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Anne Pauly Avan que j'oublie livre couverture

Critique / “Avant que j’oublie” (2020) d’Anne Pauly

Dernière mise à jour : juin 26th, 2020 at 10:14 am

Le Prix du Livre France Inter 2020 a été attribué lundi 8 juin à la primo-romancière Anne Pauly pour Avant que j’oublie. Choisi par un jury présidé cette année par Philippe Lançon, le roman d’Anne Pauly a figuré dans les sélections du Goncourt, du Femina et du Médicis. Finaliste du Goncourt du premier roman, il fait partie des dix conseils de lecture établis pour l’été par l’Académie Goncourt. La critique et l’avis livre d’un rédacteur invité.

Cet article vous est proposé par un rédacteur-invité, le chroniqueur Gilles M..

Synopsis :

Avant que j’oublie est concentré sur la mort du père de la narratrice et de son deuil ensuite avant qu’elle oublie. Ce père qui meurt dans les premières pages n’a pas une bonne réputation. Qualifié par sa fille de « gros déglingo », sale, alcoolique, colérique, machiste, il fait plutôt peur. Son fils Jean François, le frère d’Anne lui en veut beaucoup.
Pourtant, en ressassant des souvenirs et recensant ses lectures dans la bibliothèque au milieu des magazines géo et des Reader Digest de sa mère, une autre réalité émerge, celle d’un père, « fin mais gauche, gentil mais brutal, généreux mais autocentré ». Il apparaît alternativement aux yeux de ses enfants, comme à ceux des lecteurs, comme un passionné de bouddhisme et de haïkus ou d’un alcoolique qui bat sa femme.

Avant que j’oublie : Des mots au service de la colère

Anne vit à Paris et s’est éloignée du milieu de ses parents. Ses retours en périphérie sont l’occasion de juger sévèrement ce milieu social sans élégance, sans grandeurs. Elle décrit avec détails ses objets usuels qui restent après la mort, presque avec obscénité, jusqu’ à la nausée. En fait, pas seulement le quotidien, mais tout est dégommé !

Le personnel des pompes funèbres : « des zombies », les collègues du père : « des chefaillons aussi bornés qu’agressifs », le curé : “vieillot et branlant », et même les fréquentations associatives parisiennes d’ Anne : « des bécassines de grandes écoles au poil soyeux et à la veste bien coupée ».

Et si au cours d’un trajet en voiture, on s’arrête c’est dans une « station pourrie d’une zone industrielle » et, à ce moment-là, le lecteur trouve sympathiques les paysages inquiétants d’Edward Hopper !

Le style est alerte et on rit souvent malgré le tragique et l’absurdité ambiante. « Le deuil, c’est tellement terrible qu’on est obligé de rire pour en sortir », soutient l’écrivaine.

Il y a donc à la fois dans Avant que j’oublie une critique d’un milieu social défavorisé avec beaucoup de violence (on pense au récit d’Edouard Louis dans « Eddy Belle gueule ») mais aussi sa réhabilitation par la révélation de l’authentique culture du père bien dissimulée, comme sa sensibilité, évoquée par son amie d’enfance Juliette.

Vers l’apaisement

Dans les semaines qui suivent, l’auteure montre comment la tristesse ne disparaît que lentement. En fait le père semble devenir plus présent que quand il était vivant. Anne Pauly a même l’impression de l’avoir croisé !

L’auteure excelle à décrire toute l’ambiguïté des rapports aux parents qui oscillent souvent entre conflit et reconnaissance tout en sachant que l’essentiel se déroule dans l’inconscient. Autant les paroles de Avant que j’oublie sont à l’emporte-pièce autant les sentiments intimes sont décrits avec subtilité.

Ainsi la fiancée rieuse et la vision de la beauté de la nature vont aider à la consolation. Le livre s’achève par une visite d’Anne Pauly à son frère dans une nouvelle atmosphère familiale apaisée.

Un récit dans le récit

Le caractère autobiographique d’Avant que j’oublie est assumé. Et on ne peut pas s’empêcher de penser à l’évolution de l’auteure.

Elle a hérité dans ses gènes de la culture de son père, de sa curiosité et de ses révoltes contre le mépris des « biens nés ». Ce patrimoine, avec sa maîtrise des mots contrairement à son père, elle le fait fructifier pour écrire un livre « coup de poing » à la fois tragique et drôle.

Il y a donc, dans le récit de ce deuil, aussi le récit de l’émancipation et de la réussite de la fille du décédé, l’auteure. Le résultat de cette mise en abyme c’est donc, par la réussite de sa fille, un hommage au père, à la filiation et un message d’amour.

Deux récits pour le prix d’un : une raison supplémentaire de lire ce livre bouleversant.

En savoir plus :

  • Avant que j’oublie, Anne Pauly, Editions Verdier, août 2019, 147 pages, à partir de 8.49 euros
Bulles de Culture - Les rédacteur.rice.s invité.e.s

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