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[CRITIQUE] “L’Illétric” de Moreau : Un hymne aux maux des mots

Dernière mise à jour : juillet 7th, 2017 at 11:46 am

Présenté dans le cadre du Festival de Caves, le spectacle L’Illétric de et mis en scène par Moreau a surgi dans une cave de Saint-Claude et a fait la part belle à un texte aussi magnifique que bouleversant. Bulles de Culture a adoré !

Synopsis :

L’Illétric, c’est le long monologue d’un homme qui avoue ne pas savoir lire à cette femme aimée qui lui a offert un livre. C’est un témoignage émouvant, prenant, et superbe, qui dit la difficulté du quotidien quand il s’agit de masquer sans cesse ce qui est vu comme une honte, qui dit les tactiques et les arrangements, les détours et les écueils, la souffrance aussi. C’est un texte incroyablement fort dit par une incroyable comédienne, Anne-Laure Sanchez.

L’Illétric :
De la surprise à l’émoi

 

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L’Illétric, c’est d’abord un jeu sur la surprise : une jeune femme frêle, Anne-Laure Sanchez, pour incarner un grand gaillard qu’on imagine costaud et imposant. C’est ensuite la mise en œuvre d’une contrainte : une diction heurtée, une posture figée, comme pour dire les meurtrissures de l’homme, ou éloigner du personnage l’image de la comédienne qui l’incarne.

L’Illétric, ce sont enfin les mots que nous entendons, des mots qui rappent, qui frottent. Des mots qui blessent et qui disent les blessures. Un texte se dévoile et il est d’une force indicible, d’une précision terrible, d’une poésie qui touche au cœur. Il est une longue litanie qui met au jour une souffrance, un aveu, un tabou, la fêlure du non-dit, la blessure de la honte.

C’est un homme qui peu à peu se découvre. Un homme fort et droit, qui travaille dans le bâtiment. Un homme du labeur. Un homme de l’ombre. Son aveu trouve des mots pour avouer l’illettrisme dont il est victime, dont il est honteux. C’est un homme qui aime et qui avoue à la femme aimée. C’est un homme qui veut et qui n’arrive pas. Un homme qui vous saisit parce qu’il est à la fois loin de vous et proche de vous.

L’Illétric
ou le harassement du quotidien

 

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L’Illétric donne à voir un texte à la fois pudique et précis. Nous découvrons un quotidien ponctué de multiples complications dans une ville qui revêt des traits hostiles. Trajets de métro effectués sur une connaissance qui relève du par-cœur, déambulations limitées dans une ville où l’on ne peut pas déchiffrer les noms des rues.

L’être qui vous fait face est à vif, car toujours sur la défensive. Comment faire confiance quand on ne peut pas vérifier de soi-même ? Qu’on est à la merci de l’autre pour un contrat, une étiquette ? L’Illétric montre la méfiance généralisée de cet homme fort et pourtant si vulnérable. Une méfiance qui finit par abimer.

Comment faire encore quand les seuls savoirs possédés sont noyés par l’univers urbain. Se repérer avec le soleil, connaître les arbres, les secrets de la nature, voilà des pièces de savoir diluées dans une ville qui semble avaler l’homme. Seul raccord à la normalité, le chantier sur lequel il travaille, les chantiers sur lesquels il a travaillé, ces endroits où il sait, où il donne ce qu’il a, où il se laisse terrasser pour que la fatigue qui l’assomme le soir venu.

L’Illétric
et la force des mots

 

Un spectacle en petit comité, un lieu clos – la cave – voilà les conditions de représentation du Festival de Caves. Ces conditions offrent à entendre des textes dans la simplicité de leur nudité, dans la force de leur nudité. C’est le cas de L’Illétric qui fait entendre un texte magnifiquement écrit, ciselé avec un grand art par Moreau, un texte où les sonorités grincent et résonnent, où les répétitions rythment un récit qui bouleverse.

Le livre fait face au personnage. Est-il là pour lui faire injure ? Est-il là en signe de défi ? Il provoque en tout cas la défiance, une interrogation sur l’être : qui est-on quand on ne sait pas dire ce qu’on est ou qui on est ? L’aveu construit pourtant une identité à cet homme qui se cherche. L’aveu libère cet homme emprisonné dans son secret et dans sa honte. Les mots naissent dans sa bouche et deviennent le plus beau cadeau qui puisse être fait à cette femme aimée, cette Cécile qui a ravivé malgré elle la douleur d’une plaie toujours ouverte.

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Un texte très écrit pour dire l’illettrisme. Pas de concession ni de pathos en surenchère. C’est un texte brut que L’Illétric livre. Un texte brut mais pas brutal. C’est une problématique lourde avec des mots graves, avec des maux vrais. C’est l’irruption d’un non-dit dont la puissance vient déranger le spectateur et le force à partager quelques morceaux d’une vie heurtée que l’on imagine peu.

 

En savoir plus :

  • L’Illétric a été joué à Besançon les 9, 10, 11, 24 et 25 mai 2017 et à Saint-Claude le 17 mai 2017
  • Vous pouvez retrouver L’Illétric dans le cadre du Festival de Caves : les 26 et 27 mai 2017 à Salins-les-Bains, le 1er juin 2017 à Neuchâtel, le 3 juin 2017 à Oricourt, les 5 et 8 juin 2017 à Lyon, le 11 juin 2017 à Saint-Peray, le 13 juin 2017 à Reims, les 14 et 15 juin 2017 à Paris, les 16, 17, et 19 juin 2017 à Besançon
  • Tarifs du Festival de Caves : 12 €, 10 € (adhérent), 7 € (étudiant, demandeur d’emploi)
  • Durée du spectacle : environ 1h
  • Le site officiel du Festival de Caves
Morgane P.

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