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Un enlèvement de François Bégaudeau

Critique / “Un enlèvement” (2020) de François Bégaudeau

Dernière mise à jour : octobre 13th, 2020 at 06:09 pm

Un enlèvement est le dernier livre de François Bégaudeau, sorti pour la rentrée littéraire 2020. Le roman raconte les péripéties de la famille Legendre en vacances à Royan. L’avis et la critique livre. 

Cet article vous est proposé par un rédacteur-invité, le chroniqueur Gilles M..

Synopsis :

La famille Legendre est en vacances à Royan. Emmanuel travaille dans le Conseil et Brune dans la Communication de crise. Leur fille Justine 11 ans est déjà une élève brillante. Mais Louis, leur fils de 6 ans, manifeste des signes de retard pour apprendre.

Un enlèvement : la description d’« Une Start-up family »

Les membres de cette famille ne cessent de vouloir se perfectionner même en vacances. Emmanuel, le père est passionné de course à pied ou de longueurs de natation et consulte en permanence sa montre qui mesure les temps, les distances parcourues et les pulsations cardiaques. Ses activités sportives sont complétées de mouvements de gymnastique probablement indiqués par un coach ou tirés d’un magazine. Il ne s’agit pas de se laisser aller.

Toutes les occasions sont bonnes pour challenger les enfants en leur posant des questions sur leur environnement : écologie, géographie, calcul, économie. Un vrai témoignage à la Bourdieu de transmission de patrimoine culturel !

Brune, la mère, conseillère en Communication de crise, apaise les conflits naissants, arbitre avec sagacité les problèmes naissants.

Dans Un enlèvement, la famille Legendre ne sait rien faire sans les injonctions branchées de la société moderne, elle se soumet à ce qui se fait de mieux, le mieux manger, le mieux pour l’éducation, le mieux pour le sport… Ils sont connectés en permanence, tout peut s’évaluer, s’améliorer, se verbaliser.

Surtout, ils semblent peu penser par eux- même, s’appliquant systématiquement à leur vie quotidienne les méthodes de management des grands groupes ou des start-up. Lorsqu’une pensée personnelle s’écarte du politiquement correct, elle est immédiatement autocorrigée.

Le grain de sable dans le modèle

Louis est le premier grain de sable. A la différence de Justine, à 6 ans, il accumule les retards d’apprentissage.

Sur la plage, son plus grand plaisir est de creuser des trous dans le sable et de s’y ensevelir. Ses parents multiplient les stages chez les professionnels du rattrapage scolaire ce qui nous vaut une ironique description de leurs pratiques.

En fait, il y a un doute difficile à lever : Louis a-t-il des difficultés à apprendre ou fait-il semblant ?

Un second grain de sable c’est la double vie du père. Au loin de cette vie familiale idéale, il y a une maîtresse aux étreintes torrides qui se rappellent parfois à lui dans des échanges SMS passionnés.

Enfin la disparition d’un adolescent relaté par la presse locale, peut être un enlèvement, vient rappeler qu’il y a toujours des grains de sable !

Une invitation à débattre

Le séjour à la mer est raconté à la première personne à travers les pensées d’Emmanuel. Le procédé implique l’absence de critiques directes à l’encontre de cette famille de l’auteur. Pourtant celui-ci passionné par la lutte des classes à la différence de ses personnages, bout probablement intérieurement !

Dans le précédent livre de François Bégaudeau, Histoire de la bêtise (2019), la bêtise est bien celle des semblables à la famille Legendre. La critique est dans ce livre frontale et sans détours.

La famille Legendre est représentative de cette bourgeoisie, catégorie sociale bien ciblée par l’auteur, définie à la fois par un capital financier et culturel donc ayant à perdre quelque chose et par un système de pensée.

Dans de nombreuses tribunes, François Bégaudeau appelle à relire Marx dans le texte et défend une conception de la politique fondée sur la fin du capitalisme et de cette bourgeoisie frileuse.

Pourtant dans Un enlèvement, le portait de la famille bourgeoise n’est pas complètement à charge. Le personnage de l’épouse Brune pleine de compréhension et de tendresse attire plutôt la sympathie. Au contraire d’être bête, elle est extrêmement fine et intuitive. Bien sûr, c’est une spécialiste de la communication de crise, mais au moins, elle applique son savoir-faire à la vie familiale !

Emmanuel lui-même dans sa recherche semble parfois prendre du recul sur son désir de performance et vouloir s’échapper du cadre. Il semble hésiter entre le souhait de préserver les apparences d’une famille modèle et l’envie de vivre intensément. Mais n’est-ce pas là une nouvelle impulsion, un tropisme, pour se conformer à une mode ? Son sentiment de supériorité pourrait nous le rendre extrêmement antipathique mais la connaissance de ces failles tend à nous le rendre plutôt touchant.

Le débat peut donc commencer. Y a-t-il quelque chose à sauver dans la famille Legendre ou bien faut-il l’envoyer au bûcher de l’anticapitalisme avec tous les bourgeois bêtes ? L’auteur nous présente-il une nouvelle satire politique de la bourgeoisie honnie ou bien réalise-t-il un portrait le plus réaliste possible de personnages ni tout à fait noirs, ni tout à fait blancs représentatifs de notre époque ? François Bégaudeau comme un Balzac contemporain témoignant de la comédie numérique ?

Et Louis ? Que penser de Louis dont les échanges numériques terminent le roman ? De quel message est-il porteur ? D’un appel à se réfugier sans une vie secrète plus intérieure ? De l’impossibilité de modèles sans grains de sables ? D’un bourgeon de révolte à venir contre les bobos ?

En savoir plus :

  • Un enlèvement, François Bégaudeau, Gallimard, août 2020, 192 pages, à partir de 12.99 euros
Bulles de Culture - Les rédacteur.rice.s invité.e.s

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