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The Revenant affiche

Critique / “The Revenant” (2015) : une expérience grandeur nature

Dernière mise à jour : novembre 9th, 2020 at 02:31 pm

Un plat qui se mange froid

The Revenant image
© Twentieth Century Fox France

En plus d’être un film de survie intense, The Revenant est aussi un film de vengeance. Les deux thèmes vont de paire car c’est grâce à la flamme vengeresse que Hugh Glass se bat pour survivre à son terrible périple. Mais l’incroyable survivance du trappeur est tellement puissante que l’on aurait aimé qu’elle nous porte jusqu’à la fin du film.

Pourtant Hugh Glass retrouve son campement juste avant le dernier acte du film dans une rupture dramaturgique un peu maladroite. Le trappeur doit aller au bout de sa revanche en repartant à la poursuite de son ennemi juré. Le spectateur peut dès lors facilement devancer le scénario dans ce troisième acte vengeur légèrement plus faible que le reste du film, malgré la force brutale du duel final.

The Revenant passe donc peut-être à côté d’une unité dramatique forte, dont il aurait bénéficié en tant que film de survie pure (à la Gravity par exemple). Cependant, même si la vengeance accapare un peu trop le troisième acte, ce thème va apporter une profondeur au film, bien au delà de son exécution simpliste.

Le revenant

Depuis son premier film Amours chiennes (Amores Perros)Alejandro González Iñárritu n’a cessé d’explorer la condition humaine, dans un questionnement et une réflexion poétique constants. The Revenant ne fait pas exception et va plus loin en flirtant avec l’expérience métaphysique.

Le réalisateur mexicain profite ainsi de l’immersion géographique et temporelle du scénario pour mettre en scène une humanité plus brute, plus primitive. Cette période du Far West américain est en effet unique à bien des égards, entre clash de civilisations (indiens “primitifs” et européens “civilisés”) et nouvelle conquête d’une nature plus sauvage que jamais. C’est aussi un des premiers pas d’une société capitaliste à l’échelle mondiale, à travers le commerce transcontinental de la fourrure et ses retombées sur la nature, mais aussi sur l’homme et son psyché.

The Revenant présente donc à la fois l’homme face à la nature et l’homme face à lui-même, dans toute ses contradictions. Une position paradoxale incarnée par Hugh Glass qui va devoir survivre aux deux tout au long du film.

Pourtant, le trappeur aurait dû périr de ses blessures suite à son combat mortel avec un grizzli. Mais il revient d’entre les morts, tel un esprit vengeur. C’est un revenant, un mort-vivant contre-nature qui ne devrait pas être, animé par la vengeance, signature de son humanité, qui seule le maintient en vie. Hugh Glass va ainsi à l’encontre de la Nature, tout comme ses semblables dans le film, représentants de cette civilisation capitaliste naissante, avare et mue par l’appât du gain.

Tous des sauvages

Alejandro González Iñárritu questionne donc cette nature humaine dans sa confrontation face à la nature et dans l’éventuelle compréhension métaphysique de sa place qu’elle tient en son sein.

Au milieu du film, Hugh Glass est sauvé par Hikuc, un Indien qui, lui, a choisi de vivre en communion avec la nature. Dans ce sens, il a renoncé à la vengeance, spécificité humaine contre-nature : “Revenge is in the creator’s hands”. Le trappeur semble finir par comprendre cette leçon d’humilité à la fin de son périple lorsqu’il exprime à son tour que la vengeance est entre les mains de Dieu, pas les siennes.

Mais l’Homme peut-il vraiment dépasser les faiblesses de sa nature humaine ?

La situation contemporaine de notre société de confort, régi par le profit et si méprisante à l’égard de la nature, ne penche pas pour cette conclusion enthousiaste.

Iñárritu modère donc largement l’optimisme d’une éventuelle rédemption de son héros et empreint plutôt le film d’une sombre mélancolie. Hugh Glass renonce peut-être in extremis à sa chère vengeance, mais il le fait avec un certain cynisme en laissant John Fitzgerald agonisant aux mains des Indiens.

Quand au seul personnage ayant choisit la voie de l’humilité et de la communion avec la nature, Hikuc, l’Indien salvateur, il finit pendu, avec un écriteau autour du cou disant : “On est tous des sauvages”. Pas de place donc pour la rédemption de l’homme dans cette société “civilisée”, dévastatrice pour la nature et pour l’homme, au nom d’une “modernité” arrogante et d’un “progrès” sacro-saint où finalement, comme toujours, l’argent est roi.

Emilio M.

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