines thébains est tourné en dérision.

Ce grand mystère, bien que levé à la fin de la pièce, est pourtant encensé par Molière. Sosie, empli de bon sens, clôt ainsi la pièce, par une réflexion pleine de pondération :

Sur telles affaires toujours
Le meilleur est de ne rien dire“.

Derrière la comédie, Molière propose aussi une réflexion pas si légère : Le sentiment amoureux transperce les Dieux comme les hommes et Jupiter, aussi puissant soit-il, est forcé à prendre les traits d’Amphitryon pour plaire à Alcmène et à renoncer aux plaisirs coupables de son imposture. Le pouvoir n’offre pas tout. La question de l’identité, aussi, est centrale dans Amphitryon. L’usurpation se révèle fugace, sans avenir. Les Dieux ne peuvent éternellement prétendre être ceux qu’ils ne sont pas. Sosie, tout perdu qu’il soit, doutant de lui-même, n’en perd toutefois pas la raison. Stéphanie Tesson voit ainsi dans Amphitryon une “pièce métaphysique”.

Cette proposition de Stéphanie Tesson est illuminée par le jeu des comédiens. Maîtrise de la langue, magnifique mais difficile, jeu intelligent et approprié : chacun contribue à construire un édifice théâtral soigné et très réussi.

L’interprétation de Christelle Reboul dans les rôles de La Nuit et de Cléanthis est succulente. La facétie de Benjamin Boyer incarnant Jupiter est délicieuse. Odile Cohen sait traduire avec exactitude et finesse la douceur et le désespoir d’une Alcmène désorientée. Jean-Paul Bordes, dans la peau d’Amphitryon, est proprement éclatant, avec cette immense présence scénique qui n’est plus à prouver. Guillaume Marquet joue avec délice et précision ce Mercure malin, parfois perfide, toujours astucieux. Grande révérence devant Nicolas Vaude dont l’interprétation du personnage de Sosie porte toute la pièce.

A voir sans hésitation !

En savoir plus  :

  • Amphitryon de Molière, mise en scène de Stéphanie Tesson, au Théâtre de Poche Montparnasse (Paris, France), du 12 septembre au 31 décembre 2017. Du mardi au samedi à 21h, dimanche à 15h
Agathe M.

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