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Roulez jeunesse du Julien Guetta
Affiche du film "Roulez jeunesse"

Critique / “Roulez jeunesse” (2018) de Julien Guetta : un drame comique

Dernière mise à jour : août 7th, 2023 at 11:57 pm

Le long métrage Roulez jeunesse du réalisateur Julien Guetta, interprété par Eric Judor, est une comédie dramatique. Ou plutôt un drame comique. L’avis et la critique film de Bulles de Culture.

Synopsis :

A 43 ans, Alex (Eric Judor) prend la vie comme elle vient, il travaille comme dépanneur dans le garage dirigé par sa mère (Brigitte Roüan) — sur le point de partir à la retraite —, collectionne les conquêtes d’un soir. Un jour, il dépanne une femme (Marie Kremer) un peu paumée et passe la nuit avec elle. A son réveil, elle a disparu lui laissant sur les bras, deux puis bientôt trois enfants.

Roulez jeunesse est un film trompeur. Un film qu’on va voir en ayant lu le pitch plutôt classique d’une comédie, avec Eric Judor en héros, en se disant qu’on va s’en payer une bonne tranche et se détendre.
Ah oui mais non, car Roulez jeunesse — notez que même le titre nous emmène dans la mauvaise direction — est une comédie dramatique.

Et que le drame n’y est pas anecdotique, qu’il a largement sa place, sans pour autant donner le résultat d’un film trop lourd, trop triste. Un savant dosage entre les moments drôles et les moments sérieux, entre le drame et la comédie, finalement assez proche de ce qu’est la vie.

Roulez jeunesse prend les chemins de traverse de la comédie

Roulez jeunesse de Julien Guetta photo
Eric Judor, Marie Kremer dans le film “Roulez jeunesse” © Celine Nieszawer

Roulez jeunesse est un film émouvant qui reste sur le fil du drame et de la comédie, ne versant jamais ni dans la mièvrerie ni dans le pathos. On sort touché, un peu triste mais pas désespéré et c’est cette énergie positive, cet espoir que tout peut se reconstruire – un sentiment de résilience suggéré par la scène de fin – qui apporte toute la saveur particulière de ce premier long métrage.

Surtout que Julien Guetta, le réalisateur, a voulu un film « beau, lumineux ». Et pour cela, il a confié l’image à Benjamin Roux grâce à qui « la lumière raconte plus l’espoir que la mort ». Loin, très loin d’un huis clos oppressant, la lumière et l’omniprésence de la nature insufflent espoir et vie dans ce film.

Ces mômes ont des vies cassées mais ils reprennent le dessus. Ils ont tout à inventer et ça, c’est la vraie vie.
— Eric Judor

De la comédie dans le drame

Roulez jeunesse de Julien Guetta photo
Eric Judor, Louise Labeque dans le film “Roulez jeunesse” © Le Pacte

Julien Guetta dit être fortement inspiré par le cinéma de Ken Loach qui parvient à « amener de la comédie dans le drame » et Roulez jeunesse, c’est exactement ça. Mis à part le début du film très comique et quasi cartoon, le drame s’installe très vite. Comme dans la vraie vie, les évènements opèrent un basculement.

Personnellement, dès que les enfants entrent dans la vie d’Alex — le personnage interprété par Eric Judor —, j’ai eu du mal à rire de certaines scènes, j’étais un peu mal à l’aise. Notamment parce que je n’avais pas vu venir le drame. « L’idée était d’affronter les situations mises en place et d’aller jusqu’au bout », affirme Julien Guetta. En effet, c’est un film qui regarde la réalité en face.

On s’attend à ce que certaines scènes soient coupées pour rester « comédie dramatique » mais en fait, Julien Guetta va au bout et c’est ce qui en fait un film « divertissant mais profond », « drôle mais sérieux », comme il le décrit lui-même.

Je voulais montrer Eric comme on ne l’avait encore jamais vu au cinéma.
— Julien Guetta

Eric Judor est parfait dans ce registre

Roulez jeunesse de Julien Guetta photo
Eric Judor, Ilan Debrabant dans le film “Roulez jeunesse” © Celine Nieszawer

Au début du film Roulez jeunesse, Alex ne se sent pas vraiment concerné. Ce sont les évènements qui vont le pousser dans ses retranchements, le forcer à s’engager pour les enfants. « C’est la première fois que j’interprète un personnage que les événements affectent » car habituellement, « les choses glissent sur moi », explique-t-il.

La fragilité inattendue de l’acteur nourrit aussi le drame tout en y apportant de la comédie, par touches. Le jeu d’Eric Judor est ici sensible et très touchant.

