Sur Bulles de Culture, art, cinéma, littérature, musique, spectacles, télévision... chaque jour, la culture sort de sa bulle.
image pochette Coffret Collector DVD+CD musique cinéma

♥ [Critique DVD] “HEPHAISTOS – Le cœur du monde” (2018) : Sur les épaules des géants

Dernière mise à jour : février 18th, 2020 at 12:25 pm

Ciel Blanc est un collectif d’artistes réunis autour d’Etienne Appert, auteur de bandes dessinées, auquel on doit notamment La Femme de l’Ogre. En septembre 2018, Ciel Blanc a sorti une première vague de créations. L’avis et critique film de Bulles de Culture sur HEPHAISTOS – Le cœur du monde, moyen-métrage réalisé en étroite collaboration avec Guillaume Darcq, qui mêle vidéo, cinéma d’animation et musique rock. C’est un coup de coeur.

Synopsis :

Sur une route nocturne, un peu cabossée, une voiture avance péniblement avant de s’arrêter net. C’est l’accident après le vertige de la conduite rapide, en surrégime : « chaos, moteur fumant, durite explosée ». L’homme se retrouve à terre : fin de partie. Circonstances pénibles, mais aussi transition vers le renouveau, plein de dangers et d’opportunités. HEPHAISTOS- Le cœur du monde, road movie initiatique, nous invite à pénétrer au cœur du symbolisme des mythes, des rêves et de la rencontre avec nous-même…

HEPHAISTOS – Le cœur du monde : un rêve initiatique

HEPHAISTOS - Le cœur du monde d' Etienne Appert et Guillaume Darcq (c) Etienne Appert CIEL BLANC cinéma moyen métrage
© Etienne Appert / Ciel Blanc

A la nuit blafarde et humide, succède bientôt le paysage sec et inondé de soleil de ce qui ressemble à la Grèce. Un homme âgé, le père du héros, lit un vieux livre de légendes mythologiques. Il a une prédilection pour Héphaïstos, le dieu forgeron et boiteux, fils qu’Héra conçut seule, et qu’elle trouva si laid à la naissance qu’elle le lança du haut de l’Olympe. Tombé dans l’Océan, il fut recueilli par des déesses marines qui l’élevèrent. De retour dans le monde, hélas, les hommes le trouvèrent si monstrueux que, de chagrin, il s’enfonça dans les entrailles de la terre pour se cacher… Ainsi commence le film HEPHAISTOS – Le cœur du monde.

Héphaïstos, origine divine oblige, ne peut évidemment rester figé dans cette posture fœtale. De même, l’homme, le héros, arrêté sur une route sombre, doit sortir d’une impasse existentielle devenue obscurité indéchiffrable pour se déployer dans le monde. Il va devoir affronter les dangers, monstres hideux et ogresse affamée, avancer seul dans la forêt, lieu traditionnel de l’errance, des épreuves et de la rencontre avec l’« Autre Monde » dans l’univers de la chevalerie. Ce n’est qu’à ce prix qu’il trouvera, au-delà de la confusion apparente de la traversée, beauté, apaisement et réconfort – pour opérer enfin une véritable mue, vivre une nouvelle naissance. A moins que tous ces dangers ne représentent aussi une part de son ombre, à lui, de ses limites et de ses peurs… qui enferment dans le « labyrinthe », ce lieu de l’horreur circulaire dont on ne peut s’échapper que par le haut.

Une création originale, mêlant musique rock, dessin animé et cinéma

HEPHAISTOS – Le cœur du monde est un film hybride. Etienne Appert reconnaît d’ailleurs l’influence de ces grands films des années 70-80 associant rock ‘n’ roll et séquences d’animation (The Wall de Pink Floyd, Tommy des Who… ), d’Alejandro Jodorowsky, bien sûr, artiste, scénariste et réalisateur qui pratique un « art total » (BD, cinéma, littérature, contes…) dans une perspective symbolique et mystique ;  pour le côté graphique, Moebius et Boucq, et toute la culture cinématographique apportée par Guillaume Darcq, de Jim Jarmusch à David Lynch (cf. Entretien d’Etienne Appert disponible sur le site Choeur).

Le parcours du héros, filmé en prises de vue réelles, est accompagné après l’accident initial de son « double animé » : celui-ci prolonge et approfondit cette expérience existentielle en plongeant dans ses racines, celles de l’inconscient, en quelque sorte. De ce fait, les séquences d’animation amènent le spectateur à entrer en relation avec la part symbolique, onirique et initiatique de ce périple : ainsi nous est contée l’histoire d’Héphaïstos, figure tutélaire, à la fois protectrice et pourvoyeuse de l’énergie virile du film, le feu ; sont aussi représentés des personnages et des lieux appartenant à différentes traditions (le cyclope, la femme ogresse, les géants, la forêt, le labyrinthe…). Le motif du labyrinthe, sur le plan créatif et graphique, inspire à Etienne Appert un foisonnement d’images à la fois monstrueuses et magnifiques.

