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Téléréalité critique avis livre

Critique / “Téléréalité” (2021) de Aurélien Bellanger

Avec Téléréalité, Aurélien Bellanger poursuit son analyse romanesque de la société contemporaine. Après Internet et l’aménagement du territoire, il s’attaque à la dérive d’une certaine télévision et à son histoire de 1992 à 2018. Le livre traite moins des programmes que de l’écosystème des producteurs et des animateurs, un microcosme  décrit comme cynique et obsédé par  l’argent. La critique et l’avis sur le livre. 

Cet article vous est proposé par un rédacteur-invité, le chroniqueur Gilles M..

Synopsis :

Sébastien Bitereau, fils de plombier-chauffagiste dans un petit village de la Drôme, jeune titulaire d’un bac G est doué pour la comptabilité. Il fait partie des passionnés des plans comptables qui savent que leurs intitulés disent le monde. Ambitieux, il se rapproche d’un célèbre animateur de télévision qui l’emmène à Paris pour lui en mettre plein les yeux. Grâce à lui, il va découvrir les méthodes douteuses d’un milieu qui vénère l’argent. De l’arrière-boutique, Sébastien découvre les pratiques des producteurs, hommes de l’ombre qui  tirent les ficelles des contenus des programmes. .

Le roman met en scène un personnage de fiction, Sébastien, et de nombreux professionnels de la télévision Française sous un nom d’emprunt ou souvent sous leur vrai nom. L’auteur, en incipit, décourage de rechercher des vraies personnes sous les noms d’emprunt mais les connaisseurs du milieu identifient facilement les modèles ayant inspiré les personnages de fiction. C’est donc bien un monde réel que nous décrit Téléréalité.

Un livre avec des recettes pour faire fortune

Puisque il s’agit plus d’argent que d’art, suivons l’ascension du Rastignac drômois en essayant de repérer quelques facteurs de son succès.  Bien sûr, il est conseillé de lire le livre en entier avant de passer à l’action pour ne manquer aucune composante du succès ! Relevons :

  • Les bonnes rencontres

Le diplômé Bac G rencontre d’abord un patron de PME  dans la Drome. Celui-ci lui fait connaitre un animateur qui passe ses vacances dans la région. Présenté à Véronique productrice, il devient son assistant. Son voisin Philippe dans le petit appartement du Sentier lui apporte des idées (et des cassettes). Bientôt, il s’associe à un autre animateur David pour crée une société de production.   Mais ne voyez pas uniquement le fruit du hasard dans ses rencontres ! Sébastien offre un talent (au départ sa maitrise comptable) et fait preuve de beaucoup de détermination pour rencontrer sa cible une fois celle-ci identifiée ! Tout le long de son ascension parisienne, le lecteur lui reconnait beaucoup d’habilité relationnelle, d’intuitions solides et un sage souci de discrétion.  Ce n’est pas le moindre talent d’Aurélien Bellanger que de nous rendre crédible la réussite de son jeune Rastignac.

  • Les bonnes circonstances

La privatisation de TF1, de M6, la concurrence entre  chaines, développent la compétition pour les programmes susceptibles d’attirer de grandes audiences. Les producteurs sont courtisés par les chaines. Le métier devient très rentable. Pour les Guignols de Canal+, ils sont des « des voleurs de patates ». Plus tard les ambitions de consolidation européenne d’hommes d’affaires ambitieux et sans scrupule  vont favoriser les fusions/acquisitions et rendre liquide des parts de sociétés valorisées en centaines de millions.

  • La bonne gestion

Le profit est considéré comme un art, ou l’esthétique consiste à  le faire grandir :

 « Une émission de prime time facturée autour d’un million et demi, Sébastien savait désormais la faire pour huit cent mille francs par an et cela lui rapportait à David et à lui, tous frais déduits, plusieurs millions par an».

 Téléréalité, un roman à rapprocher de ceux  de Michel Houellebecq

Parions qu’Aurélien Bellanger ne se fâcherait pas de ce rapprochement. Au début de sa carrière il a publié écrit en 2010 un livre prenant plutôt la défense de l’écrivain Houellebecq, écrivain romantique.

Grands observateurs de leur époque, tous les deux se ressemblent dans la dénonciation de son cynisme en même temps qu’ils excellent à nous décrire ses ressorts avec lucidité.

L’histoire, vue par ses producteurs, de la naissance en 2001 de la première émission de téléréalité baptisée dans le roman Big Brother avant de devenir Loft Story conduit le roman vers ses sommets de machiavélisme et de manipulations.  Les habitants du loft sont comme des rats de laboratoire, sous des dizaines de caméras  que la production excite  avec des jeux, des confessions pour retenir le téléspectateur voyeur. On apprend que l’idée vient de Hollande. On suit la mise au point des détails de la réalisation.  Les chaines françaises hésitent à se lancer mais après le succès phénoménal de l’audimat des premières émissions, bien prédit par Sébastien, toutes les chaines européennes se précipitent pour diffuser de la téléréalité.

Que va devenir Sébastien après tous ces succès ? Aurélien Bellanger invente une conclusion ironique  dont la créativité rappelle encore Michel Houellebecq. Une fin dont la découverte donne une raison supplémentaire de lire ce livre passionnant.

En savoir plus :

  • Téléréalité, Aurélien Bellanger, Gallimard, mars 2021, 256 pages, 19 euros
Bulles de Culture - Les rédacteur.rice.s invité.e.s

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