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Amour fou de Mathias Gokalp affiche série télé

Critique & Interview / “Amour fou” (2019) avec Clotilde Hesme et Jérémie Renier

Dernière mise à jour : mai 13th, 2021 at 01:15 am

Auréolé de trois prix lors du Festival de Luchon, Amour fou est une mini-série réalisée par Mathias Gokalp avec Clotilde Hesme, Jérémie Renier, Finnegan Oldfield et Majda Abdelmalek au casting. L’avis et la critique série de Bulles de Culture sur ce thriller diffusé sur ARTE le jeudi 20 février 2020 ainsi que notre interview de l’auteur-réalisateur.

Synopsis :

Rebecca Peyrac (Clotilde Hesme) est une jeune femme brillante, mariée à Romain (Jérémie Renier). Un bonheur apparemment sans nuage qui va être mis à mal lorsque le frère de Romain, Mickaël (Finnegan Oldfield) s’installe en face de chez eux avec sa petite amie Emilie (Majda Abdelmalek). Une nuit, Romain et Rebecca surprennent Mickaël chargeant un tapis roulé dans son coffre. Le lendemain, ils réalisent qu’Émilie a mystérieusement disparu et que Mickaël ne se souvient plus de rien…

Amour fou : un thriller domestique prenant, atypique et déroutant

Avec un tournage dans la ville de Sens dans le département de l’Yonne et dans le Parc naturel régional du Haut-Jura, un scénario d’Ingrid Desjours, Florent Meyer et Mathias Gokalp, une image de Christophe Orcand, un montage de Marion Dartigues, une musique originale de Flemming Nordkrog et une réalisation de Mathias Gokalp, Amour fou est une mini-série de 3 épisodes de 49 minutes sur le couple et la famille. Elle signe le retour au premier plan d’un réalisateur un peu perdu de vue malgré un premier long métrage remarqué et nommé au Prix Louis-Delluc : Rien de personnel (2009) avec Jean-Pierre Darroussin, Denis Podalydès, Mélanie Doutey, Zabou Breitman et Bouli Lanners.

Récompensé par trois prix au Festival de Luchon en 2020 (Meilleure série, meilleur scénario et meilleure interprétation féminine pour Clotilde Hesme), Amour fou est un polar machiavélique à la Alfred Hitchcock et très formel puisque les trois épisodes portent trois points de vue différents sur une même intrigue. Prenante, atypique et déroutante, cette mini-série est portée par une épatante Clothilde Hesme — son prix d’interprétation à Luchon est amplement mérité ! — et des partenaires (Jérémie Renier, Finnegan Oldfield et Majda Abdelmalek) à l’unisson. Bref, un thriller domestique original à découvrir sans tarder !

Rencontre avec Mathias Gokalp, coscénariste et réalisateur d’Amour fou

Bulles de Culture : Le scénario d’Amour fou a été développé au départ par l’écrivaine de romans policiers Ingrid Desjours et le scénariste Florent Meyer — la première s’est d’ailleurs inspirée de ce scénario pour écrire son roman Tout pour plaire (éditions Robert Laffont, 2014). Comment êtes-vous arrivé sur le projet ?

Mathias Gokalp : On m’a fait lire des premières versions du scénario en me demandant si cela m’intéresserait de le réaliser et j’ai accepté à condition de pouvoir faire un certain nombre de changements. (…) Au départ, le personnage de Rebecca [NDLR : interprété par Clotilde Hesme] était un portrait clinique…

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… de psychopathe. Rebecca n’avait pas d’état d’âme. Le scénario était une histoire de vengeance froidement calculée et machiavélique. J’ai donc essayé d’en faire un personnage un peu plus opportuniste et chaleureux. J’avais en effet peur qu’on ait du mal à suivre une femme psychopathe, fût-elle brillante, sur trois épisodes et j’avais besoin de ressentir un peu plus ses motivations, amour ou autre. C’était des choses qui étaient déjà en germe dans le scénario et que j’ai développé.

Bulles de Culture : Comment avez-vous ensuite pensé la réalisation de cette série ?

Mathias Gokalp : Le plus important pour moi était d’être juste dans les rapports entre l’information et l’émotionnel, ne jamais être trop explicite ou didactique et privilégier les moments où on est en empathie avec les personnages. Et toujours accepter le point de vue de chacun : il n’y a jamais de personnage qu’on juge mais il agit toujours selon des raisons qui ont été données au spectateur pour lui permettre d’arriver à se mettre à sa place. Cela a été pour moi les deux intentions importantes.

Bulles de Culture : Et la question du genre ?