De mythes “animés” à un réel transformé

HEPHAISTOS - Le cœur du monde d' Etienne Appert et Guillaume Darcq (c) Etienne Appert CIEL BLANC cinéma moyen métrage
© Etienne Appert / Ciel Blanc

Cette part importante d’animation, lieu privilégié d’expression d’Etienne Appert, constitue une illustration personnelle et stylisée d’archétypes de l’expérience humaine : d’une part, les forces de l’ombre, qui sont aussi les forces animales (y compris de la sexualité), telluriques, parfois folles et effrayantes, comme l’homme à tête de poing ou les personnages aux membres disloqués, hurlant, du labyrinthe ; d’autre part, l’énergie solaire, la lumière, le ciel bleu de Grèce et la mer, la fille du cyclope, qui amène la possibilité d’une véritable union entre l’homme et la femme.

Mais allons plus loin : certains mythes, comme celui d’Héphaïstos, au cœur du récit d’HEPHAISTOS – Le cœur du monde, sont pour ainsi dire recréés et « animés » par l’histoire individuelle du héros, son courage et ses failles. Ressuscités, comme fonds archaïque qui ne demandait qu’à revenir à la vie, ils suivent le héros à la trace pour mettre leurs pas de « Géants » dans les siens et le soutenir dans l’épreuve. En revanche, les scènes de fin, à l’instar du début du film, sont entièrement tournées en décor naturel avec les vrais personnages, comme pour signifier le retour au réel, mais, cette fois-ci, à un réel transformé.

« Perché sur les épaules des Géants »

HEPHAISTOS - Le cœur du monde d' Etienne Appert et Guillaume Darcq (c) Etienne Appert CIEL BLANC cinéma moyen métrage
© Etienne Appert / Ciel Blanc

La musique rock écrite par Laurent Mathis, sur des paroles d’Etienne Appert, pour le film HEPHAISTOS – Le cœur du monde, va bien au-delà d’une fonction illustrative, en électrisant littéralement certaines séquences. Elle intervient lors de moments forts, passages, confrontations avec la noirceur du monde ou, au contraire, dans des « pauses », instants de paix et de contemplation. Elle apporte une vibration puissante, « chamanique » selon l’expression choisie par Ciel Blanc, et donne au héros soumis à l’épreuve une force, une pulsation vitale (on pourrait parler de « Beat ») ; elle relie le réel incarné par la propre chair du héros, son corps qui se meut, et le rêve, porté à son point d’incandescence par ce rythme. Ce rêve est parfois cauchemar : par exemple, dans le clip de la chanson intitulée Le secret noir, l’étrange couple du cyclope et de sa femme semble incarner sur un tempo soutenu la transformation morbide, évoquée dans les paroles, de l’amour en “mouroir”.

Les chansons, aux titres évocateurs (Reste ouvert, Le Pont, La Beauté, Les Géants), pointent la possibilité du dépassement et de l’ascension au cœur même de l’immersion dans la difficulté, du souterrain ou du labyrinthe. Pour mobiliser d’autres références symboliques et mythologiques, elles apportent une cohérence et une harmonie, une force sûre d’elle-même et un surplomb, qui pour le coup tiennent davantage du dieu de la lumière, Apollon : cette dimension éclaire le chaos, transforme par la “vision” l’animalité pulsionnelle, le désordre premier et paradoxalement créateur, nécessaire au renouveau, que représente Dionysos, ce dieu qui mange de la chair crue (scène qu’on peut observer dans le film, d’ailleurs).

Pour conclure, Ciel Blanc a su produire un film d’une très grande qualité, qui mêle avec force et très subtilement (oui, oui, c’est possible !) cinéma, animation et musique rock. Tout concourt à inspirer le spectateur, stimuler son imagination et réveiller son esprit, ce spectateur lui aussi est à son insu « perché sur les épaules des Géants », tels Ulysse, Achille ou bien encore Antigone, pour ne citer que ceux-là.

HEPHAISTOS – Le cœur du monde est un film coup de coeur de Bulles de Culture.

Une édition collector DVD + CD

photo Coffret Collector DVD+CD CIEL BLANC
© Etienne Appert / Ciel Blanc

Le DVD du film HEPHAISTOS – Le cœur du monde est disponible sous la forme d’une édition collector qui propose également le CD d’un disque de 6 chansons originales, Ciel blanc, paroles et musiques du collectif Ciel Blanc, et un bonus track (piano remix). Soulignons les qualités musicales et d’écriture de ce disque, qui peut s’écouter indépendamment du film.

Côté bonus, on trouvera :

  • 8 clips : chansons mises en images et séquences animées extraites du film ;
  • Deux films documentaires, Comme un rêve (20 minutes) et Le Rêve en miroir (10 minutes) : il s’agit de dialogues filmés entre l’auteur et Catherine Marchand, psychothérapeute spécialiste de l’analyse des rêves. Ces entretiens prolongent la découverte du film et permettent de décrypter une partie des symboles représentés. En effet, Catherine Marchand, en s’appuyant sur son expérience de l’analyse des rêves et sa compréhension des mythes, propose une lecture fine et perspicace des multiples significations contenues ou suggérées dans le parcours du héros.

En savoir plus :

  • Disponible en coffret collector DVD+CD et aussi en VOD chez Le Gué Editions
  • Site internet pour connaître les projets du collectif Ciel Blanc et le travail d’Etienne Appert
Marie-Laure Surel

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.