La faute des mères

Roulez jeunesse de Julien Guetta photo
Philippe Duquesne, Brigitte Roüan, Maxence Tual, Bellamine Abdelmalek, Madeleine Baudot dans le film “Roulez jeunesse” © Ivan Mathie

Le film Roulez jeunesse est construit sur deux dynamiques opposées, celles des mères qui sont « trop ». Trop absentes ou trop présentes. Alors, en tant que maman, je me suis demandée : «On fait toujours mal ? Alors pourquoi est-ce toujours la faute des mères ? »

Julien Guetta interroge le lien filial et on notera que les pères sont totalement absents dans ce film.
« Comment se construire avec l’héritage familial ? Comment continuer à vivre quand il y a des absents ou au contraire quand il y a un membre qui prend trop de place ou toute l’attention ? », s’est ainsi interrogé le réalisateur.

La transmission familiale

Roulez jeunesse de Julien Guetta photo
Eric Judor, Milhan Fertas dans le film “Roulez jeunesse” © Celine Nieszawer

Ce sujet de la transmission est abordé en plein et en creux dans le long métrage Roulez jeunesse. Pour Alex, c’est la transmission du garage dont sa mère hésite à lui léguer les clés. Il faut bien avouer qu’il ne prend pas sa place, qu’il ne paraît pas franchement intéressé.

Que transmet-t-on lorsqu’on est trop présent ? La mère d’Alex « empêche son enfant de grandir alors qu’elle l’exhorte constamment à saisir ses responsabilités ». Elle est interprétée avec grâce par Brigitte Roüan.

Que transmet-t-on lorsqu’on est trop absent ? La question est posée en creux, par l’absence de la mère ou de tout entourage pouvant étayer des enfants, ici totalement abandonnés à leur propre sort.

Je crois beaucoup à ces micro-évènements qui changent le cours d’une vie. Une seconde peut suffire à prendre une nouvelle direction.
— Eric Judor

Alex, lui, finit par trouver sa voie

Roulez jeunesse de Julien Guetta photo
Eric Judor dans le film “Roulez jeunesse” © Ivan Mathie

A un moment, il faut se prendre en main et décider pour soi-même, s’émanciper de l’héritage familial sans nécessairement le renier. Le personnage d’Alex grandit et devient responsable, il trouve sa voie, donne du sens. « Et toi, qu’est-ce que tu fais avec nous ? », demande un des enfants. « Moi ? Je fais ce que je sais faire, je dépanne », répond-il.

Cette aventure l’aide aussi à trouver sa « voix », sans jeu de mot pourri. En effet, à un moment donné, le personnage se retrouve dans l’impasse, il est obligé de changer, d’évoluer. Lui qui ne gère pas vraiment sa propre vie, qui reste dans la légèreté et la facilité, se retrouve à devoir gérer les problèmes (graves) de trois enfants. Et par ce prisme, il réussit enfin à exprimer sa colère, son ras-le-bol. En soulageant les enfants, il parvient à exprimer ses propres émotions (voir la scène dans la casse).

En se libérant ainsi, le personnage évolue et gagne en profondeur jusqu’à une scène capitale et surprenante où Alex/Eric Judor laisse place à une émotion brute.

Mélange des genres

Roulez jeunesse de Julien Guetta photo
Eric Judor, Louise Labeque dans le film “Roulez jeunesse” © Celine Nieszawer

Roulez jeunesse est un film qui parle de la vie, et comme dans la vie, on peut parfois rire dans un moment tragique et triste. Julien Guetta et son coscénariste Dominique Baumard ont réussi à mettre cette vie, cette énergie dans le scénario.

Notamment avec la galerie de personnages secondaires, « trio de mécaniciens décalés, paresseux et fantasques », qui jalonnent le film de scènes loufoques, permettant de faire dégonfler la bulle de drame ou encore les acteurs-enfants qui apportent de la fraicheur à certaines scènes.

On peut également saluer le travail de la directrice de casting, Élodie Demey, pour avoir su mélanger des acteurs issus d’univers très différents comme Deborah Lukumuena (actrice de Divines), Laure Calamy (tout juste récompensée d’un Molière pour Adieu Monsieur Haffmann), Maxence Tual (Apnée, Rodin) et Philippe Duquesne (Les Deschiens, Bienvenue chez les Ch’tis) qui viennent chacun de familles de cinéma très variées.

Notre avis ?

Avec Roulez jeunesse, Julien Guetta réussit haut la main l’exercice du premier long métrage, offrant un film surprenant, plus profond qu’il ne laisse à penser au premier abord, soit un véritable drame comique.

De son côté, Eric Judor réussit le pari de jouer avec des émotions autres que le rire, et c’est un vrai bonheur de le voir se transformer en chevalier servant des temps modernes sur son fidèle destrier (aka la dépanneuse).

Toutes les citations présentes dans cet article sont issues du dossier de presse du film.

En savoir plus :

  • Date de sortie France : 25/07/2018
  • Distribution France : Le Pacte
Marjolaine Gaudard

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