Mathias Gokalp : J’ai essayé d’éloigner le scénario d’origine du genre et je pense que de plus en plus de séries françaises se font sur un “mode américain” : un décor américain, une esthétique américaine (lotissement chic), etc.. On a été “colonisé” par Desperate Housewives ! Pour la série, je pensais qu’il était plus intéressant de prendre le contrepied en montrant une France beaucoup plus traditionnelle, de préfecture ou sous-préfecture en région. Ce qui était aussi un clin d’œil à Claude Chabrol.

Bulles de Culture : Il y a une image marquante dans la série, ce sont les sourires de Clothilde Hesme quand…

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elle fait des choses horribles. C’est quelque chose que vous avez réfléchi avec elle ?

Mathias Gokalp : Clotilde est vraiment une actrice extraordinaire. Elle joue en permanence en ayant conscience du reste du scénario et elle peut doser ses effets. Sur certaines scènes, elle va paraître un peu en retrait, un peu froide et c’est justement pour que le moment où elle va intervenir et où elle va être chaleureuse, on va le ressentir par contraste. Elle a donc travaillé ces effets de contraste sur l’ensemble de la série.

“En amour, on fait tous des sacrifices et il faut les accepter pour être heureux”

Bulles de Culture : Comment avez-vous pensé vos cadres ?

Mathias Gokalp : J’ai pensé au fait que les gens allaient voir la série sur des petits écrans et j’ai donc supprimé les plans larges. Il n’y en a pratiquement pas. J’avais envie d’avoir un rythme soutenu et ces plans d’extérieur pouvaient ralentir le rythme. C’est à la fois émotionnel — on est toujours avec les personnages — et oppressant — on manque d’air. J’ai essayé de contenir l’espace pour nous donner des ouvertures au moment où on en a besoin émotionnellement mais pas pour en faire des chapitres.

Bulles de Culture : Concernant la musique, comment l’avez-vous travaillée avec le compositeur danois Flemming Nordkrog ?

Mathias Gokalp : On a parlé très vite de Bernard Herrmann [NDLR : le compositeur entre autre des films d’Alfred Hitchcock] et on a écouté ensemble toute sa musique et on a regardé les films. On a parlé de thèmes et d’orchestration. Aujourd’hui, on est plus sur des nappes discrètes et un peu floues mais moi, je voudrais que les compositeurs reviennent à des thèmes identifiables forts. Donc Flemming Nordkrog s’est forcé à faire des thèmes. (…) Je voulais une musique très romantique avec un clin d’œil à Hitchcock, soit une manière un peu désuète de travailler la musique.

Bulles de Culture : Et la fin ? Plusieurs fins étaient sans doute possible alors pourquoi avoir choisi celle-ci plutôt qu’une autre ? Qu’est-ce qu’elle raconte pour vous ?

Mathias Gokalp : Il faut prendre la fin au sens large, c’est-à-dire avec la scène où…

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… Rebecca s’explique avant. Pour moi, la fin recentre le sujet de la série, qui est l’histoire d’un couple qui accepte de vivre ensemble. Quand on vit une histoire d’amour à n’importe quel moment de sa vie, on arrive avec un bagage, une expérience et il y a énormément de choses dont on doit faire le deuil et qu’il faut surmonter pour pouvoir être pleinement avec l’autre. Évidemment, quand vous avez 15 ans, le bagage est tout petit et quand vous en avez 30, il est beaucoup plus important. Mais il y a aussi des gens qui se rencontrent à 60 ans et ils ont des vies entières derrière eux. En fait, quand vous voulez vivre une histoire d’amour, vous êtes obligés de laisser ce bagage de côté. Et l’histoire des trois épisodes peut être résumée de manière très simple, très humaine et un peu métaphorique : c’est un couple qui se rencontre et pour pouvoir vivre ensemble, ils sont obligés de laisser de côté leurs deuils et leurs familles pour être vraiment l’un avec l’autre. Il a tué ses parents, elle a tué son frère et sa propre amie et maintenant, ils vont pouvoir être heureux.

Bulles de Culture : Mais à la fin, elle continue de mentir…

Mathias Gokalp : Bien sûr, il y a un aspect propre au thriller où elle continue de mentir une dernière fois et essaie encore d’arranger les choses. Mais ça, c’est un plaisir de spectateur et aussi le propre de ce personnage qui ne cesse d’arranger les choses et de raconter la réalité à sa manière. Mais dans cette dernière scène, elle lui dit la vérité : “Si tu veux qu’on soit tous les deux, il fallait qu’on soit sans les autres”. En fait, je pense qu’on le vit tous mais sans crime, sans monstruosité et sans intrigue mais en amour, on fait tous des sacrifices et il faut les accepter pour être vraiment heureux.

Propos recueillis au Festival des Créations Télévisuelles de Luchon 2020 le jeudi 6 février.

En savoir plus :

  • Amour fou a été diffusé sur ARTE le jeudi 20 février 2020 à 20h55
Jean-Christophe Nurbel

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