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Critique / “L’homme qui marche” (2021) de Jean-Paul Delfino

Fable ou conte, L’Homme qui marche, dernier livre de Jean-Paul Delfino chez Héloïse d’Ormesson, tranche avec le précédent, Assassins, consacré au décès de Zola. Il renoue avec Les Pêcheurs d’étoiles et Les voyages de sable, où Paris sert de cadre et dont deux des acteurs principaux, Blaise Cendrars et Virgile, apparaissent dans L’Homme qui marche. Quel que soit le lieu où ses personnages badaudent, ils sont portés par le rêve, marqués par des rencontres, et donnent envie aux lecteurs de les suivre. L’avis et critique du livre.

Cet article vous est proposé par un rédacteur-invité, le chroniqueur Chris L..

L’avis sur L’Homme qui marche

Jean-Paul Delfino, amoureux de la langue française, s’amuse avec des expressions et des mots dignes des dialogues de Michel Audiard ou d’écrits de René Fallet. C’est un véritable festival et un vrai régal. Ainsi la cigarette retrouve ses lettres de noblesse avec clope, cibiche, ou sucette à cancer. Les bistros ou troquets renaissent, fréquentés par des ratichons, des matamores, des loufiats qui pérorent, fricotent ou gobergent. Ces frères de la cirrhose, frangins de la bouteille, véritables foutriquets, jean-foutres, faux-cul, pisse-froid, refont le monde quotidiennement, affalés sur le zinc. C’est réjouissant et cela rajeunit de retrouver un Paris suranné.

Depuis un 25 décembre, date de son anniversaire, les pieds de Théo, Théophraste Sentiero de son nom, sont atteints du Tremblement essentiel. Ils décident et commandent son existence. Un seul remède ; marcher, marcher sans limites. Habitués du Gay-Lu, bistro en vente, ces pieds domiciliés rue de l’Estrapade mènent ce modeste bougre dans des virées effrénées de la Gare de Lyon, au Jardin des plantes en passant par l’Ile Saint-Louis, les quais Malaquais et Montebello, le Pont Neuf, l’Église Saint-Sulpice, le Jardin du Luxembourg, le Boul’ Mich’.

Nombreuses sont les rues évoquées, leurs noms se suffisant à eux mêmes. Inoubliables, elles sont remplies de vestiges de l’Histoire de Paris. Citer les rues Galande, Férou, de l’Épée de Bois, Tournefort ou Blainville, c’est déjà voyager pour le lecteur, se remémorer des bâtiments, des portes, des fenêtres, des vitrines, des rencontres. Concentrées aux Ve et VIe arrondissements, les balades de Théo s’élargissent progressivement.

“une belle échappée dans un Paris qui se raréfie”

À l’amour de la marche s’adjoint celui des livres et des librairies. Un clin d’œil à Delamain qui attire autant pour son emplacement que pour l’abondance des ouvrages, ainsi qu’à la mythique librairie Chandeigne aux vitrines invitant aux voyages dans les pays de culture hispanique ou lusophone. Enfin il y a Anselme Guilledoux, le bouquiniste, être âgé, bourru, grincheux, un brin acariâtre, atteint de cécité, véritable puits de culture, qui ouvre Théo à la culture, avant de baisser définitivement le rideau d’Aux bonheurs d’Antioche.

« D’un boulot sans lustre, sans avenir » de préposé récupérant bicyclettes et trottinettes jetées dans la Seine à collaborateur d’Anselme, le parcours a été sans saveur pour Théo. Transparent et étouffé, cinquantenaire marié à une femme aux jérémiades permanentes, père de deux adolescents, Théo supporte aussi son hébergeuse, sa belle-mère, une véritable momie. Une silhouette alerte et aérienne aperçue et c’est le coup de cœur. Sa vie grisâtre s’éclaircit, il renaît. Durant ses déambulations il croise des personnages, véritables caricatures, plus vrais que nature, croqués par une plume acérée, tendre par instants. Truculents, pleins de gouaille, imparfaits, drôles, affligeants parfois, les fidèles de Mme Jouve, tenancière du Gay-Lu ; La Guigne, Petit Pois, Cothurne, Gégène, s’abreuvent avec méthode. Gisèle, à plus de 80 ans, ancienne gagneuse, est une « artiste de la rapine nécrologique ». Le calabrais, Françoise Chassepot peintre au thème unique, le cul-de-jatte de Saint-Sulpice, la Mère Tapedur, concierge, et Flingot, un antisémite virulent, complètent ce tableau coloré.

L’Homme qui marche est une belle échappée dans un Paris qui se raréfie, où musarder, lambiner demeurent des plaisirs infinis. A défaut, la littérature permet de s’évader, de voyager, de rêver, de croiser des personnages qui fleurent bon avec la réalité. Avec inventivité, un style chatoyant, un zeste d’humour, Jean-Paul Delfino poursuit son chemin, jalonné d’une nouvelle réussite. Laisser vous guider par Théo.

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