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Exposition Ceija Stojka (1933-2013) une artiste rom dans le siècle image C.S, Ohne Titel
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♥ [Critique] “Ceija Stojka, une artiste rom dans le siècle” : Une exposition à ne pas manquer

Dernière mise à jour : mars 25th, 2019 at 02:31 pm

La maison rouge expose une centaine de toiles de Ceija Stojka dans une vaste exposition intitulée Ceija Stojka, une artiste rom dans le siècle. Bulles de Culture a découvert et adoré l’univers pictural de cette artiste singulière. C’est une exposition coup de cœur.

Ceija Stojka : Une découverte absolue

Exposition Ceija Stojka (1933-2013) une artiste rom dans le siècle image 2
© Morgane Patin / Bulles de Culture

Il y a peu, Bulles de Culture découvrait la poésie de Ceija Stojka avec le recueil Auschwitz est mon manteau et autres chants tziganes. Bouleversée par cette lecture, nous avons décidé de partir à la rencontre de l’œuvre picturale de cette artiste étonnante et remarquable. Ceija Stojka n’a en effet pas le parcours des écrivains et des peintres « normaux ». Rom vivant en Autriche, elle a été déportée avec sa mère à l’âge de dix ans. Elle a survécu aux camps d’Auschwitz-Birkenau, de Ravensbrück et de Bergen-Belsen. De cette tranche de vie, elle ne dira mot : c’est un sujet tabou chez les Roms que celui de la déportation et de l’extermination.

Ce n’est qu’à la cinquantaine qu’elle ressentira la nécessité de témoigner. Elle devient ainsi la première femme rom à témoigner de l’horreur nazie. Elle apprend en autodidacte à écrire en allemand pour pouvoir rédiger des poèmes qui sont immédiatement publiés. Quelques années plus tard, elle commence à peindre, là aussi en autodidacte, et ne cessera qu’à sa mort. L’œuvre qu’elle laisse derrière elle est à la fois saisissante, bouleversante, éloquente et captivante. L’exposition Ceija Stojka, une artiste rom dans le siècle, présentée à La maison rouge, en est un brillant exemple.

Ceija Stojka, une artiste rom dans le siècle : Sur les pas d’une enfant

Ce que Ceija Stojka livre dans son œuvre, c’est son expérience de petite fille dans l’univers concentrationnaire. Le regard qu’elle porte sur la cruauté de la vie dans les camps, sur l’abjection du nazisme, est profondément empreint des sensations de la fillette, des souvenirs de l’enfant. Il en découle un style faussement naïf : personnages figurines, paysages idylliques, représentation simplifiée des camps. Cette naïveté apparente crée un contraste fort et perturbant avec les thèmes abordés. Les toiles de Ceija Stojka sont traversées d’une sincérité forte, d’une clarté dérangeante, d’une ingénuité déconcertante. La forte charge émotionnelle que dégagent ses tableaux montre bien que son geste artistique dépasse de loin la simplicité candide qu’on pourrait lui reprocher.

L’organisation des salles choisie pour Ceija Stojka, une artiste rom dans le siècle n’est d’ailleurs pas étrangère à cette sensation. Choisissant de retracer le parcours de Ceija Stojka de façon chronologique et thématique, et donc de rompre la chronologie des toiles, l’exposition semble la démonstration parfaite que la candeur apparente des toiles n’est qu’illusion. Nous passons ainsi d’une enfance rêvée avec ses roulottes et ses montagnes à l’arrestation avec sa violence brusque, la traque, la déportation, les différents camps traversés avec leur inhumanité, pour arriver à une forme de « retour à la vie ». Les couleurs côtoient les encres sur toile, les tableaux figuratifs côtoient d’autres plus symboliques, et le foisonnement qui émane de l’exposition montre la construction complexe d’un univers pictural riche.

