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L'une chante l'autre pas film affiche Agnès Varda

[Critique] “L’Une chante, l’autre pas” (1977) d’Agnès Varda

Dernière mise à jour : février 28th, 2020 at 09:56 pm

Réalisé en 1977, le long métrage L’Une chante, l’autre pas d’Agnès Varda ressort en salle le 4 juillet 2018 après avoir été programmé dans la section Cannes Classics du Festival de Cannes 2018. L’avis et critique film de Bulles de Culture.

Synopsis :

Deux jeunes filles vivent à Paris en 1962. Pauline (Valérie Mairesse) étudiante, rêve de quitter sa famille pour devenir chanteuse. Suzanne (Thérèse Liotard) s’occupe de ses deux enfants et fait face aux drames du suicide de leur père. Puis la vie les sépare. L’une est devenue chanteuse dans un groupe militant et itinérant après avoir vécu une union difficile en Iran. Tandis que l’autre est sortie de sa misère et travaille au Planning familial. Dix ans plus tard, elles se retrouvent au cours d’une manifestation féministe.

L’Une chante, l’autre pas : un cri musical

D’aucuns parleront de la naïveté du film, de l’innocence d’Agnès Varda, des illusions de la cinéaste… D’autres, comme nous, voient d’abord dans L’Une chante, l’autre pas un regard lucide lancé sur les femmes, et ce qui gravite autour d’elles : les études, les parents, l’argent, le travail, la grossesse, la sexualité, les hommes encore… Et si le film est naïf, c’est dans la beauté de cette naïveté, c’est dans le regard sans jugement que Varda pose sur ces femmes qu’elle accompagne. C’est dans le cri d’amour et la joie, coûte que coûte, qui est toujours là.

Pauline, devenue Pomme, chante dans toutes les bourgades de France, et renonce à la vie de famille pour préférer le van à fleurs et les chansons féministes. Le film est scandé de ces tableaux musicaux où le groupe Orchidée, que la réalisatrice avait rencontré pour le film, donne sons et sens aux paroles d’Agnès Varda. Il s’agit de corps libérés, de femmes et de nouveau-nés, de grossesses décidées, de sexualité assumée.

En 2018, les comédies musicales surprennent plus encore peut-être qu’il y a quelques années. On se méfie de l’artifice musical. Mais ici dans L’Une chante, l’autre pas, rien n’est surplus. La parole chantée est nécessaire. C’est par là que passent les discours politiques du film, que les idées sur l’avortement se cristallisent et se détachent. Pas de discours, pas de poings levés. Mais une colère tout de même, qui ne veut pas se taire.

Pomme (Valérie Mairesse), lorsqu’elle part vivre en Iran, où elle devient épouse et mère, abandonne quelque temps la chanson. Mais le désir est irrépressible. Le retour en France, et vers la chanson, est vital. De même, sans musique, le film perdrait sa force vive. Si Pina Bausch répétait « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus », Pomme clame « Chantez, chantez, sinon nous sommes perdues. »

Agnès Varda et l’image laissée des femmes

Pourtant, la première partie du film L’Une chante, l’autre pas est sans chanson, d’une réalité nue et violente. Suzanne (Thérèse Liotard) et Pauline (Valérie Mairesse) se lient d’amitié dans le nœud tragique du film, lorsque Pauline aide Suzanne à avorter. Cette dernière est la maîtresse de Jérôme (Robert Dadiès), photographe replié entre les quatre murs de son labo photo, où portraits de femmes nues en noirs et blancs ornent des murs fatigués. La caméra parcourt longtemps ces photographies, le violoncelle derrière les rehaussant de nudité. La première image que le film donne des femmes, c’est donc celle prise par un homme. C’est Suzanne photographiée par Jérôme.

Puis les vies basculent. Jérôme est retrouvé pendu dans son atelier. C’est après cette catastrophe que les deux femmes se séparent la première fois, chacune se donnant les moyens d’être femme. Il fallait la chute de l’homme pour arriver à l’éclosion des deux femmes, il fallait que l’œil de l’homme s’éteigne pour que la femme puisse apparaître, elle, sur l’écran.

Un cinéma pour aujourd’hui

« Est-ce une bonne idée de programmer à nouveau ce film aujourd’hui, en 2018 ? », « Est-ce que les femmes y trouveront encore quelque chose ? ». Lors de la rencontre qui a suivi la projection en avant-première de L’Une chante, l’autre pas au Club de l’Étoile, Agnès Varda, obsédée par la question de l’actualité de son film, pose et repose la question. Toutes et tous de lui répondre que oui, la question de l’avortement est toujours là, que le mouvement #MeToo en a besoin, qu’une lutte joyeuse, cela fait du bien d’en voir par les temps qui courent.

Au-delà de l’écho qui peut résonner autour de ce film qui ressort en salles le 4 juillet 2018, c’est la question de savoir comment le cinéma compose avec les luttes politiques, les discours et les idées, que pose L’Une chante, l’autre pas. Ce que l’on sait en sortant de ce film, c’est la force donnée à la lutte lorsque la légèreté du cinéma s’empare du plus sérieux. Mais chez Agnès Varda, la légèreté porte en elle-même la gravité de l’enfance.

Un film à voir, ou à revoir pour celles qui ont connu ce temps que nous chante Agnès Varda.

En savoir plus  :

  • Date de sortie France : 04/07/2018
  • Distribution France : Ciné-Tamaris
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Antoine Corte

2 Commentaires

  1. Excellent compte-rendu d’un film capital!
    « Il avait raison, papa Engels, à la maison, l’homme est le bourgeois et la femme est le prolétariat…» Tuttudoutudoututlalala…