Une artiste à part entière

Si elle témoigne de la déportation, on ne peut pas résumer l’œuvre de Ceija Stojka à un simple témoignage pour autant. Celle-ci relève d’un véritable geste artistique et c’est ce que l’exposition Ceija Stojka, une artiste rom dans le siècle révèle brillamment. On retrouve dans ses toiles, comme dans sa poésie, des éléments du folklore tzigane. Ce sont des couleurs vives, une grande proximité avec la nature, une sensibilité particulière aux saisons. La façon dont Ceija Stojka peint et dépeint la vie en roulotte qu’elle a vécue avant la guerre renvoie à l’image que nous nous en faisons et rejoint ainsi une forme d’imaginaire collectif. L’harmonie et la joie que dégagent ces toiles montrent une profonde nostalgie et une forme d’idéalisation.

Ce qui fait encore la force de l’œuvre de Ceija Stojka, c’est la façon dont elle fait se répondre les toiles entre elles, en insérant des motifs échos, répétitifs et répétés. De ce phénomène naît l’impression que toutes les œuvres se complètent. On retrouve par exemple des représentations de tournesols dans la peinture de l’avant-guerre et de l’après-guerre, mais la variation qui s’opère entre les toiles montre que la vie d’avant n’est plus possible, plus la même.

On voit encore apparaître à plusieurs reprises le motif de l’œil, qui a donné lieu à “l’affiche” de l’exposition. C’est à la fois l’œil dans lequel se reflète l’horreur nazie, un œil supérieur (divin?) auquel rien n’échappe, ou encore cette obsession du regard pour la petite fille à qui la mère apprend à baisser les yeux, à se faire discrète, à ne pas éveiller l’attention. Cette dimension métaphorique et symbolique peuple toute l’œuvre de Ceija Stojka.

Une peinture d’une vitalité extraordinaire

Comme avec les tournesols, les éléments naturels qui peuplent de façon générale les tableaux qui décrivent l’avant-guerre se retrouvent dans ceux qui décrivent l’univers concentrationnaire. Les montagnes de l’enfance viennent ainsi prendre place en arrière-plan, les oiseaux viennent peupler le quotidien dans les camps. Cet attachement à la nature, au cycle de la nature, présent aussi dans la poésie de Ceija Stojka, a quelque chose d’une force vitale supérieure. Ce contraste entre vie et mort est saisissant.

Ce qui surprend et fascine encore, c’est qu’il n’y a pas de rupture dans la représentation entre les toiles qui décrivent l’avant-guerre et celles qui montrent la vie dans les camps. Bien sûr, on voit apparaître les éléments qui terrifiaient l’enfant : les bottes des soldats nazis, les barbelés, les convois, la nudité contrainte, la torture. Mais la vie dans les camps est peinte comme l’était celle en roulotte : avec des personnages figurines, des paysages, des couleurs. Ce qui est captivant, c’est cette façon dont l’artiste montre que l’homme s’adapte à toutes les atrocités au point que les pires crimes peuvent revêtir un aspect normal, devenir un simple élément du quotidien.

L’exposition se conclut par un reportage dans lequel Ceija Stojka évoque son quotidien à Bergen-Belsen, et c’est bien l’incroyable force qu’elle met à survivre, à vivre tout de même qui saisit. Racontant les conditions effroyables de sa survie avec sa mère, elle se souvient aussi et pourtant des jeux qu’elle et d’autres enfants inventaient, du refuge qu’elle trouvait auprès des cadavres où elle se protégeait du froid. C’est ce même contraste entre l’omniprésence de la mort et la force extraordinaire de la vie qui frappe et émeut.

Ceija Stojka, une artiste rom dans le siècle est en tout cas une exposition coup de cœur qui a profondément touché Bulles de Culture et que nous vous conseillons vivement.

En savoir plus :

  • L’exposition Ceija Stojka, une artiste rom dans le siècle est présentée à La maison rouge du 23 février au 20 mai 2018
Morgane P.

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